Une obligation de mise en garde est à la charge du banquier dispensateur de crédit, et ce, « depuis le milieu des années deux mille »[1]. Cette obligation, assez développée en jurisprudence, prend en compte les « risques nés de la défaillance de l’emprunteur »[2]. Encore faut-il être en présence d’un endettement excessif et d’un client non averti. Par effet de vases communicants, le sort réservé à la caution – qui s’engage envers le créancier à remplir l’obligation du débiteur principal « pour le cas où celui-ci n’y aurait pas lui-même satisfait »[3] – mérite bien des éclaircissements. Telle est la tonalité de l’approche jurisprudentielle qui opère depuis ces derniers mois, une distinction majeure entre l’action d’une caution qui reproche à une banque d’avoir consenti un soutient abusif au débiteur principal, et celle en responsabilité pour manquement à son devoir de mise en garde[4]. Le champ d’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce est-il extensif au point d’inclure l’action en responsabilité d’une caution fondée sur un défaut de mise en garde ? Les dispositions de cet article s’appliquent lorsqu’une caution reproche à une banque d’avoir accordé un soutien abusif à un débiteur principal, mais sont inopérantes dans le cadre d’une action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde du banquier.
Le droit positif témoigne in globo, de nombreux moyens de défense pour permettre à la caution de se désengager et ainsi se prémunir d’éventuelles poursuites des créanciers. Le renouveau de la parade du retrait litigieux est un bon exemple, avec plus[5] ou moins[6] de succès. Quoi qu’il en soit, la non-ingérence du banquier vigilant est l’archétype d’une pensée doctrinale se voulant concilier un devoir de non-ingérence qui reste exonératoire et une autonomie des obligations de vigilance du banquier[7]. Et pourtant, malgré les efforts des dispensateurs de crédits, la surprotection des cautions, victimes d’un défaut de mise en garde, continue à déséquilibrer l’édifice du droit bancaire. Les cautions non averties sont-elles surprotégées ? Un auteur au fait de ces questions, résume bien les choses, que « les compétences et l’expérience de la caution sont plus importantes que ses fonctions »[8]. Pour notre part, nous pensons que la Haute juridiction a viré sa cuti, oubliant la protection fonctionnelle originelle au profit d’une surprotection subjective (1.), au point de rendre cette dernière, imperméable à toute tentative de contournement (2.).
1 – Une surprotection trop subjective
À première vue, il n’est pas illogique de qualifier – voire présumer – de caution avertie une gérante de société[9], un associé cogérant[10] ou un administrateur nommé même « trois mois avant la signature de l’engagement de caution litigieux »[11]. Suivant ce raisonnement, il est inconcevable de déduire de la seule qualité d’épouse du dirigeant et d’associée[12], une qualification de caution avertie. Malgré tout, la jurisprudence a glissé avec assurance d’une approche fonctionnelle vers une approche purement subjective[13], l’établissement ou non qu’une caution est avertie ne se déduit plus uniquement de la seule qualité d’associé[14]. Sur ce point, la charge de la preuve que la caution est avertie repose sur le créancier.
Le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond est déterminant, retenant par exemple : « l’absence de formation particulière et d’expérience de la caution en matière de gestion de société ». Or, même si elle a le statut de dirigeante de société et peu importe qu’elle eut besoin d’un « cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels », il n’est pas démontré au vu de son pseudo curriculum vitae qu’elle avait les compétences requises pour « mesurer les enjeux réels et les risques liés à l’octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution »[15]. Une caution non avertie est une « qualité non nécessairement incompatible avec celle de dirigeant social »[16].
Un auteur[17] fait un parallèle judicieux avec une jurisprudence de 2012[18], même si les faits de l’époque font apparaître d’autres critères, beaucoup plus nombreux : ils « étaient jeunes »; « salariés ou l’avaient été »; « étant au chômage »; « semblaient n’avoir aucune expérience des affaires en général et du domaine particulier … que la banque n’a entrepris aucune investigation supplémentaire et n’apporte aucun élément » prouvant qu’ils n’avaient aucune formation ou une quelconque expérience de gestion.
