Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation en date du 12 juillet 2018 (1) a précisé l’étendue des pouvoirs de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) lors de ses contrôles en matière d’assujettissement à l’assurance chômage d’un mandataire social également salarié.
Avant la loi du 13 février 2008 (2), un seul organisme était en charge de la gestion du régime d’assurance chômage, il s’agissait de l’Assedic (3). Cet organisme assurait le versement de l’allocation chômage, le recouvrement (c’est à dire la collecte) des cotisations d’assurance chômage et le contrôle de leur bon versement par les employeurs.
Désormais, ces missions sont réparties entre deux organismes distincts : Pôle Emploi chargé, notamment, de verser l’allocation chômage et l’Urssaf qui recouvre les cotisations d’assurance chômage et s’assure de leur bon versement.
Selon l’article L. 5422-13 du Code du travail et la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage, tout employeur est dans l’obligation d’affilier ses salariés à l’assurance chômage auprès de Pôle Emploi. Cette assurance permet aux salariés, s’ils se retrouvent privés involontairement d’emploi de percevoir, pendant une durée limitée, un revenu de remplacement : l’allocation d’aide au retour à l’emploi. En contrepartie, les employeurs devront prélever des cotisations d’assurance chômage sur les rémunérations de leurs salariés.
Lorsque le salarié est également mandataire social de la société qui l‘emploie, l’employeur peut demander à Pôle Emploi de se prononcer sur l’affiliation à l’assurance chômage de son dirigeant. Dans ce cas, Pôle Emploi va vérifier la réalité du contrat de travail et plus précisément l’existence d’un lien de subordination juridique (4), élément caractéristique du contrat de travail.
Si Pôle Emploi décide que le mandataire social salarié doit être affilié au régime d’assurance chômage, ce dernier devra cotiser à ce régime sur ses rémunérations. En revanche, en cas de refus d’affiliation du mandataire social, aucune cotisation ne sera prélevée sur ses rémunérations au titre de l’assurance chômage.
Dans le cadre de leurs missions, Pôle Emploi et l’Urssaf peuvent être amenés à se prononcer sur la même situation. Dans ce cas, l’Urssaf doit-elle respecter la décision d’affiliation ou de refus d’affiliation d’un mandataire social au régime d’assurance chômage prononcée par Pôle Emploi ?
C’est à cette question que la Cour de Cassation a répondu, dans un arrêt du 12 juillet 2018. Après une analyse des faits à l’origine du litige et de la décision du Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) (5) (I.), il conviendra d’étudier la décision de la Cour de Cassation (II.).
I. Les faits et la décision des juges du fond
En l’espèce, un salarié embauché en tant que consultant en 2012 devient, au cours de la même année, mandataire social de la société qui l’emploie. Le 18 mars 2014, Pôle Emploi a expressément refusé son affiliation à l’assurance chômage. L’organisme a donc constaté l’absence de lien de subordination juridique entre le mandataire social et son employeur.
Cependant, à l’issue d’un contrôle, l’Urssaf a notifié à la société un redressement de cotisations d’assurance chômage sur les rémunérations du mandataire social. L’union de recouvrement a ainsi considéré que le dirigeant était également salarié et que la société aurait dû cotiser à l’assurance chômage sur ses rémunérations.
Par la suite, la société a saisi le TASS afin de faire annuler ce redressement au motif qu’elle a cessé de prélever des cotisations d’assurance chômage sur les rémunérations de son mandataire social afin de se conformer à la décision de refus rendue par Pôle Emploi.
Le tribunal a d’abord rappelé que si un mandataire social ne peut bénéficier de l’assurance chômage en cette qualité, il peut en bénéficier en tant que salarié lorsque son contrat de travail comporte des fonctions techniques distinctes de celles de son mandat social.
Toutefois, le tribunal a considéré que pour justifier son redressement, l’Urssaf aurait dû apporter la preuve du caractère fictif du contrat de travail. Ainsi, le TASS a fait droit à l’employeur en annulant le redressement opéré par l’Urssaf.
L’Urssaf estime que le mandataire social qui est aussi salarié devait, au titre de son contrat de travail, être affilié à l’assurance chômage et que la décision du tribunal est contraire à l’article L. 5422-13 du code du travail qui oblige l’employeur à affilier ses salariés à l’assurance chômage. Dès lors, l’Urssaf a formé un pourvoi en cassation.
II. La décision de la Cour de Cassation
La Cour de cassation a cassé et annulé le jugement du TASS sans pour autant donner raison à l’Urssaf. En effet, elle décide que : « si l’Urssaf peut, lors d’un contrôle, se prononcer sur l’application des règles d’assujettissement au régime d’assurance chômage aux fins de redressement des bases des contributions dues par l’employeur, elle est néanmoins liée par l’appréciation portée par Pôle emploi sur la situation du travailleur ».
La Cour de cassation considère que l’Urssaf peut se prononcer sur les règles d’assujettissement au régime d’assurance chômage dans le cadre de ses contrôles et opérer les redressements qu’elle juge nécessaire mais elle devra s’assurer, le cas échéant, que le redressement respecte la décision d’affiliation prononcée par Pôle Emploi.
Par conséquent, si Pôle Emploi accepte l’affiliation au régime d’assurance chômage du mandataire social salarié, l’Urssaf a l’obligation de collecter les cotisations d’assurance chômage et de redresser en cas de manquement. Cependant, si Pôle Emploi refuse son affiliation, comme c’est le cas en l‘espèce, l’Urssaf ne pourra pas sanctionner l’employeur pour défaut d’affiliation au régime d’assurance chômage.
Dès lors, en décidant que le mandataire social devait être assujetti à l’assurance chômage en ignorant la décision de Pôle Emploi, l’Urssaf a excédé les prérogatives qui lui sont confiées par la loi. En conséquence, la Cour de cassation a annulé le redressement opéré par l’Urssaf.
Cette limitation des prérogatives de l’Urssaf au cours de ses contrôles avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans le cadre d‘un contentieux relatif à l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale. En effet, dans un arrêt du 26 mars 1992 (6), la Cour de cassation a décidé que l’Urssaf était liée par les décisions d’assujettissement prononcées par la Caisse primaire d’assurance maladie lors de ses contrôles.
Au regard de ces décisions de la Cour de cassation, l’Urssaf étant chargée de collecter les cotisations pour le compte de certains organismes gestionnaires de régimes de protection sociale (Pôle Emploi, caisse primaire d’assurance maladie, AGIRC-ARRCO…) (7), elle doit se conformer aux décisions d’affiliation de ces organismes lors de ses contrôles.
(1) Cass. Civ. 2ème, 12 juillet 2018, n°17-16.547
(2) Loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi
(3) Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce
(4) Accord d’application n°12 du 14 mai 2014 pris pour l’application de l’article 48 du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage
(5) Depuis le 1er janvier 2019, l’ensemble des juridictions de Sécurité sociale, dont le TASS, sont remplacées par le Pôle Social du Tribunal de Grande instance
(6) Cass. Soc., 26 mars 1992, n°89-18.793
(7) Organisme gestionnaire de la retraite complémentaire
AGIRC : Association générale des institutions de retraite des cadres
ARRCO : Et association pour le régime de retraite complémentaire des salariés
Sofia IDORANE, étudiante en master 2 droit de la protection sociale d’entreprise.
École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Grégoire DEBRABANT, étudiant en master 2 droit de la protection sociale d’entreprise.
École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne