Les professions juridiques sont en profonde mutation. Elles bataillent pour obtenir, dans le cadre de la réforme attendue de leurs statuts, la part du lion : quelles limites dans la répartition des compétences entre notaires et avocats ? qui va hériter du divorce par consentement mutuel ? etc.
Toutes ces questions ont été posées à l’occasion du grand débat organisé par la garde des Sceaux sur la « Justice du 21ème siècle »,[1] mais aussi autour des nombreuses conférences et des réflexions organisées par les ordres professionnels et les associations.[2] Les avocats sont très présents dans cette discussion, même s’ils n’ont pas été totalement invités à y prendre part.[3], [4]
La réforme est urgente et inévitable. Les propositions issues des rapports sur la « Justice du 21ème siècle »,[5] même si elles sont restées pour l’instant lettre morte, constituent une base de réflexion intéressante. En tous les cas, elles constitueront certainement le point de départ de la grande réforme de la Justice et des professions juridiques.
Quelles sont les pistes de réforme proposées ? Quel est le point de vue des avocats sur ces dernières ?
Les principales évolutions proposées
Les propositions des quatre rapports, en ce qu’elles touchent à la Justice en général, sont de nature à bouleverser la pratique des professions juridiques, notamment pour les magistrats, les greffiers et les avocats.
En effet, selon les rapports, deux grandes idées sont de nature à rendre la Justice plus efficace et plus lisible pour les citoyens : d’abord, la réorganisation des compétences territoriales et procédurales des juridictions en première instance ; ensuite, la création d’un guichet unique.
La réforme de la justice de première instance. Le rapport Marshall[6] propose de réorganiser les juridictions de première instance, sauf les juridictions administratives, autour de six pôles de compétences.[7] Cela devrait permettre de mieux connaître la jurisprudence. Territorialement, le même rapport départementalise les tribunaux de première instance et régionalise les cours d’appel.[8]
Le guichet unique. Des guichets uniques devraient aussi voir le jour si les propositions sont retenues. L’objectif de ces structures est d’accueillir et d’accompagner le justiciable dans ses démarches. La question de son organisation, en revanche, est encore floue. Les greffiers en seraient les fonctionnaires naturels, mais d’autres idées sont avancées, comme par exemple les guichets électroniques. Les avocats, eux, ont déjà placé leurs pions…[9]
Le livre blanc du CNB
Pour se faire entendre et faire connaître clairement leur position, le CNB a publié un livre blanc.[10] Ce dernier est organisé autour de quatre axes de réflexion,[11] desquels sont nées 44 propositions.
Il est surprenant de constater que l’idée d’un tribunal de première instance n’a pas interpellé les membres du CNB, qui n’en traitent pas !
En ce qui concerne le guichet unique, en revanche, grandes sont les espérances : les avocats souhaitent non seulement disposer du rôle d’accueil du justiciable au sein de ces guichets, mais aussi rendre obligatoire la consultation d’un avocat avant toute action en justice.
Mais, ce n’est pas tout, le CNB soumet à la chancellerie, dans son livre blanc, la création de l’acte de procédure d’avocat, permettant de désigner un expert, d’auditionner un témoin ou encore de certifier une preuve. Aussi, il est proposé de créer une procédure d’homologation simplifiée permettant à l’avocat de constater des accords intervenus entre deux justiciables sur un litige. A ce titre, le CNB pense particulièrement, mais pas exclusivement, au divorce par consentement mutuel.
Ces idées mettent les avocats en concurrence avec d’autres professions, notamment les notaires et les greffiers.
Le climat de tension dans lequel vont se dérouler les débats sur la question de l’avenir des professions juridiques, dans le cadre de la réforme globale de la justice, se fait déjà sentir.
Antonin PECHARD
[1] Débat organisé par la garde des Sceaux les 10 et 11 janvier 2014.
[2] V. par exemple Conseil supérieur du notariat, La justice du 21ème siècle : Le citoyen au coeur du service public de la justice -Propositions du notariat ; Chambre nationale des huissiers de justice, Contribution de la Chambre nationale des huissiers de justice au débat sur la justice du 21ème siècle.
[3] C’est, du moins, le sentiment du Président du CNB, exprimé lors de la présentation du livre blanc des avocats sur l’avenir de la profession.
[4] Les avocats semblent d’autant plus prompt à participer à cette discussion qu’ils réalisent, depuis l’affaire « demanderjustice.com », qu’une « part de marché » qui devait leur naturellement leur revenir, ne fait plus appel à leurs services : des changements dans l’exercice de la profession sont donc effectivement souhaitables.
[5] Ministère de la Justice, Rapport Nadal visant à refonder le Ministère public, Rapport de l’IHEJ sur l’office du juge, Rapport Marshall sur les juridictions, Rapport Delmas-Goyon sur le juge.
[6] Rapport Marshall précit.
[7] A savoir : famille, enfance, civil, pénal, commercial, social et de proximité.
[8] A noter, l’utilité du second degré de juridiction est mise en question dans les scénarios de réforme évoqués par le ministère de la Justice en avançant l’idée d’imposer aux conseils de présenter tous les moyens de fait et de droit en première instance (LIEN) ; V. aussi Rapport de l’IHEJ, précit.
[9] De nombreuses autres propositions sont issues de ces rapports (268). Elles portent principalement sur le statut du parquet et la promotion des modes alternatifs de règlement.
[10] CNB, Justice du 21ème siècle, les propositions du Conseil national des barreaux ; le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris a donné son soutien à cette initiative du CNB lors de la présentation du livre blanc à la presse.
[11] A savoir : justice simplifiée, justice négociée, justice dématérialisée et aide juridique.