Dans leurs activités, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) sont dorénavant soumises au régime général de la commande publique résultant de l’ordonnance du 23 juillet 2015 [1] et du décret du 25 mars 2016 [2], sous réserve d’adaptations motivées par les spécificités du secteur. Celles-ci sont précisées par deux décrets du 01 mars [3] et 03 mai 2016 [4] relatifs à la régulation des contrats dans le secteur des autoroutes et à la passation des marchés par les concessionnaires, pris en application de l’article 13 de la « loi Macron » du 6 août 2015 [5]. A cette occasion, il convient de s’arrêter sur les évolutions notables de la régulation des marchés passés par les concessionnaires pour les besoins de la concession [6].
L’obligation de publicité dans la passation des sous-contrats.
Par dérogation au régime général exonérant les concessionnaires de travaux de l’obligation de mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence dans le choix de leurs sous-contractants, l’article 13 de la « loi Macron », et ses décrets d’application encadrent l’attribution des sous-contrats par les sociétés concessionnaires d’autoroutes. A compter du 1er avril 2016, pour les marchés de travaux, fournitures ou services, les concessionnaires seront tenus, de sélectionner leurs sous-contractants via des procédures de publicité et de mise en concurrence.
Toutefois, plusieurs exceptions sont prévus, la principale étant celles relatives aux marchés dont la valeur estimée du besoin est inférieure aux seuils de 500 000 € HT pour les marchés de travaux et de 240 000 € HT pour les marchés de fournitures ou de services. En d’autres termes, ces seuils sont ceux d’engagement des procédures formalisées par dérogation au droit commun de la commande publique. De même, ne sont pas soumis à l’obligation de publicité et de mise en concurrence certains marchés publics négociés comme ceux des services juridiques de représentation [7].
Ces dispositions dénotent l’attention des pouvoirs publicsaux recommandations formulées par la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence tendant à mieux encadrer les SCA dans la passation de certains sous-contrats. Ainsi, l’Autorité de la concurrence relevait que « les marchés de travaux, qu’ils soient d’un montant inférieur ou supérieur au seuil de mise en concurrence, sont fréquemment attribués à des entreprises liées aux SCA » et considérait que « les choix faits par les SCA dans l’application de leurs obligations de mise en concurrence sont discutables ». [8]
La mise en œuvre de ces dispositions répond à la volonté d’assurer le libre accès d’opérateurs économiques indépendants des concessionnaires historiques, regroupés en trois grandes entités – Vinci Autoroutes, APRR, Sanef – , aux marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ceci implique notamment l’exercice d’une concurrence effective et loyale lors de la passation des sous-contrats.
Les procédures de passation des sous-contrats.
Les décrets d’application de la « loi Macron » renvoient, dans de nombreuses hypothèses, aux procédures de droit commun telles que définies par le décret du 25 mars 2016 pris en application de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Toutefois, plusieurs adaptations ont été faites, tenant, notamment, aux conditions de recours. Ces spécificités allient de manière paradoxale un mouvement d’ouverture et une logique restrictive d’accès.
D’une part, l’accès à la procédure concurrentielle avec négociation et à celle du dialogue compétitif sont facilités pour les sociétés concessionnaires. Ces dernières peuvent y recourir, en outre des hypothèses définies par le droit commun de la commande publique, pour tous les marchés de travaux dont la valeur estimée du besoin est inférieure à 2 millions d’euros HT. Au-delà de ce seuil, l’appel d’offres est obligatoire pour les marchés de travaux.
D’autre part, les sociétés concessionnaires d’autoroutes se voient restreintes dans le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence. Alors que le droit commun subordonne l’accès à cette procédure aux nombreuses hypothèses décrites aux alinéas I à IV de l’article 30 du décret du 25 mars 2016, les sociétés concessionnaires d’autoroutes ne peuvent y recourir que dans le cadre des deux premiers alinéas de ce même article. De plus, le recours aux procédures adaptées n’est ouvert, dans le secteur autoroutier, qu’aux marchés de travaux excluant de cette procédure les marchés de fournitures et de services.
Cette logique restrictive ne concerne pas uniquement l’accès aux procédures adaptées. De manière plus marginale, le recours à l’appel d’offres restreint est également conditionné.
L’instauration conditionnée de Commissions des marchés.
Le renforcement de la régulation des contrats dans le secteur des autoroutes se traduit par l’instauration de commissions des marchés. Celles-ci sont conditionnées par des seuils tenant à la longueur du réseau concédé. Deux seuils de 50 km ou de 200 km sont applicables selon le régime juridique du marché passé faisant l’objet de la procédure de passation.
