Récemment par un arrêt du 9 décembre 2015 (n°14-29.615) la Cour de cassation a étoffé sa jurisprudence portant sur les taux d’intérêt conventionnels des crédits immobiliers. Elle a considéré que le point de départ du délai de prescription quinquennal (1) de l’action en nullité de la stipulation des intérêts conventionnels d’un crédit immobilier prend effet au jour où l’emprunteur a connu ou aurait du connaître l’erreur de calcul dans le taux effectif global.
Il existe en pratique un important mais très discret contentieux portant sur les intérêts conventionnels dans les crédits à la consommation et les crédit immobiliers. Il s’agit de la conséquence d’une négligence quasiment systématique du prêteur dans le calcul du taux effectif global (le TEG).
• La notion de TEG
Le taux effectif global (TEG) est un taux fixé par un établissement de crédit permettant à un emprunteur d’évaluer le coût total d’une opération de crédit immobilier (2). Ce taux systématiquement présent sur les offres préalables de crédit, sur les publicités ainsi que sur les contrats de crédit est aujourd’hui l’origine d’un contentieux encore marginal entre les établissements de crédit et leurs usagers.
Le TEG est un taux strictement encadré qui ne peut pas dépasser le taux d’usure fixé par la Banque de France (L313-3 du Code de la consommation). Dans son principe, ce taux vise à regrouper l’intégralité des frais liés à la souscription du contrat de prêt.
L’article L. 313-1 du Code de la consommation dispose que le taux effectif global est constitué outre du taux d’intérêt, « des frais, commissions et rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt ». Cela signifie par exemple qu’au taux d’intérêt peuvent s’ajouter les montants des souscriptions de parts sociales ou encore inclure les cotisations d’assurance si une telle souscription est obligatoire pour l’obtention du crédit.
• Le calcul erroné du TEG
Malgré un contentieux assez rare, très souvent les TEG stipulés dans les conventions de crédit immobilier ne sont pas conformes aux exigences du Droit français. Plusieurs études en la matière tendent à démontrer que les TEG stipulés dans le cadre des crédits immobiliers sont faux dans la grande majorité des cas. Les avocats spécialistes dans ce type de litiges considèrent qu’il existe une fourchette de taux erronés allant de 50% à 70% des contrats conclus entre un prêteur professionnel et son emprunteur.
En général, les erreurs de calcul de TEG ne sont pas causés par une volonté du prêteur d’optimiser ses bénéfices mais plus simplement par la difficulté d’établir avec certitude ce taux. Les nombreux facteurs pris en compte dans le calcul font peser un risque conséquent sur le prêteur de deniers qui peut aisément omettre d’inclure un élément et ainsi voir le taux erroné.
• La sanction d’un TEG erroné
Il apparaît au regard de la jurisprudence actuelle que le juge se montre particulièrement sévère avec les établissements de crédit immobilier quand le taux effectif global n’est pas conforme.
En cas de litige, la Cour de cassation refuse d’admettre la nullité du prêt si le TEG a été mal calculé (3). Elle privilégie une sanction « plus douce » pour le prêteur en ce que les juges du fond doivent prononcer à leur discrétion la déchéance totale ou partielle des intérêts conventionnels prévus. Ils seront alors remplacés par le taux légal minimal en vigueur fixé en décret par le ministre de l’Économie (4) (L.313-2 du Code monétaire et financier) sur la base du taux directeur de la Banque Centrale Européenne et des taux pratiqués par les établissements de crédit et sociétés de financement. Une telle substitution de taux d’intérêt a des conséquences pratiques énormes. Par exemple, un contrat qui aurait été conclu à un TEG erroné de 3,5% en 2013 a pu être ramené par le juge au taux légal qui était alors de seulement 0,04%. Ainsi, sur des crédits immobiliers avec un montant relativement important (achat d’une maison, d’un immeuble… ), un justiciable peut économiser des milliers voire des dizaines de milliers d’euros.
En guise de garde-fou, la Cour de cassation contrôle la gravité des erreurs commises dans le taux effectif global. Elle considère depuis une décision du 24 novembre 2014 (n°13-23.033) qu’un écart entre le taux stipulé et le taux réel doit être supérieur à la décimale pour que le TEG soit ramené au taux légal par application de l’article R. 313-1 du Code de la consommation. Cet arrêt illustre la volonté du juge de luter contre les abus dans les recours contre les préteurs. Il ne faudrait pas que sous couvert de justice on en vienne à fragiliser de manière excessive la stabilité juridique des contrats passés avec établissement de crédit.
• Perspectives d’avenir
Avec le mouvement de libéralisation de la société française et de l’Union européenne qui semble se profiler à l’horizon, il n’est pas inconcevable que le contentieux des TEG erronés se généralise. A ce jour, il existe d’ores et déjà des cabinets d’avocats spécialisés dans ce type de conflits. Ils proposent notamment aux emprunteurs de vérifier, le plus souvent gratuitement, si le TEG de leur contrat de crédit immobilier a été justement calculé ou non. S’il s’avère comporter des erreurs significatives, ces cabinets proposent d’agir en justice contre le créancier professionnel fautif. Ils laissent une alternative au consommateur lésé entre la possibilité d’un accord amiable avec le prêteur ou l’engagement d’une action judiciaire contre ce dernier. Il s’agit d’un contentieux qui peut s’avérer parfois très lucratif puisque les emprunteurs peuvent obtenir une économie substantielle en voyant le taux d’intérêt ramené au minimum légal. Dans certains cas, les emprunteurs ont vu la facture de leur prêt de crédit immobilier être réduite de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Il reste aujourd’hui très difficile de s’attaquer directement à un établissement bancaire et les procédures sont très onéreuse. Seuls des crédits portant des montants importants ont un intérêt à être portés devant les tribunaux. Dans les autres cas, il peut être coûteux et préjudiciable de dégrader les relations avec son banquier. On peut néanmoins s’interroger sur la possibilité de voir un jour le succès d’une Class action au sens de la loi Hamon de 17 mars 2014 à l’encontre des différents établissements de prêt immobilier par des consommateurs-emprunteurs exaspérés.
Maxime DRUON.
(1) Article 1304 du Code civil : délai quinquennal de prescription.
(2) : Règles relatives au crédit immobiliers → articles L. 312-33 et suivants du Code de la consommation
(3) : Décision de la 1ère Chambre civile du 23 novembre 1999 (n°97.14.955)
(4) : Actuellement de 1,01% pour le 1er semestre de 2016
Pour aller plus loin :
Site de la Cour de cassation, Les sanctions civiles de nature à assurer la protection des consommateurs en matière de crédit, par Mme Marie-Sophie Richard