Le projet de loi Travail proposé par la Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social, Madame Myriam El Khomri a connu une traversée difficile avant d’être finalement validé par le Conseil Constitutionnel et publié au Journal Officiel le 9 août 2016.
Un passage discret
L’article 2 du projet de loi Travail portant sur « l’inversion de la hiérarchie des normes » a notamment beaucoup fait parler de lui. Le référendum d’entreprise ou encore l’article 11 relatif au « accord de préservation et développement de l’emploi » dont les modalités, jugées comme étant offensives sur l’emploi, ont eux aussi été très controversés Mais certaines de ces dispositions sont restées relativement discrètes voire sont passées inaperçues. C’est notamment le cas de l’article 94 de la loi Travail dont les conséquences sont, bien que peu connues par le grand public, d’une grande importance.
Retour sur une situation antérieure jugée trop rigide
Par cet article, la loi Travail a décidé de revenir sur un principe de droit inscrit à l’article L.1224-1 du code du travail et qui prévoit que l’entreprise cessionnaire qui acquière la société cédée doit reprendre tous les salariés affectés à l’activité cédée. Ainsi, l’entreprise cédante ne peut pas procéder, en amont du transfert, à un licenciement économique sous peine de voir ces licenciements déclarés nuls de plein droit par le juge. La jurisprudence française, très constante sur ce point, considère effectivement que ces licenciements sont alors « présumés» motivés par le transfert, à moins que l’employeur ne parvienne à les justifier par le biais du motif économique. Le salarié a ainsi le droit de demander sa réintégration auprès de l’entreprise cessionnaire. ll existe plusieurs illustrations de cette position jurisprudentielle notamment celle du 18 juin 2014 où la Cour de cassation retient « qu’en l’absence d’autorisation de l’inspecteur du travail, le transfert est nul et le contrat est rompu de fait, sans cause réelle ni sérieuse, par l’entreprise cédante ». [1] Une autre jurisprudence de la Chambre sociale a, quant à elle, posé une limite puisque « le refus du salarié, suite à une modification de son contrat de travail dans le cadre d’un licenciement économique est constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. »[2] Cet article L 1224-1 a donc pour effet de rendre les transferts difficiles à mettre en place du fait d’un manque de souplesse à l’égard des entreprises. Une autre conséquence de cette rigidité, et non des moindres, est qu’une partie des emplois de peut donc être sauvée.
Un objectif défini : favoriser les transferts d’entreprises
Le but de cet article 94 est simple : faciliter ces transferts d’entreprises et donc favoriser l’emploi en évitant de décourager l’entreprise désireuse de « reprendre » la société cédée par un sureffectif. Le cessionnaire n’aura ainsi pas à supporter le coût financier des licenciements. Il a ainsi pris contre-pied de la jurisprudence française en autorisant un employeur à mettre en oeuvre, avant un transfert d’activité, un plan de sauvegarde de l’emploi prévoyant dans le plan de reclassement une ou plusieurs cessions d’entités économiques. Autrement dit, cet article affirme expressément qu’un plan de sauvegarde pourra être mis en œuvre par l’entreprise cédante avant le transfert, et que, dans cette hypothèse, la reprise automatique de l’article L. 1224-1 du code du travail ne s’appliquera pas aux contrats de travail des salariés licenciés dans ce plan de sauvegarde. Ce nouveau dispositif n’est applicable qu’aux entreprises ou groupes d’entreprises qui réunissent au moins mille salariés, visés par l’article L1233-71 du code du Travail. Ainsi, l’article 94 n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les entreprises puisque le texte prévoit que cette disposition ne trouve application que dans les entreprises de taille moyenne appartenant à des grands groupes de plusieurs milliers de salariés. Cependant son application dans les petites entreprises ne semble remis en doute dans la mesure où l’article 94 requière l’application d’une procédure de licenciement et d’un plan de sauvegarde. Pourtant, il n’est pas exclu que ces petites entreprises puissent-elles aussi rencontrer des problèmes de transfert et de licenciements.
Malgré ces garde-fous, il n’est pas exclu que cette disposition ait pour conséquence d’inciter à détruire les emplois avant le transfert d’entreprise dans le but d’échapper au transfert automatique des contrats de travail.
Juliette Marie
Sources :
- Code du travail, Dalloz
- Lexis Nexis
- Dalloz
- Légifrance
- Sénat.fr
[1] Cass, soc, 18 juin 2014 (n°13-10.204)
[2] Cass, soc, 1er juin 2006 (n°14-21.143)