Prôné par Jean Tirole, prix Nobel d’Économie 2014 et plusieurs économistes comme Pierre Cahuc et Francis Kramarz, l’objectif du contrat unique est de rompre avec le dualisme du marché du travail français. En effet, la distinction la plus commune s’opère entre d’une part, la surprotection des contrats à durée indéterminée qui comprend 87 % des titulaires de contrat de travail et d’autre part, la précarité des contrats à durée déterminée qui représentent 90% des embauches en France en 2015.
Les caractéristiques du contrat de travail unique
L’idée d’instaurer un contrat de travail unique n’est pas nouvelle. Déjà en 2005 et 2006, le Gouvernement avait annoncé la création du contrat première embauche (CPE) et du contrat nouvelle embauche (CNE).
Le CPE était réservé aux salariés de moins de 26 ans et concernait uniquement les entreprises du secteur privé de plus de vingt salariés. Comme pour tout contrat à durée indéterminée, il s’accompagnait d’exonération de cotisations patronales pendant une durée de trois ans. Une « période de consolidation » aurait également donné la possibilité à l’employeur de rompre le contrat de travail sans avoir à en énoncer le motif. C’est cette disposition qui a été la plus critiquée par les syndicats et les mouvements étudiants, considérant qu’elle aurait pu faciliter les licenciements abusifs.
Le CNE, quant à lui, concernait tous les salariés mais était également réservé aux entreprises de plus de vingt salariés. Il instaurait une période dite de consolidation de deux années maximum qui pouvait être rompue sans motif tant par l’employeur que par le salarié. De plus, la rupture n’était pas soumise à l’article L. 1232-1 du Code du travail exigeant un caractère réel et sérieux du licenciement. Si l’employeur rompait le CNE pendant la période de consolidation, il devait verser au salarié une indemnisation correspondant à 8 % de la rémunération totale. Cette rupture échappait à la procédure habituelle de licenciement : elle devait seulement être notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception.
Ces nouvelles formes de contrats de travail, qui ont été largement critiquées, n’ont pas fait long feu.
Le contrat unique est, quant à lui, plus ambitieux, dans la mesure où il concernerait tous les salariés sans distinction. Il s’agirait d’un contrat de travail à durée indéterminée pouvant être rompu à tout moment sans motif spécifique (sauf discrimination) ni reclassement. Les « licencieurs » devraient payer une taxe en fonction du nombre de licenciements. Cette taxe serait destinée à indemniser les salariés licenciés mais également à alimenter la caisse d’assurance chômage. Quelle que soit la formule de taxation, l’objectif de ce contrat est de permettre à l’entreprise de connaître à l’avance le coût des licenciements et de limiter l’accès au juge. Ainsi, le contrat unique permettrait de légaliser, en quelque sorte, les stratégies de violation efficace du droit.
Les limites à l’instauration d’un tel contrat
Il existe trois difficultés de mise en œuvre du contrat unique de travail.
Tout d’abord, la France devrait se retirer de la Convention international n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui exige un motif raisonnable de licenciement contrôlé par le juge. Les partisans du contrat unique avancent que l’Allemagne et les États-Unis n’ont pas ratifié cette convention et se portent très bien.
En outre, une question se pose : comment gérer les remplacements d’une durée de quelques jours et le travail saisonnier avec un contrat à durée indéterminée ?
Enfin, l’instauration d’un contrat unique risquerait de créer un régime à deux vitesses entre les salariés titulaires d’un contrat à durée indéterminée « protégé » avec une protection du droit du licenciement et ceux ayant un contrat à durée indéterminée « d’un nouveau genre »[1]. Le Conseil constitutionnel s’y opposerait sûrement en avançant une inégalité de traitement.
Le contrat à protection croissante adopté en Italie, un modèle pour le droit français ?
Les réformes italiennes menées depuis de nombreuses années ont été fortement marquées par la nécessité de donner plus de flexibilité au marché du travail. Dès 2014, le Gouvernement Renzi en a fait l’un de ses principaux objectifs. Pour répondre à une situation de l’emploi particulièrement dégradée et stimuler le retour de la croissance, le décret n°23/2015 en date du 7 mars 2015 a été adopté, instaurant un contrat « à protection croissante ». Stricto sensu, il ne s’agit pas d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée mais d’un nouveau régime de licenciement. Le législateur a ainsi choisi de modifier les règles de licenciements injustifiés, remplaçant ainsi la réintégration du salarié à son poste de travail par l’instauration d’un calcul prédéterminé du coût du licenciement par l’employeur. Selon Pietro Ichino, Professeur à l’Université de Milan, « on passe à un système de sanction dont l’objectif est de garantir la prévisibilité et la limitation du coût du licenciement [2] ».
Le contrat à « protection croissante » se voit donc appliquer un nouveau régime en cas de licenciement jugé injustifié. Le droit à l’indemnisation, devenu le principe, croisse en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, rendant le coût exact du licenciement prévisible et limitant ainsi l’intervention du juge.
Faut-il cependant voir le contrat à protection croissante italien comme le précurseur des évolutions du droit du travail français ? À ce jour, il n’existe pas de réponse tranchée. Néanmoins, il peut assurément être perçu comme une source d’inspiration pour le droit français du travail.
[1] P. LOKIEC, « Le contrat unique, une fausse bonne idée ! » Receuil Dalloz 2014 p 2456
[2] P. ICHINO, « Le Jobs Act : de nouvelles normes, mais aussi une nouvelle culture du marché de l’emploi » Revue de droit du travail 2015 p.299
Pour en savoir plus :
« Il faut sauver le droit du travail ! », Pascal Lokiec, éditions Odile Jacob