Le traité CETA : vers une atténuation des critères sociaux et environnementaux dans la commande publique ?

Alors que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada doit prochainement entrer en application, en attendant celui en cours de négociation avec les Etats-Unis, les stipulations de ce traité ne sont pas exemptes d’impact potentiel sur le droit de la commande publique.

Le 30 octobre 2016, le traité CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) a été signé par Donald Tusk, Président du Conseil Européen, et Justin Trudeau, Premier ministre du Canada. Premier du genre conclu avec l’une des premières puissances économiques mondiales, il vise avant tout à supprimer les barrières économiques, notamment douanières, entre l’Union européenne et le Canada.

Un chapitre de l’accord est consacré aux marchés publics. Si un certain nombre de dispositions sont consacrées à l’ouverture, aux entreprises de l’Union Européenne, de l’accès aux marchés publics du Canada, d’autres visent à harmoniser les régimes de la commande publique. Ceci concerne notamment les critères sociaux et environnementaux. Quels effets le traité peut-il avoir sur le droit européen de la commande publique ? Dans quelle mesure contribuent-ils à l’affirmation d’un droit des marchés publics comme un droit globalisé ?

Des préoccupations présentes dans le droit français de la commande publique

Dans la lignée de l’ancien droit des marchés publics, l’ordonnance du 23 juillet 2015, transposant les directives de l’Union européenne du 26 février 2014 [1], ouvre la possibilité d’intégrer à l’achat public des préoccupations sociales et environnementales.

Dans le cadre de la dévolution de son marché, l’acheteur public peut retenir des considérations sociales et environnementales.  Exemple parmi d’autres, l’article 30 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 prévoit que la définition préalable des besoins de la personne publique, étape indispensable avant le lancement de la consultation, doit « prendre en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ». De même, l’article 6 du décret du 25 mars 2016 prévoit que les spécificités techniques du marché public « sont formulées (…) en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles » et « peuvent inclure des caractéristiques environnementales ou sociales ».

Ces préoccupations environnementales et sociales s’expriment également  lors de l’exécution du marché, en témoigne l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui prévoit que « les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public ».

Ainsi, l’acheteur public dispose d’outils lui permettant d’opérer un achat empreint de considérations sociales et environnementales, et en premier lieu encrer l’achat dans une dynamique de développement durable.

Une préoccupation secondaire du traité CETA

Dans le traité CETA, cette préoccupation n’est retenue qu’à la première étape de passation d’un marché public évoqué précédemment. Les critères environnementaux et sociaux sont absents des conditions d’exécution du marché.

Si la définition préalable des besoins n’est pas mentionnée en tant que tel dans le traité, l’entité contractante – l’acheteur au sens du droit de l’Union européenne – a néanmoins la possibilité de préciser des caractéristiques environnementales, conformément à l’article 19.9 du traité,  afin « d’encourager la préservation des ressources naturelles ou protéger l’environnement ».

Toutefois, ce même article encadre l’usage des spécifications techniques. Ainsi, « une entité contractante n’établit, n’adopte ni n’applique de spécifications techniques ni ne prescrit de procédures d’évaluation de la conformité ayant pour but ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce international ». Si cette dernière ne vide pas de sa substance le principe, elle peut rendre ineffective un certain nombre de spécifications.

Par ailleurs, la prise en compte des critères environnementaux entre le Canada et l’Union européenne est différente. En effet, si la loi canadienne prévoit que les organismes publics tiennent compte, à partir d’une « évaluation préalable des besoins qui soit adéquate et rigoureuse […] des orientations gouvernementales en matière de développement durable et d’environnement ». Cette volonté ne se concrétise pas néanmoins dans l’existence de critères réellement contraignants, du moins clairement prédéfinis [2]. Cette différence de contrainte crée le risque d’une impossibilité technique des entreprises canadiennes à respecter des spécificités techniques environnementales plus strictement définies par une entité contractante européenne ; ce qui conduirait précisément à créer des obstacles au commerce international. Or, les spécificités entravant le commerce international sont interdites.

De surcroît, la définition même de ces spécificités techniques semble problématique dans le cas où il y a une importation de produits d’un continent à l’autre notamment les marchés de marchandises prévus à l’article 19.2 du traité CETA, où le coût environnemental du transport est déjà très important. En droit français, le coût environnemental du transport ne favorise pas l’attribution d’un marché public à une entreprise locale pour deux raisons. D’une part, le prix du transport ne dépend pas exclusivement de la situation géographique des zones mais aussi du mode de transport choisi. D’autre part, l’impact énergétique du transport doit être apprécié dans la globalité de l’offre [3].  Le CETA n’apporte aucune précision sur l’importance du coût environnemental du transport dans le cadre des importations de produits entre le Canada et l’Union européenne. Cette absence pose la question de la pérennité des spécificités techniques.

En outre, les petites et moyennes entreprises subiront cette spécificité comme une contrainte supplémentaire puisqu’elles disposent de peu de ressources [4]. Celles-ci auront encore plus de difficultés que les autres entreprises pour accéder à un marché public étranger.  Cela suscite des interrogations, l’ineffectivité de certaines dispositions peut contribuer à l’instauration d’un climat d’insécurité juridique, d’autant plus que le traité est désormais application provisoire.

Dès lors, la conclusion du traité CETA risque de produire des effets susceptibles de rentrer en conflit avec certaines orientations de l’Union européenne. Cet accord participe au renforcement d’un droit des marchés publics globalisé, déjà initié par l’Accord sur les marchés publics (AMP) conclu sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce en 1994.

Pour autant, la question de l’efficience d’un droit globalisé des marchés publics reste ouverte face au manque d’ouverture des marchés publics de certains Etats parties à l’AMP, comme le Canada et les Etats-Unis [5] et à l’absence d’effet direct, empêchant leur invocation lors d’un contentieux devant une juridiction nationale [6]. Ceci prend tout son sens puisqu’un traité semblable, le TAFTA, est en cours de négociation avec les Etats-Unis.

Quentin HULOT
Master 2 Droit Public des Affaires – Université Toulouse 1 Capitole

[1] Directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et directive 2014/25/UE  relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux
[2]http://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-gestion-contractuelle/autres-exigences/developpement-durable-et-environnement/
[3] http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-4715QE.htm
[4] L’accès aux marchés publics reste laborieux pour les PME, Les Echos, 8 juillet 2015
[5]  Tableau 1 : Part des marchés publics ayant fait l’objet d’un engagement d’ouverture
[6]
Fascicule 2261 : Union européenne et organisation mondiale du commerce -aspects matériels (Lexis Nexis)

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