Par comparaison des deux cas précités – qui n’ont que cinq ans d’écart – les termes « gestion de société » sont bien plus précis que ceux d’« expérience des affaires en général ». Nous assistons à une précision à outrance, les termes génériques ne suffisent plus. En outre, les faits de l’espèce la plus récente[19] évoquent une récurrence dans le cautionnement de la gérante, d’une part pour l’acte de prêt servant à financer la création d’un commerce et d’autre part, pour la facilité de caisse, et ce, à quelques mois d’intervalle. Toutefois, la solution jurisprudentielle n’indique aucune dissociation de traitement des deux cautionnements ou de gradation de l’engagement, alors que perseverare diabolicum[20] …
De façon presque transparente, il demeure aussi une ambiguïté insupportable : que les juges ont en réalité sanctionné une faute de la banque qui résulterait du fait « que le dirigeant de l’agence ayant consenti le prêt était personnellement intéressé à sa conclusion et que l’agence elle-même en a finalement profité »[21]. Dans une certaine mesure, nous pouvons spéculer que la subjectivité accrue pour qualifier in concreto la caution de non avertie, n’a été qu’un prétexte pour sanctionner un éventuel profit indu, et ce, en s’exonérant de développer en quoi il le serait. Certes, il pèse sur l’établissement bancaire une obligation de mise en garde de la caution profane concernant les risques d’endettement issus de l’octroi d’un prêt, vis à vis de sa capacité financière. Toutefois, cette obligation n’est pas de mettre en garde la caution profane contre les risques de profits qu’elle pourrait dégager par l’octroi d’un crédit.
Tout force à croire qu’à l’image du contentieux relatif au calcul du taux effectif global (TEG) dans lequel « les juges préfèrent … de façon constante … se positionner sur la prescription »[22], les faits précités dénotent aussi une tendance plus vaste à dévier l’angle du contentieux. Il est superficiel de penser que la caution est véritablement non avertie sachant qu’en pratique « les dirigeants de sociétés … se portent très fréquemment caution personnelle des dettes de leur société »[23]. De quelque manière que cela soit, l’ensemble contribue à l’imperméabilité de la protection à l’excès des cautions non averties.
2 – Une surprotection imperméable
La mise en cause de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, devient une forme de réflexe légal à un actionnement de la caution, faisant fréquemment écho, à une procédure collective du débiteur. C’est une parade incisive en cas de « manquement de la Caisse à son obligation de mise en garde »[24]. L’automatisme jurisprudentiel est d’une banalité grandissante, à l’image du bénéfice de la suspension des poursuites en sauvegarde[25] ou redressement judiciaire[26], pour des cautions personnes physiques. En sus, la doctrine souligne que la caution peut tout aussi « invoquer le défaut de déclaration de créance du créancier qui les poursuit »[27]. C’est pourquoi, la diversité des moyens de défense dont dispose aujourd’hui la caution, imposerait une relecture de sa fonction primaire.
La tendance du droit bancaire est à l’image de la substitution en droit interne de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel en cas d’erreur de calcul du taux effectif global (TEG) dans les contrats de prêts[28]. L’idée directrice correspond de plus en plus à la mis en place de réponses standardisées, dématérialisées, déshumanisées avec des schémas jurisprudentiels dont il est impossible de s’extraire. Suivant cette logique, la Haute juridiction écarte par exemple – « au terme d’une analyse téléologique de l’action en responsabilité »[29] – l’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce, car il n’est pas reproché au créancier d’avoir soutenu abusivement le débiteur.
En adoptant cette orientation, l’argumentaire ébranle l’irresponsabilité de principe concédée à un créancier qui accorde un crédit à un débiteur qui connaît des difficultés. Le vocable des juges est assez clair, tout en étant laconique. L’action en responsabilité exercée par la caution sur la base d’un défaut de mise en garde tend à obtenir la réparation « d’un préjudice de perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement » et « non la réparation d’un préjudice subi du fait du prêt consenti »[30]. C’est pourquoi, « les deux actions sont donc fondamentalement différentes »[31] et que la réponse est abordée sous l’angle de la réparation. En clair, la caution ne reproche pas à la banque d’avoir consenti un soutien abusif au débiteur, ce qui aurait permis une application du texte précité, la jurisprudence l’ayant déjà admis par le passé[32]. Par conséquent, « il ne s’agit donc pas du préjudice subi du fait du prêt consenti, seul préjudice visé par cet article »[33].
Pourtant, nous avons le même sentiment exprimé avec virtuosité par un auteur, que la Haute juridiction « adopte finalement une motivation fort peu convaincante » car « la responsabilité de la banque vis-à-vis de la caution est contractuelle ». En conséquence, la solution dégagée est surréaliste, puisqu’elle « revient à consacrer une espèce de responsabilité de plein droit de la banque vis-à-vis de la caution pour simple dommage à elle causé »[34], sans prendre position sur le caractère fautif de l’octroi du prêt. Il faut nuancer ce propos, le domaine d’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce, n’est pas visé, et c’est pourquoi il est inopérant. La Haute juridiction n’a pas dévié vers une interprétation extensive du texte, même si l’imprécision textuelle, sa « généralité »[35] laissait une fenêtre d’ouverture.
Peut être, qu’exprimé de cette manière, le courant jurisprudentiel récent gagne en clarté. En effet, sous cet angle, il est donc loin d’être un « « cadeau » fait aux établissements de crédits », comme le souligne de longue date un auteur sur la base de ce fondement[36]. Tout dépend donc du choix d’action engagée par la caution. Il faut donc avoir un conseil éclairé pour diriger habilement une telle parade. Un commentateur s’interroge en droit prospectif, sur l’extension ou non de la solution, « lorsque l’action émanera non de la caution mais de l’emprunteur non averti »[37]. Un élément de réponse est donné dans l’application du texte lui même, qui n’est pas concevable pour « la relation entre la caution et le créancier mais seulement à celle entre le débiteur et ce dernier »[38].
Pour notre part, le problème se situe plus largement dans le découragement jurisprudentiel des banques à soutenir les entreprises qui rencontrent des difficultés, en amenuisant le champ d’existence de leur irresponsabilité de principe. Fort à parier que les banques réfléchiront à deux fois pour accorder plus de prêts ou de facilité de caisse, « si les cautionnements les garantissant étaient frappés d’inefficacité »[39]. D’un autre côté, il est un peu excessif de croire qu’il s’agit d’une prime à l’irresponsabilité des cautions dirigeantes. Par exemple, le Tribunal de commerce de Créteil fait preuve de sévérité en retenant sèchement, aucune tempérance pour une caution pourtant non avertie au motif discutable « qu’elle avait accompagné ses demandes par des documents (étude prévisionnelle, plan de financement et étude de marketing) réalisés par des professionnels avertis »[40]. Dans l’espèce qui a fait grand bruit[41], cette thèse (recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels) avait été sans incidence sur le caractère non averti de la caution. Il n’y a pas transmission du caractère averti.
Au final, la caution n’est pas pleinement gagnante, l’exécution de son engagement n’est pas supprimé. Et il faut admettre que de façon maladroite, la Haute juridiction tente d’endiguer certaines dérives des juges du fond, une complaisance jaugée et non jugée trop grande entre les commerçants et les banques. Nul doute que la dette garantie restera supérieure aux chiffrages des dommages-intérêts que la caution est susceptible d’obtenir après parfois un interminable contentieux. Il n’y a pas modération du quantum mais uniquement « compensation … pour limiter la somme due à la banque dans la seule mesure de la perte de chance. Une victoire en demi-teinte donc »[42]. Une défaite à demi-mot pour la banque.
Joël GAUTIER,
Avocat au barreau de Paris & Chargé d’enseignement à l’Université de CAEN
Philippe LÉTIENNE,
Juriste & Doctorant en droit privé
[1] J. LASSERRE CAPDEVILLE M. ROUSSILLE Crédit – Généralités et crédits aux entreprises JCl. Banque Crédit Bourse 25 sept. 2017 point 26
[2] Cass. civ. 1ère, 18 oct. 2017 n°16-13.512
[3] G. CORNU Vocabulaire juridique 7ème éd. Puf 2006 p.136 ; Art. 2298 C. civ.
