La réforme constitutionnelle de 2008 aborde pour la première fois la question des droits de l’opposition parlementaire. La Constitution reconnait enfin son existence et lui confère un ensemble de droits spécifiques. Séance réservée, droit de tirage des commissions d’enquête : les innovations ne manquent pas. Mais reste à déterminer si dans la pratique ces changements préfigurent réellement la naissance d’un véritable « statut de l’opposition »
La réflexion autour de l’élaboration d’un nouveau statut de l’opposition parlementaire se situait au cœur de la mission du comité Balladur . Cet objectif s’inscrivait dans le cadre global de la rénovation des pouvoirs du Parlement. Auparavant, la question de l’opposition était très peu abordée. L’essentiel pour le constituant de 1958 était d’assurer la construction d’une majorité stable pour permettre la mise en place d’un parlementarisme « rationnalisé ». Mais la structuration rapide du parlement et l’apparition du fait majoritaire en 1965 ont fait apparaitre la nécessité d’introduire un certain équilibre entre les différentes forces politiques présentes au parlement. La difficulté était alors de trouver un compromis entre le droit légitime de l’opposition à s’exprimer et le respect de la prédominance de la majorité.
La première avancée significative a lieu lors de la révision de 1974 qui accorde aux parlementaires la possibilité de saisir le conseil constitutionnel et instaure les questions au gouvernement. L’opposition peut désormais interpeler publiquement le gouvernement et s’opposer, par une possible censure du Conseil Constitutionnel, à la promulgation d’une loi. Malgré ces avancées, le parlement français est longtemps resté dans un certain « statu co ». L’irresponsabilité confortable dont bénéficiaient les parlementaires de l’opposition et la promesse d’une alternance future ont longtemps freinés les projets de réforme.
Les obstacles à l’établissement d’un statut de l’opposition étaient également constitutionnels. En 2006, une modification importante du règlement de l’assemblée Nationale, accordant un ensemble de droits nouveaux à l’opposition a été censurée par le Conseil Constitutionnel au motif que ces nouveaux droits « introduiraient une différence de traitement injustifiée entre les groupes parlementaires (1). Une reforme de la Constitution était des lors indispensable. Ainsi le constituant de 2008 introduit pour la première fois un cadre juridique pour les groupes minoritaires et d’opposition. Ce cadre comporte des innovations importantes qui permettent une meilleure visibilité de l’opposition parlementaire, même si l’effectivité de ces nouveaux droits est plus discutable.
La définition d’un cadre juridique innovant pour l’opposition.
On assiste en 2008 à la constitutionnalisation des contre pouvoirs parlementaires. En effet, l’article 4 de la Constitution énonce désormais que « la loi garantit l’expression pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Dans le même esprit, l’article 51-1 dispose que le règlement des assemblées « reconnait des droits spécifiques aux groupes d’opposition ». Il s’agit, au moins sur le plan sémantique d’une petite révolution. En effet, l’opposition est mentionnée pour la première fois dans la Constitution alors que l’on fera remarquer que la majorité n’y est pas. L’opposition est encore mentionnée une seconde fois à l’article 48 qui réserve un jour de séance par mois à un ordre du jour fixé par les groupes minoritaires et d’opposition.
Pour le reste, le constituant a laissé le soin au règlement des assemblées de définir les droits spécifiques accordés à l’opposition. Les règlements ont ainsi fait l’objet de deux résolutions importantes adoptées respectivement les 27 mai et 2 juin 2009 à l’Assemblée et au Sénat. Désormais, en vertu de l’article 19 du RAN , les groupes se réclamant de l’opposition doivent se déclarer à la présidence afin de se voir accorder des droits spécifiques. Il est important de noter que la Constitution accorde les mêmes droits aux groupes d’opposition comme aux groupes dits minoritaires. La logique de ce nouveau système n’est donc pas d’accorder un statut privilégié à l’opposition mais d’assurer une réparation équitable des droits en fonction de la composition du Parlement.
Parmi ces prérogatives ont retrouve un certain nombre de droits « de représentation ». Ainsi la conférence des présidents regroupe désormais l’ensemble des présidents de groupe. ( art. 47 RAN).La représentativité du parlement est également assurée dans l’ensemble de ses organes , que ce soit dans la nomination des rapporteurs ou dans l’attribution de la présidence de certaines commissions. La représentation de tous les groupes est également assurée, à l’assemblée au sein du comité d’évaluation et de contrôle et dans le suivi de l’application des lois.
