Le jugement de Salomon ou encore l’affaire Martin Guerre montrent à quel point la problématique de l’usurpation d’identité est ancienne. L’usurpation d’identité consiste à “prendre le nom d’un tiers, à se masquer, se cacher et fuir ses responsabilités et donc les poursuites pénales. Elle peut se définir comme la pratique par laquelle une personne utilise ou exploite sciemment les informations personnelles d’une autre personne à des fins illégales. Le seul but est de commettre une infraction pénale pour en retirer un avantage économique.”1
Aussi étonnant que cela puisse paraître, avant 2011, il n’existait aucune législation spécifique en droit français pour lutter contre cet acte malveillant, souvent traumatisant pour les victimes, et longtemps traité de manière connexe dans le cadre d’une escroquerie ou d’un abus de confiance. Depuis le développement d’internet, une nouvelle forme d’usurpation d’identité s’est développée. La CNIL est engagée dans la lutte contre l’usurpation d’identité en ligne mais le phénomène semble devenir incontrôlable.
C’est à travers la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite loi LOPPSI II que les députés se sont enfin attaqués à l’usurpation d’identité, sous l’impulsion de Catherine Vautrin, évoquant l’idée d’un fichier centralisant les éléments d’état civil et les données biométriques. Cependant des risques d’atteintes majeures aux libertés publiques entouraient ce projet laissé depuis en suspens. Un nouveau texte spécifique, concret, pragmatique, à la fois protecteur des libertés publiques doit permettre de lutter contre ce fléau. Aujourd’hui, notre arsenal juridique est loin d’être efficace pour contrer les méthodes des usurpateurs, toujours plus novatrices.
Chaque année en France, 210 000 personnes sont victimes d’une usurpation d’identité. Selon un rapport du CREDOC, un français a plus de “chance” de subir une usurpation d’identité qu’un cambriolage ou un vol de voiture. Les solutions apportées par les autorités publiques sont-elles suffisantes? En France, l’article 226-4-1 du code pénal, punit le fait d’usurper l’identité d’un tiers à une peine d’un an de prison et de 15 000 € d’amende, y compris lorsque cette infraction est commise sur Internet.
A titre de comparaison, le téléchargement illégal d’une chanson constitue un acte de contrefaçon et peut être passible d’une peine maximale plus importante: trois ans de prison et 300 000 € d’amende. C’est à juste titre que les sanctions entourant ce phénomène de criminalité identitaire sont jugées insuffisamment dissuasives. En 2013, le député Marc Le Fur a proposé de doubler les peines actuellement encourues. Au Canada, le simple fait d’emprunter l’identité de quelqu’un constitue un acte criminel puni d’une peine d’emprisonnement de dix ans. Le régime français paraît bien trop laxiste devant l’ampleur d’un phénomène face auquel personne n’est assurément protégé.
En 2013, l’Ordre des avocats du Barreau de Bobigny s’est portée partie civile face à une femme condamnée à un an de prison ferme pour escroquerie, exercice illégal de la profession d’avocat et usurpation d’identité. Cette dernière a endossé l’identité d’une ancienne amie pénaliste et s’est présentée comme l’avocate de son amant, l’assistant pour son divorce.
Il en ressort que l’usurpation d’identité ne se développerait pas de manière exponentielle si des mesures de vigilances étaient adoptées et des procédures administratives mises en place dûment respectées.
Dans un arrêt du 14 mars 2011, la CAA de Nancy a reconnu la responsabilité de l’Etat pour un manque de diligence ayant rendu possible une usurpation d’identité. Victime à deux reprises d’usurpation d’identité, M. A a saisi le juge administratif afin qu’il condamne l’Etat pour le manque de diligence dont a fait preuve la préfecture dans les opérations de vérification préalables à l’établissement des documents d’identité. Le responsable du bureau délivrant les cartes nationales d’identité a reconnu lors de l’enquête de police que les vérifications des photographies des demandeurs n’avaient pas été assez approfondies. La Cour a imputé un défaut de vigilance dans l’instruction des demandes de cartes nationales d’identité à l’administration préfectorale, de nature à engager la responsabilité de l’Etat et l’a condamné à verser au requérant la somme de 3 000 € au titre du seul préjudice moral2.
Nadia BELKACEM
1 Myriam Quéméner, Yves Charpenel, Cybercriminalité-Droit pénal appliqué, Pratique du droit, Economica, 2010
2 AJDA, 2011. 864, 25 avril 2011