Plusieurs compagnies privées commercialisent des tests génétiques qui identifient, dans l’ADN du consommateur, des mutations dont la présence a été associée à des pathologies ou à des traits humains normaux. Quels en sont les impacts sociétaux ?
Depuis 2006, des tests génétiques en accès libre (TGAL) sont apparus sur le marché. Ils sont effectués à partir d’un échantillon de salive prélevé et retourné par le consommateur, qui reçoit une interprétation de ses données génétiques personnelles quelques semaines après.
Les données, conservées par la compagnie, sont accessibles au consommateur à qui est offert un service de conseil.
On voit immédiatement les problèmes potentiels que le manque d’encadrement de ces pratiques commerciales peut générer en ce qui concerne le respect de la vie privée des individus et la protection de leur propriété personnelle.
Le génome est l’ensemble du matériel génétique contenu dans l’ADN cellulaire. La génomique est l’étude du fonctionnement des gènes à l’échelle du génome. La génétique concerne l’étude de la transmission des caractères héréditaires.
Les mutations propres à chaque individu définissent le polymorphisme génique. Elles participent à la signature génomique et à l’identité génétique individuelle.
Nos sociétés sont-elles prêtes à libérer des tests génétiques ?
Les progrès scientifiques induits par le séquençage du génome humain ont permis de banaliser les procédés d’analyse du génome et de développer des kits offrant à tout un chacun la possibilité d’explorer son patrimoine génétique, sans prescription médicale.
Les entreprises américaines, qui furent pionniers dans ces domaines, ont proposé une multitude de tests à caractère médical, basés sur la recherche de mutations considérées comme des facteurs de prédisposition, car elles sont fréquentes dans l’ADN de patients atteints d’une même pathologie. L’identification précoce de mutations responsables de maladies héréditaires avait déjà permis une meilleure gestion des possibilités d’intervention anténatales et du traitement des malades. Le fait que 50% des femmes porteuses d’un gène BRCA muté développent un cancer du sein[1] avait d’ailleurs conduit l’actrice A. Jolie à procéder à une mastectomie[2].
Les opposants aux TGAL ont immédiatement avancé que les consommatrices, insuffisamment informées[3], puissent être affectées psychologiquement à la connaissance de tels résultats et réclament aussi une mastectomie sans avis médical.
L’importante médiatisation de ce cas a probablement été un facteur déclenchant dans la décision de la FDA d’interdire la vente des TGAL à caractère médical aux USA[4].
Les violentes controverses déclenchées par cette décision et les critiques injustifiées de scientifiques et médecins à l’égard des TGAL[5] ont montré à quel point les divergences sont profondes vis-à-vis des changements sociétaux que ces tests pourraient initier.
Le temps a montré que ces attaques étaient injustifiées et il est admis aujourd’hui que les tests génétiques sont fiables et validés scientifiquement.
Un tel débat aurait-il pu avoir lieu en France ou en Europe ?
La régulation des tests génétiques en France et en Europe
En France, les tests génétiques sont effectués uniquement dans un cadre médical, judiciaire ou de recherche (articles L1131-1 à 7 CSP). L’art. 16-10 C.civ, et l’art. 226-25 C.pén interdisent de fait les TGAL. Le problème de l’opportunité des TGAL ne se pose donc pas dans le contexte actuel.
L’inadéquation des dispositions juridiques européennes, qui n’ont pas suivi les profondes modifications sociétales induites par les progrès de la génétique moléculaire, est illustrée par l’hétérogénéité des transpositions nationales de la Directive 98/79EC au sein de l’UE.
En Allemagne, en Suisse ou au Portugal, les tests génétiques ne peuvent être effectués qu’après prescription médicale, alors qu’en Belgique, en Grande-Bretagne, en Grèce ou en Slovénie, ils sont en accès libre.
La proposition de Règlement européen devant remplacer la Directive rendrait obligatoire la prescription des tests génétiques par « des personnes habilitées à exercer une profession médicale ».
Quel futur pour les tests en accès libre ?
L’adoption ou le maintien de dispositions interdisant la mise en vente de tests génétiques semble anachronique à une époque où ils ont la faveur d’un public grandissant qui souhaite gérer sa santé de manière proactive.
L’interdiction de ces tests favorisera un « tourisme génétique » difficilement contrôlable à l’heure de l’internet, vers des pays plus permissifs qui n’offrent pas toujours des cadres juridique et médical satisfaisants.
Il faut pouvoir garantir, au niveau mondial, le respect de la liberté de chacun à obtenir et disposer comme il l’entend de l’information contenue dans son génome, tout en lui en offrant les moyens de protéger son patrimoine héréditaire.
Rappelons à cet égard que le profil génétique d’un individu ouvre l’accès aux données génomiques des autres membres de la famille, proche ou éloignée.
Aujourd’hui, une réflexion doit être entamée pour renforcer le concept de propriété individuelle des données génétiques, que j’appellerai la « propriété du soi ». Il doit être largement adopté et renforcé comme garant de la dignité humaine.
Il a été admis, au niveau international, que l’ADN humain ne peut faire l’objet d’un brevet. La séquence d’un génome et les mutations qu’il contient, ne peuvent être protégées. Si une application résultant de l’interprétation des données peut faire l’objet d’un dépôt, l’obtention, par 23andMe, d’un brevet concernant la prédisposition à la maladie de Parkinson[6], sans que les propriétaires des données aient été consultés, a été très mal perçue.
Le droit communautaire a confirmé l’indisponibilité et l’inaliénabilité du corps humain, auquel le droit français reconnaît un statut juridique dans l’art. 16-1 C. civ et une protection contre les tiers avec les lois de bioéthique.
Aux USA, certains Etats reconnaissent la propriété individuelle des données génétiques et fixent les conditions de leur cession.[7]
Quelles dérives et quels excès doit-on prévenir ?
L’émergence d’une nouvelle économie internationale fondée sur l’usage d’internet a déjà bouleversé de nombreuses pratiques commerciales. Libéraliser l’accès aux tests génétiques prédictifs ne signifie en aucun cas qu’ils ne doivent pas être soumis aux contrôles des pratiques scientifiques et commerciales concernant la validation des tests, les conditions de publicité et les termes des contrats proposés aux consommateurs.
Les données génétiques représentent une manne financière considérable.
Les compagnies affirment ne pas céder les données personnelles collectées lors des tests. Et pourtant… le Dr J. Harper rapporte avoir été contactée par une compagnie lui proposant des bas de contention immédiatement après qu’un test, effectué par 23andMe, ait révélé une prédisposition à la thrombose veineuse.
Les bénéfices générés par la cession de données personnelles sont considérables, comme le montre le chiffre d’affaire de Google.
Les informations collectées ne peuvent permettre aucune discrimination, de la part des employeurs, ou pour des assurances privées et médicales. Le consommateur ne doit pas être la victime de pratiques qui violeraient l’éthique et les droits de l’Homme.
Le Big Data permet des recoupements de données indépendantes et on peut s’interroger sur la garantie d’anonymisation des données génétiques dans un monde où les individus manifestent une véritable frénésie à afficher les plus intimes aspects de leur vie privée sur des réseaux sociaux, qui ne leur fournissent qu’une illusion de confidentialité.
L’établissement des profils génétiques constitue une source d’information nouvelle dont on mesure mal la puissance à l’heure actuelle, même si l’on peut prédire que les enjeux seront considérables. Les choix scientifiques et politiques qui seront faits engageront l’avenir de l’humanité. A ce titre, ils devront tenir compte des sensibilités philosophiques, morales et éthiques de tous.
Bernard PERBAL – GREDEG CNRS UNice
- Bellivier C. Noiville (2006) Contrats et vivant
B Perbal Direct to consumer genetics in our future daily life. J Cell Commun Signal. (2014) 8:275-87
B Perbal Pour une liberté surveillée des tests génétiques. Lextenso sous presse
[1] Association of Type and Location of BRCA1 and BRCA2 Mutations With Risk of Breast and Ovarian Cancer. JAMA. 2015;313(13):1347-1361.
[2] Ablation totale du sein
[3] Environ 10% seulement des femmes ayant un cancer du sein ont un gène BRCA muté. La présence d’une mutation n’implique pas nécessairement que le porteur développe la pathologie considérée. C’est la notion épidémiologique de risque.
[4] Inspections, Compliance, Enforcement, and Criminal Investigations Warning letter 2013 23andME
[5] Les TGAL étaient qualifié de trompeurs, inutiles,dénués de sens, et sans fondement médical
[6] (U.S. 8,187,811 B2)
[7] Foley and Lardner LLP (2014) Privacy Issues in the Sharing of Genetic Information