« Il s’agit là d’un élément de modernisation des relations individuelles de travail »[1]. Cette phrase prononcée par le rapporteur pour le Sénat pour la commission mixte paritaire avant le vote de la loi portant modernisation du marché du travail traduit l’esprit de la rupture conventionnelle.
Conçue comme « une innovation essentielle de notre droit »[2], la rupture conventionnelle, procédure permettant à l’employeur et au salarié de convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, connaît aujourd’hui un succès inattendu. En juillet 2014, la Dares enregistrait 32 869 ruptures homologuées. En août 2008, 21% des demandes d’homologation étaient refusées. Sur l’année 2014, le taux de refus avoisine les 5,5%[3].
Ces chiffres traduisent une meilleure appréhension du mécanisme de la rupture conventionnelle par les employeurs, les salariés mais aussi par les avocats conseils.
Aucune étape de la procédure ne doit être négligée[4]. D’abord, il faut assurer une sécurisation des délais de procédure. Ensuite, il faut vérifier que l’indemnité de rupture est suffisante, car si le silence vaut désormais acceptation (au moins dans quelques cas…), le risque de se faire retoquer par l’administration du travail est présent. En outre, une attention particulière doit être portée à la situation du salarié. Ainsi, dans le cas où le salarié est protégé par un mandat, le caractère conventionnel de la rupture n’empêche pas le contrôle de l’administration du travail. Une autorisation de l’inspecteur du travail est nécessaire (et non plus une homologation).
L’année 2014 fut celle des éclaircissements en matière de rupture conventionnelle. Nous nous conterons d’évoquer les plus importants.
Rupture conventionnelle et différend.- Pour la Cour de cassation, le fait qu’il existe – entre l’employeur et le salarié – un différend au moment de la conclusion de la convention de rupture n’affecte pas par elle-même la validité de la rupture conventionnelle[5].
Rupture conventionnelle et délai de rétractation.- L’erreur de date commise dans la convention de rupture au sujet de l’expiration du délai de rétractation de 15 jours, n’entraîne la nullité de cette convention que dans les cas où cette erreur a vicié le consentement de l’une des parties ou l’a privée de la possibilité de se rétracter[6].
Rupture conventionnelle et assistance.- Le fait de ne pas mentionner la possibilité pour le salarié de se faire assister d’un conseiller extérieur à l’entreprise, lorsque cette dernière n’a pas d’instances représentatives du personnel, n’entraine pas la nullité de la convention[7].
Rupture conventionnelle et transaction.- Un employeur et un salarié ayant signé une convention de rupture ne peuvent valablement conclure une transaction que si, d’une part, elle intervient postérieurement à la décision d’homologation de la rupture par l’administration (ou postérieurement à la notification de la décision d’autorisation si le salarié est protégé) et, d’autre part, si elle a vocation à régler un différend relatif, non pas à la rupture du contrat, mais à son exécution relativement à des éléments non compris dans la convention[8].
Rupture conventionnelle et avis d’aptitude avec réserves.- Est valable la convention de rupture conclue par un employeur avec une salariée déclarée apte avec réserves à la reprise du travail après un accident du travail[9].
Rupture conventionnelle et suspension du contrat de travail.– La Cour de cassation juge que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l’article L. 1237-11 du Code du travail au cours de la période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle[10]
Rupture conventionnelle et rupture amiable.- La Cour estime que la rupture du contrat de travail par -accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions de L. 1237-11 relatif à la rupture conventionnelle[11] et ce, sauf dispositions légales contraires. La Cour de cassation fait donc de la rupture conventionnelle le droit commun de la rupture d’un commun accord, de manière à garantir au salarié une protection suffisante. Le principe souffre quelques exceptions légales : départs négociés dans le cadre d’un PSE ; dans le cadre d’un accord collectif de GPEC ; rupture d’un commun accord du CDD ; rupture d’un commun accord du contrat d’apprentissage.
Rupture conventionnelle et entretien préalable.- La Cour de cassation a jugé que le Code du travail n’impose pas de délai à respecter entre le moment où les parties s’accordent sur la signature d’une convention de rupture et la conclusion effective de celle-ci[12]. Si bien que la rupture conventionnelle signée le lendemain de la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement est valable. La Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que la règle ne vaut qu’en l’absence de vice du consentement.
Ces arrêts semblent peu à peu dessiner les contours de la rupture conventionnelle expliquant ainsi son succès ces derniers mois. Reste que la Convention d’assurance chômage 2014 du 14 mai 2014[13] a marqué un coup d’arrêt à cette envolée en allongeant le délai de perception des allocations chômage bénéficiaires d’une rupture conventionnelle, ce dernier pouvant atteindre 180 jours[14].
Gaëtan LEFRANÇOIS
[1] P. BERNARD-REYMOND, Rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire, séance du 5 juin 2008, loi n°2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.
[2] Ibid.
[3]http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-de,76/statistiques,78/emploi,82/les-ruptures-conventionnelles,1420/les-ruptures-conventionnelles,9633.html
[4] X. BERJOT, « Savoir sécuriser la rupture conventionnelle du contrat de travail », Les Echos.fr, 30/12/2014
[5] Cass. soc., 15 janv. 2014, n°12-23942 ; confirmation de Cass. soc., 23 mai 2013, n°12-13865
[6] Cass. soc., 29 janv. 2014, n°12-24539
[7] Cass. soc., 29 janv., 2014, 12-27594, confirmé par Cass. soc. 19 novembre 2014, n°13-21207.
[8] Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-21136
[9] Cass. soc., 28 mai 2014,n°12-28082.
[10] Cass. soc., 30 sept., 2014, n°13-16297, note G. LOISEAU, JCP S 2014, 1436.
[11] Cass. soc., 15 sept., 2014, n°11-22251, note G. LOISEAU, JCP S 2014, 1436 ; S. MIARA, JCP S 2014, act. 390.
[12] Cass. soc., 19 nov., 2014, 13-21979.
[13] Convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage, http://www.unedic.org/article/convention-du-14-mai-2014-relative-l-indemnisation-du-chomage
[14] Encore faut-il que le salarié qui a bénéficié d’une rupture conventionnelle perçoive une indemnité supra-légale de 16 200 euros au moins pour être soumis au délai de 180 jours.