Deux mois après les attentats les plus meurtriers jamais commis sur le sol français depuis la seconde Guerre Mondiale, totalisant un nombre de 130 morts et plus de 350 blessés, la question de l’après se pose. Après l’urgence des premières semaines en matière de soins, d’assistance psychologique des victimes et de leurs proches, la réflexion se porte sur la façon dont ceux-ci seront pris en charge par le système de protection sociale français. Cette prise en charge se décompose en deux garanties principales : le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) et les assurances privées des victimes.
Le rôle prépondérant du Fonds de garantie
Les attentats de novembre dernier ont souligné, une fois de plus, le rôle essentiel joué par le Fonds de garantie. En effet, après ce tragique épisode, le Fonds devra traiter autant de dossiers que depuis sa création en 1986, soit environ 4000 dossiers1. Le Fonds avait déjà ouvert près de 135 dossiers à la suite des attentats de Charlie Hebdo et 50 après l’attaque du musée du Bardo en Tunisie. En termes d’indemnisation, le FGTI a pour l’instant versé 4,15 millions d’euros aux victimes.
Si selon Bernard Cazeneuve le Fonds n’aura aucune difficulté à faire face financièrement à cette vague de demandes, la taxe sur les contrats d’assurance permettant son financement est néanmoins passée de 3,30 euros à de 4,30 euros depuis le 1er janvier 2016.
Le Fonds a pour mission d’indemniser les victimes d’attentats survenus depuis le 1er janvier 1985 2. Si l’attentat est perpétré sur le territoire national, la nationalité des victimes n’a aucun impact. En revanche, s’il se produit à l’étranger, seules les victimes françaises pourront prétendre à indemnisation.
Le Fonds travaille en étroite collaboration avec le Procureur de la République. Ce dernier doit informer le Fonds des circonstances de l’attentat et de l’identité des victimes. Le FGTI prend alors immédiatement contact avec la victime ou sa famille en vue d’enclencher la procédure d’indemnisation. Néanmoins, toute personne peut s’adresser directement au Fonds si elle s’estime victime. Les victimes et les ayants droits disposent d’un délai de 10 ans à compter de la date de l’attentat pour saisir le Fonds.
Le Fonds indemnise intégralement les dommages corporels des victimes blessés. Le déroulement de l’indemnisation dépend de la nature de l’atteinte à la victime. S’il s’agit d’une blessure avec guérison sans séquelle, l’indemnisation se basera sur les certificats médicaux produits par la victime, les justificatifs des restes à charges, mais également les pertes de revenus engendrés. S’il s’agit en revanche d’une blessure avec séquelle, l’indemnisation est plus complexe. Dans un premier temps, le Fonds versera une ou plusieurs indemnités prévisionnelles. Puis, une fois l’état de la victime consolidé, celle-ci reçoit un décompte détaillé de l’indemnité proposé après examen du rapport médical établi par le médecin conseil. Enfin, en cas de décès de la victime, les ayants droit se voient indemniser leur préjudice moral, les frais d’obsèques, les frais restés à leurs charges ainsi que le préjudice économique.
Une fois l’offre formulée par le Fonds, les victimes ont le choix. Elles peuvent accepter, discuter ou refuser l’offre d’indemnisation. Si elles refusent, les tribunaux détermineront le montant.
Par exemple, un blessé léger peut percevoir environ 52 000 euros ; un blessé grave avec des séquelles physiques peut prétendre à 900 000 euros d’indemnisation. Quant aux ayants droit, à l’instar du cas d’une épouse et de ses trois enfants, ils ont pu percevoir 765 000 euros 3.
Néanmoins, malgré le rôle tout à fait primordial de l’indemnisation des victimes dans leurs démarches de rétablissement, Maitre Dominique Attias explique que le calcul des indemnités peut être vécu comme une « violence supplémentaire » par les victimes, notamment car « l’indemnisation définitive peut virer au parcours du combattant »4.
Enfin, un décret du 3 janvier 2016 est venu consacrer la gratuité des soins pour les victimes présentes sur des lieux d’acte de terrorisme. Ce décret permet de simplifier les modalités de prises en charge des victimes : c’est désormais la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés qui est chargée de coordonner l’action des organismes d’assurance maladie.
