La chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence. Par un arrêt rendu le 16 juin 2011, elle déclare que la juridiction pénale n’est pas tenue de répondre aux écritures déposées par un prévenu qui n’a pas comparu à l’audience et qui n’y a pas été représenté.
I. Une appréciation autrefois large de l’article 459 du code de procédure pénale
A. L’article 459 du code de procédure pénale
L’article 459 du code de procédure pénale a été modifié par la Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 – art. 224 JORF 5 janvier 1993. En vigueur depuis le 1 mars 1993, il dispose que :
« Le prévenu, les autres parties et leurs avocats peuvent déposer des conclusions.
Ces conclusions sont visées par le président et le greffier ; ce dernier mentionne ce dépôt aux notes d’audience.
Le tribunal qui est tenu de répondre aux conclusions ainsi régulièrement déposées doit joindre au fond les incidents et exceptions dont il est saisi, et y statuer par un seul et même jugement en se prononçant en premier lieu sur l’exception et ensuite sur le fond ».
Le législateur a formulé une règle en des termes généraux et précis. Alors que le prévenu, les parties et leurs avocat ont la faculté de déposer des conclusions. L’alinéa 3 de l’article précité précise quant à lui que le tribunal à l’obligation de répondre aux conclusions régulièrement déposées. Une difficulté apparaît en filigrane. Il s’agit de déterminer ce qui doit être qualifié de « conclusions régulièrement déposées » au sens de l’article 459 du code de procédure pénale?
B. Une appréciation large des textes
Le 27 mai 1987, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt [1] fondateur d’une jurisprudence optant pour une conception large du dépôt de conclusions à l’audience. Cette position préthorienne fut à l’origine d’une jurisprudence constante et réitérée jusqu’au 16 juin 2011 selon laquelle les écritures du prévenu devaient être considérées comme régulièrement déposées et ce même si le prévenu n’avait pas comparu à l’audience.
Par conséquent, en application de l’article 459 du code de procédure pénale bien que le prévenu ne se soit pas présenté à l’audience, le fait qu’il ait déposé des écritures considérées comme régulièrement déposées obligeait le tribunal à y répondre. La qualification de « conclusions régulièrement déposées » n’était pas dénuée d’effet puisqu’à défaut de réponse du tribunal, le prévenu était en mesure de se faire grief d’une insuffisance ou d’un défaut de réponse à conclusions.
Le prévenu pouvait alors se contenter d’adresser ses moyens par un simple courrier à destination du Président de la juridiction qui devait alors nécessairement y répondre. La partie qui choisissait de procéder ainsi sans se présenter à l’audience et sans se faire représenter prenait tout de même le risque de ne pas exposer son argumentation de vive voix, devant les juges.
II. Retour à une appréciation stricte de l’article 459 du code de procédure pénale
A’. Un revirement de jurisprudence opéré par la chambre criminelle
A l’instar de la clarté dont le législateur a fait preuve dans la rédaction de l’article en cause, la chambre criminelle l’a été tout autant en ce qui concerne son arrêt rendu le 16 juin 2011 [2]. Voici pour preuve un extrait de sa décision : « Attendu que le prévenu ne saurait se faire un grief d’une insuffisance ou d’un défaut de réponse à conclusions, dès lors que les écrits qu’il a adressés à la juridiction ne valent pas conclusions régulièrement déposées au sens de l’article 459 du code de procédure pénale, faute pour lui d’avoir comparu à l’audience ou d’y avoir été représenté ».
En d’autres termes, dès lors qu’il est établi que les écritures déposées par le prévenu ne sont pas qualifiables de conclusions régulièrement déposées, il découle naturellement de l’application de l’article 459 du code de procédure pénale que la juridiction n’est pas tenue de répondre à ces écritures.
Or, les conclusions présentées par un prévenu qui ne comparait pas à l’audience et qui n’y est pas représenté ne sont pas constitutives de conclusions régulièrement déposées. Les juges de la Cour de cassation précisent alors que la juridiction pénale n’est pas tenue de répondre à ces conclusions.
Par conséquent, nous pouvons constater que la chambre criminelle opère un revirement de sa propre jurisprudence puisque cet arrêt consacre une conception stricte de l’article 459 du code de procédure pénale.
B’. Une solution pragmatique renforçant la bonne administration de la justice
Sous la jurisprudence ancienne se développait une pratique critiquable selon laquelle les prévenus exposaient leurs moyens par le biais d’une simple lettre adressée au président de la juridiction pénale. Le prévenu se dispensait alors de comparaitre. La position nouvelle de la chambre criminelle met fin à cette pratique puisque la partie ne pourra se contenter d’adresser un simple courrier au président de la juridiction. La partie devra comparaitre à l’audience ou être représentée si elle souhaite que les juges soient tenus de répondre aux conclusions déposées.
Cette appréciation plus stricte de l’article 459 du code de procédure pénale n’est cependant pas défavorable aux justiciables. En effet, elle semble contribuer à inciter les parties à comparaitre à l’audience. Il en résulte que le contradictoire en ressort renforcé puisque le prévenu présent à l’audience sera en mesure de préciser le contenu de ses écritures. En outre, il en résultera un meilleur dialogue avec le juge, une plus grande proximité qui permettra au prévenu de mieux comprendre la décision de la juridiction.
En ce sens, le communiqué de presse de la Cour de cassation précise que « la présence du prévenu à l’audience est essentielle au principe de la contradiction qui découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et elle est imposée par l’article 410 du code de procédure pénale, même si l’article 411 prévoit une faculté de représentation par avocat ou par tout représentant, en application de l’article 544, si la poursuite vise une contravention passible seulement d’une peine d’amende. »
Sara KEBIR
Master 1 carrières judiciaires – Université Jean Moulin Lyon III
Ecole de Droit de Lyon
Notes
[1] Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 27 mai 1987, pourvoi n ° 86-93.921.
[2] Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-87.568. |
Pour en savoir plus Article 459 du code de procédure pénale.
Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-87.568.
Communiqué de presse de la Cour de cassation relatif à l’arrêt du 16 juin 2011.
Bulletin criminel 1987 N° 223 p. 611. |