Le 14 octobre 2015[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que la prise d’acte à l’initiative d’un représentant du personnel, du fait notamment du non-paiement de ses heures de délégation, était fondée.
Dans notre affaire, un infirmier, exerçant depuis les années 80 dans un centre médical, avait été élu membre du comité d’entreprise en 2004 et délégué du personnel en avril 2007. Souhaitant obtenir le paiement d’heures supplémentaires et d’heures de délégation, il avait ainsi saisi la juridiction prud’homale en 2005. Par une lettre en date du 27 août 2007, celui-ci prit acte de la rupture de son contrat de travail alors que la procédure était en cours. Le 14 octobre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne confirme que partiellement l’arrêt de la Cour d’appel. Ainsi, si la Cour approuve l’imputation de la rupture aux torts de l’employeur, celle-ci censure toutefois l’appréciation de l’indemnisation du salarié. La décision du 14 octobre dernier nous permet donc d’appréhender un nouvel aperçu du régime jurisprudentiel de la prise d’acte tant à l’égard de son imputation que de ses conséquences.
Une imputation casuelle de la rupture
La prise d’acte, d’origine prétorienne[2], est une rupture du contrat de travail dont seul le salarié peut bénéficier. Elle peut être définie comme la décision unilatérale du salarié de mettre fin à son contrat de travail, entrainant la cessation immédiate de la relation de travail.
La prise d’acte doit être nécessairement justifiée par un comportement fautif de l’employeur. Le juge dispose ainsi d’un rôle essentiel dans sa mise en œuvre puisqu’il est tenu d’apprécier les manquements invoqués et d’imputer la rupture aux torts de l’employeur ou du salarié.
Ainsi, l’imputation de la prise d’acte est, en principe, soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond. Toutefois, la Cour de cassation procédait, avant 2014, à un contrôle rigoureux de la motivation du juge. Il existait, par exception, un bloc d’hypothèses dans lesquelles la rupture était imputée systématiquement aux torts de l’employeur. À titre d’exemple, le manquement à l’obligation de sécurité de résultat justifiait la prise d’acte du salarié[3]. Il en était de même en cas de défaut de respect du salaire minimum[4] ou de manquement à l’obligation de fournir du travail[5]. La prise d’acte était ainsi un mode de rupture automatisé pour certaines catégories de motifs.
La Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence par plusieurs arrêts du 26 mars 2014[6], confirmés le 12 juin 2014[7]. Désormais, le manquement doit rendre « impossible la poursuite du contrat de travail ». Le juge doit, en plus de caractériser la faute de l’employeur, justifier l’importance de ses conséquences sur la relation de travail. En d’autres termes, il doit apprécier de manière casuistique l’impact du manquement sur l’exécution contractuelle de la prestation du salarié. Dans l’une des espèces du 12 juin 2014, la Cour avait ainsi jugé que la modification unilatérale de la rémunération par l’employeur ne justifiait pas la prise d’acte puisque celle-ci n’avait pas exercé « d’influence défavorable sur le montant de la rémunération ». Le manquement opéré n’était donc pas de nature à paralyser l’exécution du contrat de travail.
A contrario, la Cour de cassation a justifié l’imputation de la rupture aux torts de l’employeur dans l’arrêt du 14 octobre 2015. Le défaut de paiement des heures de délégation est en effet de nature à empêcher la poursuite du contrat de l’infirmier. Cette solution se justifie d’abord par la nature des heures de délégation. C’est en effet, pour le représentant du personnel au-delà d’une contrepartie financière, l’outil principal d’exercice de sa mission.
La décision commentée se justifie par ailleurs par l’ampleur du défaut de paiement puisque l’employeur n’avait pas versé la rémunération relative aux heures supplémentaires et complémentaires du salarié (liées directement à l’exécution du contrat de travail).
Le dualisme particulier de la prise d’acte d’un représentant du personnel
Une fois la rupture imputée, la prise d’acte peut revêtir deux régimes de cessation du contrat de travail. Si celle-ci est prononcée aux torts du salarié, la rupture produira l’effet d’une démission. A contrario, si elle est prononcée aux torts de l’employeur, elle sera assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La prise d’acte justifiée produit, par ailleurs, les effets d’un licenciement nul dans les cas où un tel licenciement peut être prononcé (violation d’une liberté fondamentale du travailleur, cas prévus par la loi..).
En matière de représentation du personnel, la loi prévoit une procédure spécifique de licenciement (autorisation de l’inspection du travail et avis du comité d’entreprise). Cette obligation est justifiée par la protection d’une liberté fondamentale du travailleur : la participation à la détermination de ses conditions de travail par l’intermédiaire de ses représentants. Toute violation de cette procédure entraine donc la nullité du licenciement[8]. La prise d’acte justifiée d’un représentant du personnel produit ainsi les effets d’un licenciement nul, comme le rappelle la solution étudiée.
À ce titre, le salarié peut opter pour deux résolutions différentes du litige : la réintégration ou non dans l’entreprise. À défaut de réintégration, le salarié protégé avait anciennement droit, par dérogation, à une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et l’expiration de la période de protection[9] (soit dans certains cas près de 4 ans de salaire). Sans remettre en cause cette sanction, la Cour de cassation l’a toutefois récemment[10] limitée à deux ans (durée minimale légale du mandat) augmentée de 6 mois (30 mois de salaire maximum).
Censurant l’application de l’ancienne jurisprudence, la Cour de cassation confirme ici cette volonté d’équilibrer la sanction de la violation du statut protecteur. L’objectif est en effet de trouver le bon contrepoids entre la protection du représentant et les conséquences financières du manquement de l’employeur.
Cet arrêt retranscrit donc ce double objectif de rationalisation jurisprudentielle : celle du régime de la prise d’acte mais aussi du licenciement nul d’un représentant du personnel.
Hugo Revillon
[1] Cass, Soc, 14 octobre 2015, n°14-12.193
[2] Voir not. Cass. Soc, 25 juin 2003, 01-42.679
[3] Cass, Soc, 16 juin 2009, n°08-41.519
[4] Cass, Soc, 26 octobre 2011, n°10-17.396
[5] Cass. Soc, 3 novembre 2010, n°09-65.254
[6] Cass. Soc, 26 mars 2014, n°12-35.040, n°12-21.372 et 12-23.634
[7] Cass. Soc, 12 juin 2014, n°12-29.063 et 13-11.448
[8] Par exemple Cass. Soc 04 juillet 1989, n° 87-41.053 ou Cass.Soc, 20 mars 2013, 11-23.388
[9] Cass. Soc 29 mars 2005, n°03-40768
[10] Cass, Soc 15 avril 2015 n°13-24.182