Sonorisation de locaux de garde-à-vue et loyauté de la preuve

Le 6 mars 2015, l’Assemblée plénière en proclamant le principe de loyauté de l’enquête a affirmé que la fin ne justifie pas les moyens en matière de répression de la criminalité. Étaient ici en cause le droit de se taire et le droit de ne pas s’auto-incriminer.

Dans la présente affaire, un juge d’instruction avait autorisé par ordonnance motivée la sonorisation de deux cellules voisines, dans lesquelles deux gardés à vue suspectés de vol avec armes avaient été placés afin de favoriser leurs échanges et ainsi les enregistrer. La « rébellion » des juges du fond contre la décision de la Chambre criminelle du 7 janvier 2014 entraîna l’intervention de la formation la plus solennelle de la Cour de cassation. Saisie de la question de savoir si la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de suspects dans des cellules contiguës et de leur sonorisation constitue un procédé déloyal dans la recherche des preuves, l’Assemblé plénière[1] rappela avec force et autorité que «le placement, durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal d’enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves ».

UN CONTOURNEMENT NON CONFORME AUX DROITS DE LA DEFENSE

Cette décision importante tend à garantir le droit de ne pas s’auto-incriminer, c’est à dire de ne pas contribuer à sa propre accusation en apportant des preuves contre soi. Cette nouvelle pierre à l’édifice apportée à la construction de la théorie de la loyauté de la preuve en matière pénale conduira davantage à s’attacher à une conception stricte du respect des règles de droit dans les procédés utilisés au cours de la phase d’enquête[2].

Selon les mots de l’avocat général à l’audience, « le gardé à vue se trouve temporellement, juridiquement et géographiquement dans un lieu de droit »[3]. La combinaison de la sonorisation et de la garde à vue caractérise ainsi une atteinte au principe de loyauté. Ce cumul a en effet conduit à évincer les droits fondamentaux du gardé à vue. La conjugaison de mesures révèle un stratagème, un processus visant à contourner le droit de ne pas s’auto-incriminer. En cassant la décision, la haute juridiction contribue ainsi à forger une justice pénale respectueuse des règles de droit, notamment dans la phase particulière de la garde à vue.

FOCUS SUR LE PRINCIPE DE LOYAUTE DE LA PREUVE

La Cour de cassation a établi une distinction claire concernant l’exigence de loyauté dans la production des preuves : les parties privées peuvent apporter des preuves même lorsqu’elles ont été obtenues de façon illégale ou déloyale tandis que les agents publics doivent se conformer au principe de loyauté dans la recherche et l’administration de la preuve[4]. La censure d’un stratagème actif de la police s’opère au visa du droit à un procès équitable (article 6§1 de la CESDH[5]).

Classiquement, la jurisprudence de la chambre criminelle distingue entre d’une part la provocation à la preuve, stratagème passif, admis et d’autre part la provocation à la commission de l’infraction, interdite car déloyale. Au stade préliminaire, l’efficacité même de l’enquête autorise la ruse mais le policier soumis à une obligation de loyauté ne peut cependant faire usage de procédés s’apparentant à la provocation qu’à la condition qu’ils soient expressément autorisés par la loi (par ex. l’infiltration de l’article 706-81 du CPP). Toutefois, et bien qu’il ne s’agissait pas ici de provoquer une infraction mais simplement sa preuve, la Cour de cassation déclare le procédé déloyal, précisément car il faisait obstacle au droit de ne pas s’auto-incriminer.

   David CHIAPPINI

 

 

[1]                      Cass.Ass. 6 mars 2015, n°14-84.339

[2]              F.Desportes, La loyauté dans l’enquête, p.25 « Justice et cassation 2014 ».

[3]                      Cf. l’avis de l’avocat général de D.Boccon-Gibod

(www.courdecassation.fr).

[4]                        C.Ambroise-Castérot, «  La preuve : une question de loyauté ? » AJ pénal 07/2005 P.265

[5]                      Cf. CEDH 9 juin 1998, Texeira de Castro c/ Portugal.

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