En ce début d’année 2015, deux événements successifs ont sensiblement modifié la pratique classique en matière de prérogatives gouvernementales, dans le sens d’un étirement de la lettre du texte constitutionnel.
L’action du socialiste Manuel Valls, Premier ministre à la tête du Gouvernement Valls II en place depuis le 25 août 2014, mène à repenser la lecture classique de la Constitution du 4 octobre 1958. Celle-ci réserve au Parlement le pouvoir législatif, alors que le Gouvernement, qui exerce le pouvoir exécutif conjointement avec le Président de la République, dispose de plusieurs mécanismes d’intervention dans la procédure de fabrication des lois afin de remplir un objectif de rationalisation des pouvoirs du Parlement. L’actualité donne l’aval à ce second aspect, dans un but assumé d’offrir une plus grande marge de manœuvre au pouvoir exécutif pour réformer. Cela se fait au détriment du Parlement, qui semble ponctuellement réduit à une simple chambre d’enregistrement. En témoigne la décision du 12 février 2015 du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, précédant de peu le déploiement du mécanisme de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le 17 février 2015.
Réformer par ordonnances
La décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015 rendue par le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution la loi habilitant le Gouvernement à opérer une vaste réforme en droit commun des contrats, par voie d’ordonnance. Ce mécanisme est prévu par l’article 38 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de prendre des actes sur habilitation temporaire du Parlement. Une fois ratifiés de manière expresse par ce dernier, ces actes obtiennent une nature législative. Cette voie constitue un procédé exceptionnel du fait de l’intrusion dérogatoire du pouvoir exécutif dans la procédure législative. Pourtant, le 12 février 2015, à l’appui d’une motivation lapidaire, le Conseil constitutionnel a validé une conception large du caractère exceptionnel du recours au mécanisme des ordonnances. L’habilitation en cause est considérée comme « précisément définie dans son domaine et dans ses finalités » et n’excédant pas les limites qui résultent de l’article 38 (cons. 5), alors même que la loi déférée dessaisit le pouvoir législatif d’un pan majeur du droit des obligations civiles. Son article 8 ne contient que treize points visant des délégations larges, telles qu’ « affirmer les principes généraux du droit des contrats ». Le caractère exceptionnel des ordonnances semble dilué au profit du Gouvernement, qui étire ainsi ses prérogatives en matière de fabrication des lois.
Une contextualisation du projet de loi permet de comprendre les enjeux de cette décision : en mai 2014, la réforme initiée s’était heurtée à de vives réactions de la part des parlementaires [1]. Dès lors, le déploiement de l’article 38 apparaît comme un moyen de contourner l’obstruction parlementaire qui paralysait la procédure législative.
L’audace de cet événement doit être nuancée en cela qu’il rend conforme le droit à la réalité. Alors que la grande majorité des textes de lois sont des projets de lois (déposés par le Gouvernement), le fait majoritaire (selon lequel le Gouvernement dispose d’une majorité de députés) permet au Premier ministre de légiférer indirectement. Ce constat révèle l’importance de la volonté gouvernementale dans la procédure législative, retirant ponctuellement au Parlement la réalité de son pouvoir de fabrication des lois.
Réformer par le 49/3
Le mardi 17 février 2015, Manuel Valls a utilisé l’article 49, alinéa 3 – que le langage courant a rebaptisé « 49/3 ». Ce mécanisme permet au Premier ministre d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur le vote d’un texte de loi, après délibération du Conseil des ministres, entraînant la clôture des débats à l’Assemblée Nationale. Le projet est considéré comme adopté si aucune motion de censure n’aboutit (conditions à l’art. 49, al. 2).
Ce mécanisme avait été initié en 1958 pour servir des gouvernements fragiles face à un Parlement trop puissant, suite aux excès d’une IIIème République déséquilibrée au profit de l’organe législatif. Le rééquilibrage opéré en 1958 avait posé la question de la survie du 49/3, notamment face au confort qu’était censé offrir le fait majoritaire. Utilisée 82 fois depuis 1958, cette procédure ne l’a été qu’1 à 2 fois par chaque Premier ministre depuis 1993, et elle ne l’avait pas été depuis 2006 [2].
En lui-même, le recours au 49/3 n’a rien d’illicite : le mécanisme est prévu de manière claire par la Constitution. Cependant, il révèle une certaine conception de la pratique du pouvoir. Une coloration anti-démocratique s’attache au 49/3, en tant qu’il revient à contourner la volonté générale en principe exprimée par les 577 députés, élus au suffrage universel direct. Que cette procédure soit conçue comme la subsistance d’un ordre ancien ou comme un mécanisme nécessaire de la Vème République, y recourir est antinomique d’aisance politique. Tel fut le cas de Manuel Valls, ici face à une majorité fragilisée par les « frondeurs » menaçant de voter contre le texte. C’est dans ce contexte délicat que le 17 février, la loi Macron a bénéficié de l’accélération de procédure permise par ce mécanisme. La motion de censure n’ayant pas abouti, le texte est considéré comme adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale ; de sorte qu’il ne reste qu’au Sénat à faire de même.
Alice GIRARDOT
Pour en savoir plus :
Site du Conseil constitutionnel → « A la une » → Mars 2015 : « Les ordonnances de l’article 38 »
Site gouvernement.fr → « Actualité » → 17 février 2015 : « L’article 49-3, comment ça marche ? »
Exergue :
« Vers une réduction du Parlement à une simple chambre d’enregistrement »
Illustration de l’article :
http://www.assemblee-nationale.fr/presse/photos.asp
Image nommée « Le fronton de la colonnade »
Images nommées « L’Hémicycle » numéro 2, 3 ou 4.
[1] « Droit des contrats : la réforme maudite ? », par Félix Rome, Recueil Dalloz, n°18, 15 mai 2014.
[2] Par Dominique de Villepin pour sa loi sur le Contrat Premier Embauche.