[4] Cass. com. 12 juill. 2017 n°16-10.793
[5] Cass. com. 12 juill. 2016 n°14-26.174
[6] Cass. com. 20 avr. 2017 n°15-24.131
[7] J. GAUTIER P. LÉTIENNE La non-ingérence du banquier vigilant [Bancaire] Point de vue… Lexbase Hebdo éd. aff. n˚457 10 mars 2016 N°Lexbase : N1690BWI
[8] G. PIETTE Responsabilité du créancier pour défaut de mise en garde de la caution : l’article L. 650-1 du Code de commerce est étranger à l’affaire Lexbase Hebdo éd. aff. n°521, 07 sept. 2017 N° Lexbase : N9913BW3
[9] Cass. com. 17 févr. 2009 n°07-20.935
[10] Cass. civ. 1ère, 06 sept. 2017 n°16-19.063
[11] Cass. com. 25 oct. 2011 n°10-24.791
[12] Cass. com. 20 sept. 2017 n°16-13.493
[13] Cass. com. 27 nov. 2012 n°11-25.967
[14] Cass. com. 17 mai 2017 n°15-25.775; Cass. com. 13 sept. 2017 n°16-10.918
[15] Cass. com. 12 juill. 2017, n°16-10.793; Panorama de Jurisprudence JCP E. n°36, 07 sept. 2017, 1472
[16] X. DELPECH Les dispositions de l’article L. 650-1 du code de commerce ne s’appliquent pas à l’action en responsabilité engagée par la caution Dalloz Actu. 15 sept. 2017
[17] F. PETIT Le domaine de l’article L. 650-1 du Code de commerce ne s’étend pas à l’action en responsabilité de la caution fondée sur un défaut de mise en garde Lettre d’actualité des Procédures collectives civiles et commerciales n°14, sept. 2017, alerte 217
[18] Cass. com. 13 nov. 2012 n°11-24.178
[19] Cass. com. 12 juill. 2017 n°16-10.793
[20] Référence à l’adage « Errare humanum est, sed persevere diabolicum est » « L’erreur est humaine, mais persévérer est diabolique »
[21] M. MIGNOT Le champ d’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce L’ESSENTIEL Droit bancaire 02 oct. 2017 n°9 p. 1 ID : DBA110v4
[22] J. GAUTIER P. LÉTIENNE Levée de boucliers en faveur du banquier : critique de l’automaticité de la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel Petites affiches 13 oct. 2016 n°205 p. 6 ID : LPA120y1
[23] M. CAFFIN-MOI Interprétation stricte de l’immunité des banques pour concours consenti L’ESSENTIEL Droit des contrats 05 oct. 2017 n°09 p. 3 ID : DCO110y2
[24] Cass. com. 04 mai 2017 n°15-22.830
[25] Art. L. 622-28 al. 2 C. com.
[26] Art. L. 631-14 al. 1er C. com.
[27] Cass. civ. 1ère, 03 juill. 2013 n°12-21.126; F. PETIT Le domaine de l’article L. 650-1 du Code de commerce ne s’étend pas à l’action en responsabilité de la caution fondée sur un défaut de mise en garde Lettre d’actualité des Procédures collectives civiles et commerciales n°14, sept. 2017, alerte 217
[28] J. GAUTIER P. LÉTIENNE Levée de boucliers en faveur du banquier : critique de l’automaticité de la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel Petites affiches 13 oct. 2016 n°205 p. 6 ID : LPA120y1
[29] T. FAVARIO L’action en responsabilité dérivée du devoir de mise en garde dû à la caution non avertie échappe à l’attraction de l’article L. 650-1 du Code de commerce L’ESSENTIEL Droit des entreprises en difficulté 1er oct. 2017 n°09 p. 5 ID : DED110z6
[30] Cass. com. 12 juill. 2017 n°16-10.793
[31] P. ROUSSEL GALLE L’article L. 650-1 ne s’applique pas à l’action en responsabilité de la caution non avertie Revue des sociétés 2017 p.527
[32] Cass. com. 28 janv. 2014 n°12-26.156
[33] Responsabilité du dispensateur de crédit envers la caution pour défaut de mise en garde BRDA 17/17 Francis Lefebvre, 1er sept. 2017
[34] M. MIGNOT Le champ d’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce L’ESSENTIEL Droit bancaire 02 oct. 2017 n°9 p. 1 ID : DBA110v4
[35] Responsabilité pour soutien abusif : défaut de mise en garde d’une caution D. 2017 p.1469
[36] D. ROBINE L’article L. 650-1 du code de commerce : un « cadeau » empoisonné ? D. 2006 p. 69
[37] T. FAVARIO L’action en responsabilité dérivée du devoir de mise en garde dû à la caution non avertie échappe à l’attraction de l’article L. 650-1 du Code de commerce L’ESSENTIEL Droit des entreprises en difficulté 1er oct. 2017 n°09 p. 5 ID : DED110z6
[38] M. MIGNOT Le champ d’application de l’article L. 650-1 du Code de commerce L’ESSENTIEL Droit bancaire 02 oct. 2017 n°9 p. 1 ID : DBA110v4
[39] X. DELPECH Les dispositions de l’article L. 650-1 du code de commerce ne s’appliquent pas à l’action en responsabilité engagée par la caution Dalloz Actu. 15 sept. 2017
[40] TC CRETEIL 13 nov. 2012 RG n°2011F00652
[41] Cass. com. 12 juill. 2017 n°16-10.793
[42] M. CAFFIN-MOI Interprétation stricte de l’immunité des banques pour concours consenti L’ESSENTIEL Droit des contrats 05 oct. 2017 n°09 p. 3 ID : DCO110y2