La décision du Conseil d’Etat du 4 mai 2016 (n°387466) a permis de préciser l’étendue du secret professionnel de l’avocat en cas de contrôle de l’administration fiscale : si ce secret protège l’identité des clients ainsi que la nature des prestations réalisées pour leur compte par le cabinet, celui-ci ne couvre pas les éléments relatifs à leur domiciliation, notamment en cas d’irrégularité des pièces comptables produites par le contribuable.
Bien souvent lourd de responsabilité, le secret professionnel de l’avocat, consacré par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1970, reste et demeure l’un des piliers nécessaires de la profession. Imposant un silence monacal en ce qui concerne les informations personnelles, voire confidentielles, relatives aux clients de l’avocat, ce mutisme forcé existe dès lors exclusivement « pour la protection du justiciable […], à l’instar du secret médical qui protège le patient »[1].
Pierre angulaire de la relation de confiance qui peut, et doit, s’instaurer entre l’avocat et celui qui le mandate, il semble néanmoins certain que ce secret ne peut être considéré de façon absolue, notamment face à l’une des fonctions les plus régaliennes de l’Etat : le prélèvement de l’impôt. L’administration fiscale étant dans la nécessité de disposer des pouvoirs les plus étendus afin de récupérer la contribution citoyenne auprès des personnes qui seraient tentés de s’y soustraire, le secret professionnel de l’avocat ne peut dès lors qu’être tiraillé entre deux impératifs : d’un coté, la protection des informations inhérentes au contribuable ayant fait appel aux services d’un avocat, de l’autre la nécessaire transparence des informations de ce même contribuable vis à vis de l’administration étatique incarnée par le ministère des finances.
S’il est vrai que, sous certains aspects, ce secret professionnel tend à se réduire (à titre d’exemple récent, en matière d’écoutes téléphoniques : affaire Versini-Campinchi et Crasnianski c/ France, requête n° 49176/11)[2], il convient de constater qu’il conserve de sa vigueur en matière fiscale, comme a pu le montrer le Conseil d’Etat dans sa décision du 4 Mai 2016 (CE, 4 mai 2016, Sté X, n° 387466).
En l’espèce, un cabinet d’avocat s’était vu retirer le bénéfice d’une exonération de Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) suite à une vérification de la comptabilité ayant mis en exergue l’existence de prestations de services facturées à des clients établis aux Bermudes. Le Tribunal administratif de Paris, tout comme la Cour d’Appel Administrative de Paris, ayant rejeté les demandes du cabinet visant à annuler les rappels de TVA, celui a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, qui a cassé l’arrêt de la juridiction d’appel, en affirmant qu’« en jugeant que le secret professionnel ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale demande à la société requérante de produire tout élément permettant d’identifier les preneurs des prestations litigieuses, alors que seuls des éléments relatifs à la domiciliation des entités ayant payé les prestations pouvaient, compte tenu des différences constatées avec les mentions figurant sur les factures, lui être demandés, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit au regard des dispositions précitées du livre des procédures fiscales ».
Ainsi, s’il est vrai que ce secret reste vigoureux de part une résistance issue de la jurisprudence du juge administratif en ce qui concerne l’identité du client de l’avocat en matière fiscale (I), cette vigueur ne constitue en aucun cas un absolu, comme la Haute Juridiction a pu le rappeler en l’espèce (II).
I)La protection des informations permettant l’identification du client face à l’administration fiscale
C’est l’article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales qui fonde le pouvoir des agents de l’administration fiscale à demander des informations aux « personnes dépositaires du secret professionnel », comme l’est l’avocat fiscaliste. Dès lors, ce même article précise qu’il est possible de requérir « toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature ». De ce fait, cet article semble couvrir un champs d’application particulièrement vaste, en dehors d’une unique exception posée explicitement par le texte (« [Les agents de l’administration des impôts] ne peuvent demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes »). La décision du Conseil d’Etat du 4 Mai 2016 permet ainsi d’encadrer ce texte de loi en précisant sa portée : jugeant à la lecture des débats parlementaires, la Haute juridiction affirme que ce texte est limitatif en ce qu’il encadre strictement les pouvoirs de l’administration fiscale qui ne pouvait dès lors pas demander « à la société́ requérante de produire tout élément permettant d’identifier les preneurs des prestations litigieuses ». Toute information ne peut être exigée : il est ainsi impossible pour l’administration des impôts de requérir des données liées à l’identité du contribuable afin d’identifier cette personne. Il convient de noter toutefois que l’administration peut parfaitement contrôler des factures, comme il est le cas en l’espèce, portant le nom précis de la personne à qui elle a été adressée. Cette limite énoncée par le Conseil d’Etat concernant l’identification de cette personne n’est donc que bien relative. A titre de rappel, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger en ce sens, en affirmant qu’une convention d’honoraire nominative peut également être utilisée tant qu’elle ne transcrit pas les prestations réalisées (CE, 15 février 2016, n°375667).
