La loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et les jugements des mineurs promulguée le 10 Août dernier créée parallèlement à l’introduction de jurés populaires, en correctionnel, un tribunal correctionnel pour les mineurs.
La validation par le conseil constitutionnel du projet de loi qu’il avait jugé pour l’essentiel conforme à la Constitution dans une décision du 28 Juillet 2011, n’a pas freiné la vague d’indignation qu’a suscité cette mesure. La création de telles juridictions est loin d’être anodine et pose indéniablement la question des enjeux juridiques qui s’y rattachent. Quels sont-ils?
I. Vous avez dit tribunal correctionnel pour mineurs?
La censure par le Conseil Constitutionnel de la plupart des dispositions relatives au droit pénal des mineurs introduites dans la loi du 14 Mars 2011 dite LOPPSI 2 à savoir les peines planchers applicables aux primo-délinquants mineurs et la citation directe par le Parquet devant le tribunal pour enfants, n’a pas arrêté le garde des Sceaux, Michel Mercier dans sa lancée réformatrice. Si bien que bon nombre de juristes et non juristes voient dans la loi récemment promulguée, une simple reprise légèrement amendée des mesures contenues dans LOPPSI 2 [1].
Guidée notamment par une volonté de rapprocher la justice pénale des jeunes délinquants de celle des majeurs, la création d’un tribunal qui permettra de juger les mineurs âgés de 16 à 18 ans poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale lorsque la peine est supérieure ou égale à 3 ans est désormais validée. Au sein de cette juridiction, siègera un juge des enfants et deux autres magistrats.
Alors d’où vient l’inquiétude? Pour le comprendre, il faut revenir sur les principes gouvernant la justice pénale des moins de 18 ans.
II. Les fondements de la justice pénale des mineurs bouleversés?
Trois principes encadrent la justice pénale des mineurs:
– la priorité donnée à l’éducatif sur le répressif posé par l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 [2]
– la spécialisation des intervenants
– des dispositions procédurales plus protectrices.
La censure de la loi LOPPSI 2 a ainsi permis de les rappeler et de les réaffirmer tout en les précisant: le droit pénal des mineurs est aussi autonome.
La justice pénale des mineurs tire sa spécificité de celle qu’elle repose sur des magistrats pécialisés (parquet des mineurs, juge des enfants, juge d’instruction spécialisé, conseiller délégué à la protection de l’enfance) et s’organise autour de juridictions spécialisées en application de l’article 1er de l’ordonnance du 2 Février 1945 (ex: tribunal pour enfants).
La valeur constitutionnelle donnée à ces principes est antérieure à 2011. En effet, déjà dans sa décision du 29 Août 2002, le Conseil Constitutionnel avait élevé au rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République deux grandes règles:
– la responsabilité pénale des enfants doit être atténuée en fonction de leur âge,
– la réponse aux infractions que commettent les mineurs doit rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées [3].
Au-delà de cette valeur constitutionnelle, la spécificité de la justice pénale des mineurs est également reconnue par de nombreux textes internationaux tels que la convention internationale des droits de l’enfant de 1989 (CIDE), les recommandations du Conseil de l’Europe du 5 novembre 2008, les règles de Beijing ou encore les règles a minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice des mineurs [4].
Dès lors, on peut comprendre les arguments tenus par les détracteurs de la loi du 10 Août 2011.
III. La colère générale
Contestée tant par les socialistes que par le CNB (conseil national des Barreaux) en passant par les organisations syndicales et professionnelles, la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et les jugements des mineurs est définitivement et à tout le moins très controversée. Si l’introduction de jurés populaires en correctionnel a été à l’origine de débats houleux notamment tournés sur l’efficacité d’un telle mesure [5] la réforme de la
justice pénale des mineurs n’a rien a lui envier.
Prenons pour exemple, les propos de Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE (convention nationale des associations de protection de l’enfant). Pour elle, la spécificité de la justice pénale des mineurs est remise en cause par la présence d’un seul juge des enfants au sein du tribunal correctionnel pour mineurs: « La présence d’un seul juge des enfants n’est pas une garantie suffisante. Soit ces juges des enfants sont compétents et donc, pourquoi confier le jugement des mineurs à de nouveaux magistrats et créer une nouvelle juridiction, soit ils ne le sont pas ».
La loi porterait également atteinte à la convention relative aux droits de l’enfant en ce qu’elle rapproche le sort des mineurs de 16 ans de celui des majeurs; l’article 1er dudit texte ratifié
et adopté par la France disposant que l’enfant est celui qui a moins de 18 ans. Mme Quiriau souligne que même si ce texte n’a pas de pouvoir coercitif, de nombreuses dispositions ont été transposées en droit français avec la loi du 5 Mars 2007 [6].