La reconnaissance d’un préjudice exceptionnel aux victimes
Selon Marie-France Steinle-Feuerbach, Maître de conférence à l’Université de Haute Alsace, « le droit à une réparation des victimes s’inscrit dans des dispositifs ad hoc » face à l’insuffisance du droit commun. Cela explique notamment l’apparition du préjudice exceptionnel. En 1987, le Professeur Liliane Daligand énonçait que « la violence, la brutalité, la soudaineté d’un attentat sont des facteurs de risques sur l’évolution psychologique de celui qui en est victime. Encore plus que pour une victime d’accident du trafic, ou d’agression, ces facteurs sont susceptibles de déclencher de véritables névroses d’effroi, comparable à celles retrouvées en temps de guerre ».25
Une étude épidémiologique en 1987 a mis en évidence que, sur un total de 254 blessés lors d’attentats entre le 1er janvier 1982 et 1987 rue des rosiers à Paris, chez les personnes gravement blessées, la fréquence d’apparition de stress post-traumatique est de 30%, soit plus élevée que celle chez les combattants américains du Vietnam. 6
La création d’un nouveau poste de préjudice personnel permet la réparation du syndrome post-traumatique. Ce syndrome correspond aux effets psychologiques persistants de l’acte de terrorisme, et se caractérise notamment par un syndrome de répétition (cauchemars, réminiscences), une attitude de repli sur soi et des troubles psycho somatiques (irritabilité, troubles du sommeil, troubles de la concentration, culpabilité…). Depuis 1996, ce préjudice est appelé « préjudice spécifique d’acte de terrorisme ».
Ce préjudice exceptionnel est pris en charge par le FGTI de façon systématique et le montant de l’indemnisation a été fixé forfaitairement à 40% du capital représentant l’évaluation de l’incapacité permanente partielle.
L’articulation entre le Fonds et les assureurs privés
Les dommages matériels ne sont pas pris en charge par le Fonds, mais par les contrats d’assurance couvrant les biens endommagés (article L 126-2 du Code des assurances). Les contrats d’assurance garantissant les dommages d’incendie et les pertes d’exploitation après incendie comportent une clause obligatoire concernant la garantie attentat et acte de terrorisme. Néanmoins, il existe très souvent dans ces contrats une clause d’exclusion du risque d’attentat7. Dans ce cas, les ayants droit ne toucheront aucune indemnisation.
Afin d’être indemnisées, les victimes doivent immédiatement prévenir leurs assurances par lettre recommandée. Celui-ci prendra alors la mesure des sinistres et décidera ou non de dépêcher un expert sur les lieux. En cas de dommages conséquents, l’assuré est libre de se faire conseiller par l’expert de son choix, aux frais de l’assureur8.
Les victimes et leurs familles peuvent se tourner vers leurs assureurs également s’ils sont titulaires de contrats comme l’assurance-décès ou une protection contre les accidents de la vie courante.
Les assurances privées sont en contact avec le Fonds afin d’établir une coordination efficace pour les demandeurs. Lors d’évènements aussi dramatiques, les associations d’aides aux victimes jouent un rôle tout à fait essentiel d’accompagnement immédiat des victimes. Les conséquences corporelles peuvent parfois être longues à se stabiliser, notamment concernant le stress post traumatique, les assureurs privés doivent alors faire le lien avec le FGTI et les associations.
L’ensemble de ces acteurs doit se coordonner afin de faciliter l’indemnisation des victimes des attentats et assurer son efficience. Il n’en reste pas moins que le calcul de l’indemnisation peut être complexe selon les préjudices subis. Cela nécessite alors des expertises, contre-expertises et d’attendre que l’état soit enfin stabilisé. Cela peut s’avérer particulièrement éprouvant pour les victimes.
Chloé Rossat
1Les Echos, « Attentats : l’indemnisation des victimes a commencé », 20/11/2015.
2 Site internet de la Fédération française des sociétés d’assurance.
3 Les Echos, 20/11/2015, exemples fictifs.
4 Le Monde, « Le calcul des indemnités, une « violence supplémentaire » pour les victimes », le 19/11/2015.
5 Propos issus de son article « A situations exceptionnelles, préjudices exceptionnels, réflexions et interrogations ».
6 Etude épidémiologique nationale, 1987, INSERM.
7 Roxane Delamare, chef de projet chez Acommeassure.
8 Eric Lemaire, conseiller AXA.