Cependant, même si le Conseil d’Etat semble affirmer avec force l’impossibilité pour l’administration fiscale de demander des informations permettant d’identifier le client de l’avocat, celui-ci rappelle par la même occasion que ce principe n’est pas absolu. Cette solution semble dès lors cohérente : l’administration fiscale contrôlant le cabinet d’avocat en lui même, celle ci ne saurait avoir accès aux informations relatives aux clients et doit savoir se contenter des éléments strictement nécessaires à ce contrôle des professionnels du droit.
II)L’affirmation d’une exception inhérente aux irrégularités relevées lors des contrôles de l’administration fiscale
Le Conseil d’Etat le rappelle expressément : il était ici parfaitement possible pour l’administration fiscale de demander au cabinet d’avocats « des éléments relatifs à la domiciliation des entités ayant payé les prestations », celle ci ayant découvert des irrégularités entre les pièces comptables et les factures, notamment en ce qui concernait la domiciliation des personnes concernées. La juridiction administrative pose dès lors une exception, certes importante, mais compréhensible : l’administration doit pouvoir, en cas d’erreur manifeste ou d’irrégularité des éléments probatoires produits par le contribuable ou, comme en l’en l’espèce, le cabinet d’avocats, vérifier les informations. Le secret professionnel de l’avocat semble donc hériter ici d’une limite inhérente à ces irrégularités. Cette exception se comprend à plus forte raison en l’espèce puisque « la détermination des règles de territorialités applicables [était] en jeu »
Finalement, il convient de rappeler que la violation du secret professionnel de l’avocat par l’administration fiscale entraine de lourdes conséquences sur la procédure, d’où la nécessité pour la jurisprudence de rappeler les règles en vigueur en la matière. Ainsi, la violation de ce secret peut permettre au juge de prononcer la décharge des impositions concernées sur le fondement d’un vice de procédure (CAA Nancy, 28 janv. 1993, Dr. fisc. 1993. Comm. 2221, n°46)[4]. Cependant, il convient de rappeler qu’une telle violation ne saurait être vu comme un argument pertinent pour obtenir la nullité d’une procédure lorsque cette violation provient du contribuable lui même (Crim. 11 févr. 1960, JCP 1960. 11604)[5]. De même, il n’y a pas de violation du secret professionnel quand des éléments protégés par celui ci sont données de façon conventionnelle et volontaire (CE 6 mai 1975, Lebon 114)[6].
Guillaume COSSU
[1] Le renforcement du secret professionnel de l’avocat, Christiane Féral-Schuh, Dalloz.
[2] Affaire Versini-Campinchi et Crasnianski c/ France, requête n° 49176/11 : La transcription d’une conversation téléphonique entre un avocat et son client n’a pas pour effet de violer la Convention Européenne des Droits de l’homme, et notamment son article 8, lorsque cette conversation laisse présumer la participation de l’avocat à une infraction caractérisée. Pour voir l’arrêt en entier : http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-163612
[3] Le périmètre du secret professionnel de l’avocat face aux vérificateurs fiscaux, Anne Portmann, Dalloz.
[4] Cité par Emmanuel CRUVELIER, Répertoire de droit commercial, Contrôle fiscal.
[5] Cité par Emmanuel CRUVELIER, Répertoire de droit commercial, Contrôle fiscal.
[6] Cité par Emmanuel CRUVELIER, Répertoire de droit commercial, Contrôle fiscal.