Révolution numérique : Vers un nouveau coup d’État ?

     Le 25 octobre 2016, le ministère de la Fonction publique, dans le cadre de son cycle de conférences « La fonction publique au XXIème siècle », est revenu sur « l’impact du numérique dans la fonction publique », et, plus généralement, sur l’État.

Face à la révolution numérique, quel rôle l’État doit-il occuper face à ce mouvement qui le dépasse ? A-t-il les moyens de se réformer ? Telles sont les questions auxquelles cette conférence a tenté de répondre.

I- Le renouveau de la démocratie administrative

 

            « Le but est de décloisonner sans restructurer », tels étaient les propos introductifs du directeur de cabinet de la ministre de la Fonction publique, F. Romaneix, prônant le développement d’un « État facilitateur ». Or, plusieurs exemples récents semblent démontrer un renouvellement de la relation administration-administrés.

Ainsi, le décret du 20 octobre 2016[1], précisant les modalités de saisine de l’administration par voie électronique, marque le développement des téléservices auprès desquels l’administré doit s’identifier. À défaut d’un tel service, il pourra utiliser tout type d’envoi électronique[2]. Par ailleurs, l’article L. 112-11 du CRPA prévoit l’envoi d’un accusé de réception électronique, et ce afin de marquer le départ du délai de recours contentieux, et de préciser le type de décision susceptible d’être rendue (implicite ou explicite de rejet). Ce décret permet donc de simplifier et de sécuriser les relations entre l’administration et ses administrés.

De même, la création en 2015 de l’application France Connect[3] a permis le développement d’un outil efficace d’identification sécurisé pour faciliter l’accès aux téléservices de l’administration, l’usager n’ayant plus besoin de créer un nouveau compte sur chaque téléservice.

La loi pour une République numérique[4] marque également une avancée certaine dans la transparence des relations administratives. Ainsi, l’article 4, relatif aux décisions individuelles automatiques, c’est-à-dire prises sur « le fondement d’un traitement algorithmique », oblige l’administration à informer par une mention explicite leur destinataire de la nature de la décision, lui permettant ainsi, s’il en fait la demande, d’obtenir les « principales caractéristiques de sa mise en œuvre ».

Si l’exigence de transparence est ancienne, en témoigne l’article XV de la Déclaration de 1789[5], le numérique permet de garantir encore davantage cet impératif. Néanmoins, selon H. Verdier, directeur de la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication (DINZIC), « l’État ne peut pas se contenter de dématérialiser les formulaires ». En réalité, ce sont bien les modes de pensée eux-mêmes qui doivent être révolutionnés.

II- L’État au cœur d’une concurrence avec le secteur privé

 

      Il est devenu impossible de nier que le numérique est une révolution qui a créé un mouvement général affectant tant les pans économique, social, moral, que politique. Le succès planétaire d’entreprises telles qu’Uber ou Airbnb, ainsi que la croissance exponentielle des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), constituent une illustration parlante de cet élan.

Il suffit de prendre l’exemple d’Uber qui a littéralement fait exploser le cadre de régulation étatique, s’agissant notamment du monopole de la maraude des taxis dont le périmètre s’est obscurci avec le développement des applications mobiles. Le législateur doit donc définir de nouveaux critères pour s’adapter au changement des pratiques économiques.

Selon H. Verdier, l’État ne peut rester en retrait, il « doit se réinventer pour ne pas rester l’école de Jules Ferry », et reconquérir sa « capacité ». Agir ou subir la révolution qui lui est extérieure, voici les deux voies qui se présentent à lui aujourd’hui. Cette « agilité » est d’autant plus cruciale, qu’une compétition interétatique est lancée, comme le témoigne le discours sur l’état de l’Union, prononcé par Barack Obama du 12 janvier 2016, où il a estimé que « la prochaine révolution industrielle sera Made in America ».

III- L’apparition de nouvelles initiatives au sein de l’État

 

   De nouvelles initiatives apparaissent, en premier lieu, au sein de la DINSIC. Ainsi, peut-on citer la création de « La Bonne Boîte », dans le cadre de Pôle emploi, fondée sur un modèle capable de prédire avec 80 % de fiabilité les entreprises qui vont recruter dans les mois à venir.

L’une des autres pistes d’évolution développée réside dans l’évolution vers un « État-plateforme » sur le modèle des leaders en la matière, à savoir Apple et Google, ce qui permet la conciliation entre liberté d’innovation et contrôle. Ce projet est déjà illustré par le « Hackathon État plateforme ». De même, la sécurité sociale doit s’adapter aux parcours désormais morcelés, eu égard à la mobilité accrue du travailleur permise grâce au numérique avec notamment le développement du travail à domicile.

Ainsi, l’État doit s’inscrire dans la logique du marché tout en ne renonçant pas à l’encadrer, « la vie privée [devant] être reconstruite après le big data » (H. Verdier). Il doit plus que jamais se poser en défenseur des droits et libertés, en mettant en œuvre des politiques sur le plan international, eu égard au spectre de la révolution numérique.

Néanmoins, cette modernisation sera difficile, tant compte tenu de la décentralisation que des difficultés budgétaires qui ne permettent plus à l’État d’innover. Par ailleurs, c’est toute une culture administrative qui doit encore être révolutionnée pour que ces changements soient acceptés.

Face à la révolution numérique, l’État, loin d’être dépassé, doit « garder sa structure » et y « ajouter l’étage numérique » (H. Verdier). Un seul conseil donc : « Osez ! Ce mot renferme toute la politique de notre révolution » (L. De Saint-Just).

 

Laure MENA

Le Petit Juriste, décembre 2016, n°37

[1] Décret n° 2016-1411 du 20 octobre 2016.

[2] Article L. 112-9 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

[3] Arrêté du 24 juillet 2015.

[4] Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.

[5] « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

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