L’objectif de transparence qui sous-tend la régulation des contrats dans le secteur des autoroutes exige une indépendance des membres des commissions des marchés. Les commissions sont également composées d’un représentant de la DGCCRF sans voix délibérative et présidées par un des membres nommé par la société concessionnaire d’autoroutes.
Ces structures sont chargées de définir les règles internes de passation et l’exécution des marchés de travaux, fournitures et services. A ce titre, elles fixent les conditions dans lesquelles il peut être recouru à la procédure d’appel d’offres restreint. De même, les commissions des marchés doivent établir leurs règles de fonctionnement et de consultation pour avis sur la passation des marchés ou la conclusion d’avenants.
De manière exhaustive, le décret du 03 mai 2016 [9] précise les actes soumis au contrôle des commissions des marchés. Ces dernières rendent des avis pour lesquels le concessionnaire ne peut refuser de suivre que par une décision de son conseil d’administration ou de son conseil de surveillance.
Les commissions des marchés doivent établir un rapport annuel d’activité dans lequel sont rappelées les modalités d’exercice de leurs missions ainsi que les moyens dont elles disposent. Le rapport annuel liste également les marchés attribués au cours de l’année, les procès-verbaux de chacune des séances de l’année. Ce rapport est transmis à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
L’ARAFER, un régulateur à la hauteur de ses missions ?
L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ci-après « ARAFER ») est définie par le législateur comme la gardienne d’une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés de travaux, fournitures ou services par un concessionnaire d’autoroute pour les besoins de la concession.
D’une part, l’Autorité exerce un contrôle sur les actes des commissions des marchés. Les règles internes de passation, et d’exécution des marchés ainsi que celles relatives au fonctionnement et à la consultation des commissions, sont soumises pour avis à l’ARAFER. L’Autorité rend un avis conforme dans un délai de deux mois, à l’expiration duquel l’avis est réputé favorable.
D’autre part, l’ARAFER connait les marchés passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes et avenants préalablement à leur signature. A la saisine de l’Autorité, un délai de 18 jours courts, à l’expiration duquel les sociétés concessionnaires peuvent signer le marché.
En outre, l’ARAFER a pour mission de garantir l’indépendance des membres des commissions des marchés. L’Autorité s’assure de l’absence de lien direct ou indirect entre les membres et l’ensemble des acteurs de la procédure de passation des sous-contrats (société concessionnaire, soumissionnaires ou candidats, Etat).
Toutefois, la capacité du régulateur à réaliser les missions qui lui sont confiées semble limitée. En effet, de l’aveu de l’ARAFER, un renforcement de ses capacités d’action est nécessaire pour mener à bien la rénovation du secteur autoroutier. Avant l’entrée en vigueur du décret du 1er mars 2016 relatif à la régulation des contrats dans le secteur des autoroutes, l’ARAFER, saisie du projet, a rendu un avis défavorable. Cependant, le décret publié au Journal Officiel écarte les principales recommandations formulées par l’ARAFER tenant notamment aux délais d’instruction.
Ainsi, l’ARAFER dispose d’un délai d’un mois pour étudier la composition des commissions et de deux mois pour analyser les règles édictées par ces dernières. Au titre de ses recommandations, le régulateur préconisait respectivement des délais de 2 et 3 mois pour mener à bien ses missions. Celui-ci mettait en exergue le nombre important des demandes qui lui seront formulées à l’instauration des commissions. L’inadaptation des délais se justifiait également par l’application de la règle « silence vaut acceptation », y compris pour les avis conformes.
La régulation des contrats dans le secteur des autoroutes est établie, la pratique doit être faite.
Stéphane NAUDIN.
Etudiant en Master 2 Droit Public de l’Economie de l’Université Panthéon-Assas (Paris II).
[1] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
[2] Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
[3] Décret n° 2016-234 du 1er mars 2016 relatif à la régulation des contrats dans le secteur des autoroutes
[4] Décret n°2016-552 du 3 mai 2016 relatif à la passation des marchés par les concessionnaires d’autoroutes
[5] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
[6] Ne sont visés, dans notre propos, que les marchés de l’article L. 122-12 du Code de la voirie routière, soit « les marchés de travaux, fournitures ou services passés par un concessionnaire d’autoroutes pour les besoins de la concession ».
[7] Art. R. 122-30 du Code de la voirie routière résultant du décret du 03 mai 2016 précité.
[8] Avis n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires.
[9] Art. R. 122-36 du Code de la voirie routière.