Le 10 septembre 2015, l’Autorité de la concurrence (1) a approuvé et par-là, rendu obligatoire les engagements pris par les sociétés destinataires de la notification des griefs, à savoir Danone SA ; Pernod-Ricard SA ; Bolton Solitaire SAS et Johnson&Johnson Beauté et Santé France SAS, concernant les contrats de distribution de produits de grande consommation en territoire d’outre-mer.
- La prohibition de relations exclusives en matière d’importation
Dans cette décision, l’Autorité de la concurrence fait référence au circuit dit « long » de distribution, qui fait intervenir plusieurs intermédiaires entre le producteur et le client, à savoir le grossiste et le détaillant. Ainsi, le grossiste achète la marchandise au producteur et la revend en lot au détaillant, qui la revendra alors au détail à ses clients. Ce type de circuit est, par ailleurs, le plus fréquemment choisi par les fournisseurs.
Conformément à l’article L420-2-1 du Code de commerce, issu de la loi Lurel du 20 novembre 2012 (2), « Sont prohibés, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises. ».
Cette loi fût votée dans un contexte politico-économique sensible. En effet, les importateurs-grossistes jouissant du monopole de la distribution des produits provenant de la métropole revendaient ces derniers à des prix ne laissant d’autres choix aux détaillants que de les proposer à des tarifs pouvant être supérieur de 13% par rapport à ceux pratiqués en métropole, selon l’INSEE (3).
Par une décision du 17 octobre 2014, jointure des saisines d’office de 2010(4) et de 2014(5), l’Autorité de la concurrence déclare que les relations qu’entretiennent les quatre sociétés avec leurs grossistes-importateurs étaient susceptibles de constituer une pratique anticoncurrentielle. Dès lors, les sociétés Danone ; Pernod-Ricard ; Bolton Solitaire et Johnson&Johnson Beauté et Santé France se devaient de modifier leurs procédés sous peine de se voir infliger une sanction pécuniaire.
C’est ainsi qu’en mai 2015, ces quatre sociétés prirent, tour à tour, l’engagement de mettre un terme à ces accords exclusifs. Ces derniers devront alors être modifiés, en vue de supprimer les clauses litigieuses, dans un délai d’un an à compter de la publication de la décision de l’Autorité de la concurrence.
Cela permettra ainsi aux sociétés établies en métropoles de respecter un délai de préavis correct afin de ne pas rompre brutalement les relations contractuelles préexistantes avec les grossistes-importateurs. En effet, un délai de préavis trop court peut avoir un impact économique catastrophique pour les grossistes-importateurs, ces derniers n’ayant pas le temps nécessaire pour établir une nouvelle relation commerciale avec une autre société avant la rupture dudit contrat. Ainsi, lors du test de marché pratiqué par l’Autorité de la concurrence le 13 mai 2015 (4), trois d’entre eux avaient émis leur crainte quant à la durée du préavis, alors même que certaines relations contractuelles étaient pluri-décennales.
- Une prise d’engagement au-delà des obligations légales
En sus de leurs obligations légales, les quatre sociétés ont également pris l’engagement d’élargir la concurrence entre les différents grossistes-importateurs en proposant une sélection périodique de ces derniers. Cette dernière s’opère par une mise en concurrence transparente et non discriminatoire, par le biais d’appels d’offres publiques. Dès lors, des critères de sélection uniformes et une limitation de la durée des accords doivent être appliqués. Les quatre sociétés ont, par ailleurs, décidé de supprimer toutes clauses prévoyant une tacite reconduction du contrat.
Toute la difficulté de l’exercice qui s’offrait alors à ces dernières était de trouver un juste équilibre entre ne pas léser les partenaires existants et suffisamment ouvrir le marché pour permettre l’entrée de nouveaux partenaires. En effet, les grossistes-importateurs, ayant consentit à de lourds investissements pour le développement de leur réseau de distribution, peuvent avoir du mal à le rentabiliser si les contrats ne proposent pas une durée suffisante de relation commerciale. En somme, l’ouverture du marché proposée par les quatre entreprises ne doit pas empêcher leurs partenaires de prospérer, sous peine d’aboutir à un non-sens.
Dès lors, ces différents engagements devraient permettre une diminution des prix pratiqués sur les différents territoires ainsi que des tensions politico-économiques régnantes. En effet, l’ouverture du marché à plusieurs concurrents devrait permettre une concurrence réelle entre les différents tarifs proposés par ces derniers. Toutefois, il serait utopique de penser qu’une telle ouverture de marché puisse gommer parfaitement les différences de prix pratiqués entre la métropole et les territoires d’outre-mer, ces derniers devant prendre en compte la taxe d’octroi de mer, qui est applicable à la plupart des produits importés, afin de privilégier la vente de produits locaux.
Alors, l’ouverture du marché des grossistes-importateurs en outre-mer est-elle réellement la solution tant attendue par les consommateurs ?
Fanny GENEVREY
(1) : Décision de l’Autorité de la concurrence n°15-D-14 du 10 septembre 2015 relatif aux pratiques mises en œuvre par les sociétés Danone, Pernod-Ricard, Bolton Solitaire et Johnson&Johnson beauté et santé France dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outremer.
(2) : Loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer.
(3) : INSEE revue n°1304 de Juillet 2010 – « Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010 ».
(4) : Décision de l’Autorité de la concurrence n°10-SO-01 du 29 janvier 2010 relative à la saisine d’office de l’Autorité concernant la pratique mise en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation.
(5) : Décision de l’Autorité de la concurrence n°14-SO-06 du 14 octobre 2014 relative à l’extension de sa saisine dans l’ensemble des collectivités d’outre-mer où elle est compétente.
(6) : Test de marché opéré par l’Autorité de la concurrence le 13 mai 2015 en amont de la décision n°15-D-14.