Sous l’impulsion de Gordon Brown et de Nicolas Sarkozy et suite aux différentes réunions du G20 dont celle du 25 août dernier, l’idée d’une taxe sur les bonus versés aux traders au titre de l’année 2009 a germé des deux côtés de la Manche et s’est concrétisée en ce début de mois de février 2010.
Le texte, débattu devant les Assemblées à l’occasion du Collectif budgétaire sur le grand emprunt, prévoit la taxation à hauteur de 50% des bonus versés aux opérateurs de marché au titre de l’année 2009. Sont concernés, les bonus attribués au titre de 2009 quelles que soient leur composante (en cash ou en action) et quelle que soit leur date de versement. Etant exceptionnelle cette taxe ne s’appliquera qu’aux bonus calculés par rapport aux performances de 2009 et sera déductible de la base IS des établissements de crédit. La ministre de l’économie et des finances ne s’interdit pas de proroger cette éventuelle disposition.
Cette taxe est critiquée juridiquement à deux niveaux : sur son caractère prétendument discriminatoire et sur son aspect rétroactif.
Tout d’abord, le contrôle d’une éventuelle discrimination s’effectue sur 2 plans : la cohérence du dispositif au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur et la proportionnalité de la mesure. L’objectif de cette loi est le renforcement des fonds propres des banques, la responsabilisation des acteurs financiers et la volonté que les banques se concentrent sur leur métier traditionnel qui est d’emprunter à court terme pour prêter à long terme ; les activités spéculatives sont ainsi clairement visées. Pour cela, La France comme à son habitude utilise l’outil fiscal pour contraindre les banques à utiliser d’une autre manière leurs fonds. Un montant important de fonds propres étant le meilleur moyen de réduire le risque systémique inhérent aux banques il y a un réel objectif d’intérêt général. L’allocation des 360 millions d’euros prévus semble également cohérente dans la mesure où, en vertu d’un amendement gouvernemental voté par les députés, cette somme sera affectée à la banque publique OSEO chargée de financer les PME dans un contexte de « credit crunch ». De plus, le fait que ce ne soit pas le trader qui soit l’assujetti à cette taxe mais la banque elle-même est très important, cela permet de contrer un éventuel problème de proportionnalité et d’égalité pour ce nouveau dispositif. Le texte de loi prévoit effectivement que ce soient les établissements de crédit et les entreprises d’investissement établis en France qui soient redevables de cette taxe.
Ensuite, quant au caractère rétroactif de cette taxe, l’article 2 du Code Civil dispose en effet : «la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » mais le Conseil Constitutionnel a maintes fois répété que ce principe n’avait qu’une valeur législative et qu’ainsi, n’importe quel autre texte de loi pouvait le contredire ( « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s’oppose à ce qu’une disposition fiscale ait un caractère rétroactif » (déc. n°84-184 DC, 29 déc.1984)). Néanmoins le Conseil Constitutionnel, malgré son refus de consacrer un principe général de « sécurité juridique » se livre généralement à un examen serré des lois rétroactives afin de prévenir les effets les plus contestables qu’elles peuvent emporter sur les droits des contribuables. Ainsi, même si le fait générateur de l’imposition est en 2009 cette taxe pourrait néanmoins être validée par le Conseil Constitutionnel en cas d’un éventuel recours constitutionnel dans la mesure où l’effet contestable paraît difficile à mettre en exergue.
Cette taxe, très politique, n’a donc pas fini de faire couler de l’encre, les vifs débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat la concernant en sont l’illustration parfaite …
Yann Auregan
Matthieu Lafont
Pour en savoir plus |
Article Professeur Salins : http://www.latribune.fr/opinions/20100112trib000461173/quand-les-bonus-servent-de-bouc-emissaire.html
Rapport présenté par Gilles Carrez sur le Collectif budgétaire 2010 : http://www.assemblee-nationale.fr |