On trouve également certains droits nouveaux plus effectifs qui permettent à l’opposition de mieux participer au processus législatif et à l’évaluation des politiques publiques. Ainsi les groupes minoritaires ont la faculté, une fois par session de demander la création d’une commission d’enquête, demande qui ne peut être rejetée que par un vote des 3/5 de l’assemblée concernée. Les droits de l’opposition sont également revalorisés en séance. Outre le partage égal des questions au gouvernement, l’article 49 du RAN prévoit que le temps de parole minimum doit être supérieur pour les groupes d’opposition. Enfin, conformément à l’article 48 al 6 de la Constitution, une séance par mois est réservée à un ordre du jour fixé par les groupes minoritaires et d’opposition.
La réforme constitutionnelle de 2008 et les règlements des assemblées ont donc introduit un certain nombre de nouveautés juridiques au bénéfice des groupes minoritaires. Mais encore faut-il qu’ils aient les moyens effectifs de les exercer.
Une effectivité encore incertaine.
Au terme de presque trois années de travail parlementaire depuis l’entrée en vigueur des nouveaux règlements, l’intention du constituant de doter l’opposition d’un véritable statut est encore loin d’être réalisée. En effet, si les parlementaires d’opposition sont plus visibles au sein des assemblées, il n’est pas certain que ces droits nouveaux leur permettent de contrebalancer plus efficacement la majorité.
Plusieurs exemples le démontrent : Sur la séance réservée à l’opposition : celle-ci se conclut le plus souvent par le rejet du texte ou par l’adoption d’une motion de rejet préalable qui empêche l’examen des articles. De plus l’hypothèse de la multiplication des groupes d’opposition et l’extension de l’ordre du jour prioritaire auraient pour effet de réduire encore la maitrise de cette séance par le principal parti d’opposition. Enfin concernant le droit de tirage pour les commissions d’enquête, toutes les tentatives sont systématiquement repoussées, parfois même avant le vote de l’assemblée, sur décision de la présidence. Ainsi en 2009, le Président Bernard Accoyer a opposé l’irrecevabilité à une commission sur les sondages commandés par l’Elysée. Malgré, ces obstacles , ce droit est progressivement reconnu à l’opposition. Ainsi deux commissions d’enquête ont pu être crées à l’initiative de l’opposition , l’une sur la spéculation financière , l’autre sur les réseaux ferroviaires.
La pratique tend donc à relativiser la portée réelle de la réforme. La majorité dispose encore de larges prérogatives pour neutraliser les initiatives de l’opposition .Il faut en outre noter que les nouveaux droits de l’opposition se sont accompagnés de certaines restrictions concernant le droit d’amendement avec notamment l’instauration du temps de travail programmé à l’assemblée qui réduit le temps de défense des amendements.
En outre le renvoi aux règlements des assemblées pour définir les droits de l’opposition aboutit à l’existence d’une différence de traitement entre députés et sénateurs d’opposition et non à la reconnaissance d’un statut uniforme. Ainsi, à la différence de l’Assemblée, le Sénat n’a pas souhaité mettre en place le temps de travail programmé.
On est donc encore loin d’un véritable statut de l’opposition sur le modèle britannique où l’opposition est unie et structurée autour d’un leader disposant d’un véritable statut définit par une loi qui lui accorde certains privilèges. Mais la reforme a au mois le mérite d’institutionnaliser les groupes d’opposition et minoritaires. L’opposition n’est plus seulement une force politique, elle entre dans le droit positif Si la portée symbolique de la réforme est indéniable, on ne peut que constater que le système parlementaire français, structuré autour du couple exécutif / majorité peine encore à accorder un véritable statut constitutionnel à l’opposition.
Baptiste JAVARY
Note
[1] Décision n° 2006 – 537 DC du 22 juin 2006 Pour en savoir plus
Fiche de l’Assemblée Nationale sur les droits de l’opposition : www.assemblee-nationale.fr
Colloque du GEVIPAR « L’opposition parlementaire française après la réforme de 2008 » Février 2010 : http://www.sciences-po.fr/recherche/fr/recherche/Gevipar_CR_0210.pdf |