La loi n° 2015-990 du 6 août 2015[1], dite loi MACRON, promulguée le 6 août 2015, a marqué les esprits et les pages des commentateurs, tant par sa nouveauté que par les modifications qu’elle a pu apporter.
Au titre des nombreuses évolutions rendues effectives par cette loi, il en est une qui est primordiale : il s’agit de la possibilité offerte au Gouvernement de mettre en place et faciliter la création de sociétés interprofessionnelles (aussi appelées sociétés pluriprofessionnelles d’exercice). L’article 65 de cette loi indique en effet que, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de huit mois, les mesures pour « faciliter la création de sociétés ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d’huissier de justice, de notaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d’expert-comptable ».
Ce fut chose faite puisque le 31 mars 2016 fut rendue une ordonnance sur les sociétés pluri-professionnelles[2], son article 3 permettant l’insertion, dans la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990[3], d’un article 31-3 énonçant qu’« il peut être constitué une société ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d’huissier de justice, de notaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d’expert-comptable. Une telle société est dénommée société pluri-professionnelle d’exercice ». En sont exclues les structures de commissariat aux comptes.
L’interprofessionnalité constitue ainsi une mutualisation, au sein d’une même structure d’exercice, des savoirs et compétences entre les professionnels du droit et du chiffre, en vue de leur collaboration « dans le respect d’un partenariat, afin d’optimiser les réponses à apporter aux besoins d’un client [4] ». Il est ainsi plus facile d’affronter les nouvelles technologies et le développement de plus en plus accru des plateformes de service juridique.
Ces sociétés sont soumises à plusieurs règles dont nous verrons que certaines posent des difficultés en pratique :
Tout d’abord, ces sociétés peuvent revêtir toute forme sociale, hormis celles octroyant la qualité de commerçant à leurs associés. Cette règle apparaît logique et découle de l’exercice même de ses associés puisque les professionnels du droit et du chiffre concernés ne peuvent eux-mêmes pas avoir le statut de commerçant ;
Ensuite, la composition du capital de ces sociétés répond à des exigences strictes au titre desquelles il est prévu que toute participation financière doit être permise aux seules personnes exerçant les professions concernées. Il est également établi qu’il n’existe aucune limitation de capital, ni aucune règle de contrôle imposées. Cette liberté offerte est porteuse de dangers dans le sens où l’ordonnance ne prévoit aucun montant minimum en matière de capital pour la constitution d’une telle société. Il est donc possible de constituer un capital social qui s’avérera par la suite insuffisant pour affronter les exigences bancaires s’imposant à la société ;
De plus, la structure de gouvernance de ce type de société devra inclure au minimum un associé remplissant les conditions requises pour exercer la profession concernée ;
En outre, les statuts devront prévoir un règlement interne de résolution des conflits d’intérêts et seront préservées les règles déontologiques applicables à chaque profession. Il convient de s’arrêter sur ce dernier point particulier dont on parvient difficilement à cerner les limites. En effet l’article 31-10 de l’ordonnance susvisée prévoit les règles applicables en matière de protection du secret professionnel. C’est ainsi que « le professionnel exerçant au sein de la société une des professions qui en constituent l’objet social est tenu aux obligations de loyauté, de confidentialité ou de secret professionnel conformément aux dispositions encadrant l’exercice de sa profession ».Cette exigence est ainsi, même dans ce type de société, fondamental. En effet, le client fait toujours appel à un professionnel déterminé dont il attend toujours le même professionnalisme et le même respect des règles déontologiques, peu important son association avec d’autres confrères.
Une exception est toutefois posée à ce principe. En effet, le professionnel peut communiquer à d’autres professionnels « toute information nécessaire à l’accomplissement des actes professionnels et à l’organisation du travail au sein de la société dans l’intérêt du client » lorsque deux conditions sont cumulativement remplies :
- le client doit avoir été préalablement informé de cette communication et
- ce dernier doit avoir donné son accord.
Si ces conditions ne sont pas remplies, le professionnel commet une faute en divulguant l’information à un autre professionnel. Face à cette exigence limitée apparaissent des difficultés pratiques. En effet, l’ordonnance n’apporte aucune précision sur ce qu’il convient d’entendre par « accomplissement des actes professionnels » et « organisation du travail au sein de la société ». Ces notions sont évidemment floues et risquent d’entrainer des interprétations plus ou moins larges qui devront être tranchées par les juges. Ainsi, l’unique garde-fou reste celui de la mise au courant et de l’accord préalable du client à la divulgation de l’information le concernant. Reste à savoir en pratique si cette double contrainte n’est pas trop légère et si le client ne serait pas en réalité amené à donner son accord alors que la divulgation irait à l’encontre de son intérêt. Ce risque est malheureusement à prévoir et face à un client non assez avisé il y a fort à parier que cette violation du secret professionnel aille en défaveur du client, bien que ce dernier ait donné son accord préalable.
Enfin, afin de palier à une possible « guerre entre les professions[5] », il a été prévu que l’alliance de ces professionnels doit respecter l’intégrité des missions et l’indépendance de l’exercice professionnel. A ce titre, le président du syndicat des Avocats Conseils d’entreprise et membre du bureau du Conseil national des barreaux, Monsieur William FEUGERE, considérait que « chacun doit s’engager à ne pas exercer, à titre accessoire, l’activité de l’autre pour que cela fonctionne ». Les conflits d’intérêts doivent ainsi être évités et il ne doit exister aucun contrôle hiérarchique entre professionnels appartenant à des professions différentes. Chaque professionnel détient une compétence exclusive dans son domaine et aucun professionnel exerçant une activité différente ne saurait interférer dans son champ de compétence. Il en va de même des tarifications et honoraires pratiqués.
Reste à savoir si la mise en marche de telles sociétés apportera satisfaction et si les dérives précitées, inhérentes à leurs pratiques seront efficacement résolues, sans porter atteinte à l’objectif premier de telles structures.
Laetitia Maroussie
[1] Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
[2] Ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l’exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; JORF n°0077 du 1 avril 2016, Texte n°51 ; NOR: EINC1602680R : consultable sur le site https://www.legifrance.gouv.fr/eli/ordonnance/2016/3/31/EINC1602680R/jo/texte
[3] Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales
[4] http://interprofessionnalite.unblog.fr/2009/09/09/definition-de-linterprofessionnalite/
[5] Article publié sur Dalloz actualité, 10 février 2015, « La loi Macron signe-t-elle la fin de la « paix des braves » entre avocats et experts-comptables ? », A. PORTMANN