Par deux arrêts rendu le 3 novembre 2011, la chambre sociale de la cour de cassation revient sur la délicate distinction à faire entre variation des conditions de travail et modification d’un élément essentiel du contraten matière dechangements d’horaires. Elle pose également unprincipe à caractère généralbalayant ainsil’approche casuistiquequ’elle adoptait jusque là pour traiter ce type de question.
Fixée à l’entrée de bon nombre d’entreprises, la pointeuse matérialise à elle seule la plus importante des prérogatives dont dispose l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction : celle d’organiser le temps de travail et d’en fixer les horaires.
En effet, dès lors qu’il agit dans les limites qui lui sont imposées par la loi et les conventions collectives, l’employeur peut déterminer librement les horaires de travail de ses salariés. Lorsque, au cours de l’exécution du contrat de travail, l’employeur souhaite modifier les horaires de travail d’un salarié, le principe veut que cette modification, si elle n’emporte aucune conséquence sur la durée totale du travail ou sur rémunération, soit considérée comme une variation des conditions de travail ne nécessitant pas l’accord préalable du salarié.
Cependant, depuis une dizaine d’années, les juges de la chambre sociale de la cour de cassation ont tenté de délimiter la notion de variation des conditions de travail en admettant que certains types de changement d’horaires, en raison de leur nature ou de leur importance devait être considérés comme constitutifs d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail requérant l’accord préalable du salarié. Ainsi, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification d’un élément essentiel du contrat devant faire l’objet de l’acceptation exprès et préalable du salarié ( Cass. Soc, 7 avril 2004). Il en va de même pour le passage d’un horaire continu à un horaire discontinu (Cass. Soc, 18 décembre 2000), d’un horaire fixe à un horaire variable (Cass. Soc, 14 novembre 2000), d’un horaire modulé à un horaire par cycle (Cass. Soc, 28 septembre 2010) ainsi que pour le passage d’une semaine de quatre jours de travail à une semaine de cinq jours (Cass. Soc, 23 janvier 2001).
Par deux arrêts rendus le 3 novembre, la cour de cassation a d’une part confirmé sa jurisprudence en rappelant dans un premier arrêt que l’instauration d’une coupure journalière traduisait le passage d’un horaire continu à un horaire discontinu constitutif d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail, et d’autre part a dans un second arrêt, établi un principe général afin de distinguer variation des conditions de travail et modification du contrat.
En l’espèce, la requérante qui travaillait jusque là du lundi au vendredi de 5 heures 30 à 10 heures et de 15 à 17 heures ainsi que le samedi de 7 heures 30 à 10 heures, avait vu ses horaires de travail modifiées du lundi au jeudi de 15 heures à 17 heures 30 et de 18 heures à 21 heures, le vendredi de 12 heures 30 à 15 heures et de 16 heures à 21 heures et le samedi de 10 heures à 12 heures 30 et de 17 heures à 20 heures. La salariée avait refusé ces modifications et demander la résiliation judiciaire de son contrat.
Les juges ont répondu favorablement à sa demande en statuant que « sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l’employeur« .
Par cette formulation les juges de la chambre sociale ont non seulement établi un critère général, clair et précis quant à la différence à faire entre modification du contrat de travail et variations des conditions de travail, mais ont également tenté de poser une limite au pouvoir de direction de l’employeur : l’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle. Inspirée de la notion de « raisons familiales impérieuses » utilisée par la cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 mai 2001, la solution retenue ici par les juges pose la prise en compte de la vie personnelle comme une donnée incontournable que l’employeur ne pourra ignorer en matière de modification des horaires de travail.
Pauline GOETSCH
Pour en savoir plus
« Le changement d’horaires : une nouvelle approche ? » Pascal Lokiec
« Changement d’horaires et droits fondamentaux du salarié ? » Sébastien Tournaux |