Vers la reconnaissance du statut d'artiste-interprète pour les acteurs de la télé-réalité ?


 

La participation à une émission de télé-réalité est un travail. Après avoir requalifié en contrat de travail la relation entre les participants et la production, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 5 avril 2011 a dénié le statut d’artiste-interprète aux protagonistes de l’émission de TF1 l’ Île de la tentation, au motif que les participants n’avaient pas à interpréter une œuvre artistique, ni des personnages. Ce dernier point constituant l’enjeu pécuniaire majeur, nul doute que cette prétention sera de nouveau soumise, dans les semaines à venir, aux juges qui se pencheront sur les affaires Greg le millionnaire, Koh Lanta, Marjolaine et les millionnaires, Mister France…

 


 

Au regard de l’article L.212-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), l’artiste-interprète est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique.

 

L’émission de Télé-réalité est-elle une œuvre artistique ?

 

Pour être protégé par le droit d’auteur, le programme audiovisuel doit être qualifié d’œuvre originale. L’article L.112-2 du CPI énumère un certain nombre de catégories, dont l’œuvre audiovisuelle, qui est définie très largement comme consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non. L’enjeu résidera donc dans l’originalité de l’émission, et celle-ci pourrait se manifester par l’existence d’un scénario, un enchaînement déterminé, une mise en scène, des choix esthétiques qui révèlent une personnalité, ces émissions sont souvent bâties sur un concept de « sitcoms ».

 

L’idée n’est pas protégeable, c’est sa formalisation particulière qui l’est. Selon un spécialiste de la propriété intellectuelle les émissions dites de télé-réalité mettent en jeu des concepts qui sont absolument fondamentaux en matière de droit d’auteur  1. La Cour de cassation dans son arrêt du 3 juin 2009 qualifiait de

« série télévisée » L’île de la tentation.

 

Le format du « jeu télévisé » est-il un obstacle à la reconnaissance de l’œuvre ? Non si l’on en croit la jurisprudence qui a estimé que le jeu télévisé peut être une œuvre audiovisuelle2. Popstars a été brièvement qualifiée ainsi par une décision du Conseil d’État du 30 juillet 2003.

 

telerealite

 

Les participants ont-ils la qualité d’artiste-interprète?

 

La jurisprudence, se rapprochant du droit d’auteur, ajoute à la définition légale de l’artiste-interprète une exigence d’originalité et de personnalité, dominée par la casuistique, afin de le distinguer de l’artiste de complément3. Les juges Versaillais refusent d’accorder le statut d’interprète aux tentateurs car « ils n’avaient aucun rôle à jouer ni aucun texte à dire et il ne

leur était demandé que d’être eux-mêmes ». Cette analyse est à rapprocher de l’affaire Être et avoir où, dans un format documentaire, les personnes étaient filmées dans leur vie quotidienne.

 

La prestation des « acteurs » de la télé-réalité : ils se retrouvent dans un lieu , un mode de vie qui, a priori, ne ressemblent pas à leur existence « normale ». Le candidat est plongé au sein d’une réalisation audiovisuelle, dans laquelle il construit, de facto, un rôle en adaptant sa personnalité aux exigences de la production, improvise, répète certaines scènes qu’il exécute en plusieurs prises à la manière d’un acteur. A noter que celui-ci est couramment amené à changer de prénom pour les besoins de la production.

 

 Le débat doctrinal se penche sur l’esprit de compétition animant les protagonistes, à l’instar des sportifs, mais ce critère peut-il prévaloir sur l’exécution d’une œuvre de l’esprit ?4. Le compétiteur a t-il sa place dans un spectacle encadré, règlementé, où il a signé des contrats le soumettant aux exigences et aux directives de la société qui réalise l’émission5.

 

Enjeu supplémentaire, la jurisprudence précise que l’artiste-interprète qui improvise est à la fois interprète et auteur de ses improvisations…

 

 

Vincent PAQUOT

Doctorant Droit privé

Chargé de travaux dirigés Université Paris Ouest Nanterre

 

 

Notes

 

1. R.Pepin,  » Téléréalité et droit d’auteur « , Cahiers de PI, mai 2004, p. 741

 

2. CA Paris, 27 mars 1998, D. 1999, p 417, note B. Edelman

 

3. Cass. 1 civ. 6 juill. 1999, Bull. Civ. 1999, I, n° 230

 

4. A. E. Kahn, J.-Cl. PLA, n° 1425,  » Droits voisins du droit d’auteur « 

 

5. D. Cohen et L. Gamet, Loft Story : le jeu-travail, Dr. soc. 2001, p. 791

 

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Pour en savoir plus

 

Participants de  » L’île de la tentation  » : ce ne sont pas des acteurs ! , La Semaine Juridique Ed. Générale n° 17, 25 avril 2011, 495

 

Droit des médias, Chronique sous la direction de Serge Regourd, La Semaine Juridique Ed. Générale

 

 

 

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