Le CNB est allé plus loin lorsque la loi du 10 Août dernier n’était alors qu’au stade de projet présenté par le garde des Sceaux le 13 Avril 2011 en rédigeant une motion votée à l’unanimité contre cette loi [7].
Pour le CNB « une véritable concertation doit être menée avant de réformer les principes et la philosophie de l’Ordonnance du 2 février 1945 qui a déjà été réformée 34 fois dont 12 fois ces dix dernières années » [8].
Pour le syndicat de la Magistrature (SM), il s’agit « d’une atteinte aux principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs ». Et Matthieu Bonduelle, secrétaire général du SM d’ajouter « On ne doit pas faire juger les mineurs par les mêmes juges que les majeurs ».
L’idée étant de dire que si des mineurs sont jugés par des magistrats issus de la juridiction des majeurs, les peines risquent d’être plus lourdes, « le répressif » devenant ainsi prioritaire sur « l’éducatif » [9].
Bien au contraire, l’étude d’impact pour le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et les jugements des mineurs explique qu’une telle disposition permettra une meilleure adéquation de la sanction à la personnalité du délinquant. « Pour les mineurs les plus délinquants et se rapprochant de leur majorité civile, il importe que la réponse pénale corresponde à la réalité de leur ancrage dans la délinquance ». Pour ces mineurs, se faire juger devant un tribunal correctionnel permettra « de signifier l’aggravation de la situation pénale de ces mineurs et le renforcement de la réponse pénale à leur encontre ».
De la même manière et comme l’a précisé le garde des Sceaux, l’introduction de cette disposition est, contrairement à ce qu’en disent ses « détracteurs », prise dans le « respect de l’ordonnance du 2 février 1945 ». En effet, il est expliqué que cette nouvelle juridiction statuera en respectant des règles procédurales spécifiques adaptées aux mineurs. Elle pourra notamment prononcer des mesures et sanctions éducatives si elle estime que le prononcé d’une peine n’est pas nécessaire.
C’est d’ailleurs attaché à ce même souci d’apporter une réponse adaptée à la délinquance des mineurs, qu’en 2007 les peines planchers avaient été instituées pour les mineurs récidivistes. Cette mesure a accru la sévérité des condamnations prononcées contre ces mineurs c’est pourquoi la nécessité de modifier la formation de jugement chargée de juger ces faits en récidive a donné lieu à la création de ce tribunal correctionnel pour les 16-18 ans récidivistes [2].
Le Législateur semble donc vouloir vraisemblablement faire la distinction entre mineurs de 16 à 18 ans et mineurs de moins de 16 ans.
Posons-nous tout de même la question… N’est-ce pas là une régression d’un point de vue juridique? Sous la 3ème République, cette distinction était déjà faite, les mineurs jugés discernant encouraient les mêmes peines que les adultes. Le bagne de Belle-Ile dit « bagne d’enfants » par ses opposants avaient été crées pour les jeunes d’au moins treize ans condamnés à des peines de 6 mois à 2 ans ainsi que des adolescents détenus jusqu’à leurs 16ans ou à leurs 21 ans [10]. Faut-il rappeler les dérives qui ont suivi? Jacques Prévert les avait si bien décrites , « Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan ! C’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant. Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement. Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents? Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment. » (poème la chasse à l’enfant, Jacques Prévert, 1934).
Le comité des droits de l’enfant qui assure le suivi de la CIDE avait d’ailleurs préconisé à la France d’intégrer les normes relatives à la justice des mineurs et souhaité que l’Etat français ne différencie pas les mineurs entre eux.
Fatiha EL BALI
Pour en savoir plus
[1] « La justice pénale des mineurs en danger », Claire NEIRINCK, professeur à l’Université de Toulouse, Juillet 2011. [2] Ordonnance du 2 Février 1945. [4] CIDE. [5] « C’est un mauvais coup que vous portez à la justice […], » BADINTER. [7] Motion du CNB. [8] Avis du CNB. [9] Article du Nouvel Observateur [10] http://www.bzh-explorer.com/spip.php?article456 http://fr.wikipedia.org/wiki/Justice_des_mineurs_en_France#Histoire_de_la_notion http://www.apcars.org/vers-un-tribunal-correctionnel-pour-les-mineurs http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/projet-loi-participation-citoyens-au-fonctionnement-justice-penale-jugement-mineurs.html |