La Cour de cassation, par un arrêt en date du 16 mars 2016, semblait tolérer le revenge porn. Coïncidence, l’Assemblée nationale vient justement d’adopter un amendement au projet de loi « pour une République numérique » réprimant ce type de comportement
L’amendement en question, intégré à l’article 33 quater dudit projet, vise à réprimer la vengeance pornographique ou revenge porn. Cette pratique peut être définie comme le fait de poster sur Internet des photos ou vidéos intimes d’une personne sans son consentement. La disposition s’intègre dans deux politiques pénales actuelles : la répression des cyber-violences et la lutte contre les violences faites aux femmes. En effet, les jeunes femmes représentent la majorité des victimes de ce comportement.
Le projet de loi prévoit ainsi d’ajouter un troisième alinéa à l’article 226-1 du Code pénal relatif à la protection contre les atteintes à la vie privée et au droit à l’image (I). L’amendement vise ainsi à durcir la répression lorsque la violation de ce droit revêt un caractère sexuel, constituant bien souvent une atteinte à la dignité (II). Néanmoins, si la démarche parait noble, on peut s’interroger sur l’utilité d’un tel ajout eu égard à la diversité de notre arsenal répressif (III).
I. Une politique pénale favorable au droit à l’image
Le droit à la vie privée et son corollaire, le droit à l’image, sont protégés à plusieurs niveaux.
Au plan international, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 pose le principe selon lequel « nul ne fera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur ou sa réputation ».
Au plan national, l’article 9 du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ainsi, la fixation de l’image d’une personne physique, sans son consentement, permet d’engager la responsabilité de l’auteur dès lors qu’un préjudice aura été constaté. Le juge des référés ainsi que la CNIL pourront être saisis afin d’obtenir le retrait de l’image compromettante.
L’article 226-1 du Code pénal précise, en son alinéa second, qu’il n’est possible de diffuser une photographie représentant une personne reconnaissable qu’avec son autorisation.
Actuellement, l’article 226-1 du Code pénal punit, d’un an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende, le fait de fixer, enregistrer ou transmettre des paroles ou une image, sans le consentement de l’individu. Néanmoins, son champ d’application s’avère limité en pratique.
Tout d’abord, l’alinéa 2 exige que l’image soit prise dans un « lieu privé ». En 2012, une sénatrice avait interrogé la Chancellerie (1) sur l’impossibilité de sanctionner les actes de « voyeurisme ». Ce terme désigne le fait pour des individus de prendre des photographies sur les plages, naturistes ou non, ou sous les jupes, dans un parc public ou dans la rue, le tout sans l’autorisation de ces modèles fortuits.
Ensuite, le texte exige que l’image soit captée, enregistrée ou transmise « sans le consentement » de la personne. Or, en matière de revenge porn, l’auteur est souvent un ex-concubin qui publie des clichés intimes mais pris pendant leur relation passée, et avec le consentement de la personne. On pourrait soutenir que seule la captation était consentie. Néanmoins, dans la majorité des cas, le ministère public classera la plainte sans suite pour insuffisance d’élément à charge. Dès lors, il en est souvent déduit que lorsque la captation se fait au vu et au su de l’intéressé, sans marque d’opposition de sa part, le consentement est présumé tant pour celle-ci que pour sa diffusion (1′).
Ainsi, l’article 226-1 ne sanctionnerait la transmission d’image intime que si celle-ci a été prise dans un lieu privé et que la personne s’est opposée à la captation ab initio.
II. La répression souhaitée d’une atteinte particulière à la dignité
L’amendement à l’étude souhaite élargir l’incrimination en permettant de sanctionner plus sévèrement la transmission d’image à caractère sexuel, prise en privé comme en public, dès lors que l’individu n’y a pas consenti expressément. En effet, le projet de loi tend à inscrire dans le Code pénal la disposition suivante : « est puni de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 € d’amende le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne l’image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès lors qu’elle présente un caractère sexuel ».
A la lecture de ce texte, il nous faut apporter quelques précisions.
Tout d’abord, cet article punira le diffuseur ou celui qui transmet mais pas l’auteur de la fixation initiale. Cela est compréhensible car en matière de vengeance pornographique, il s’agira souvent de la même personne. De plus, dans ces circonstances, l’auteur de la captation a le consentement de la personne photographiée.
Ensuite, le législateur tend à réprimer davantage la diffusion d’images intimes en ce qu’elle ne porte pas uniquement atteinte à la vie privée et à l’image de la personne mais aussi à son intimité, sa réputation voire à sa dignité. Toutefois, la communication d’une image uniquement dégradante, humiliante mais dénuée de connotation sexuelle ne pourrait être incriminée sous ce chef.
Enfin, notons que l’exigence d’un « consentement exprès » conduit à exonérer l’auteur lorsque la personne consent à une telle diffusion ; l’article n’interdit pas la pornographie volontaire.
Le législateur ne semble pas prendre en compte les dispositions du Code pénal qui renvoient à son article 226-1. Ainsi, l’article 226-2 dispose que « est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 ». Cela laisse suggérer que celui qui conserve des images à caractère sexuel transmise par un tiers sans les diffuser lui-même serait passible des mêmes peines que l’amant frustré qui aura voulu humilier son ex-compagne en diffusant massivement des photos d’elle en tenu d’Eve. Cela a de quoi surprendre.
Notons enfin que si l’amendement est inclus dans le projet de loi pour une République numérique, il ne vise pas expressément la diffusion par Internet. Celui qui voudra humilier massivement le fera par la voie numérique, mais l’envoi de photographies compromettantes à des proches par voie postale a parfois plus d’effet. On peut donc comprendre que le législateur souhaite pouvoir sanctionner ce comportement quel que soit le mode de diffusion. Toutefois, la diffusion par voie numérique, de par le nombre destinataires potentiels, ne constitue-t-elle pas une atteinte plus grave qu’une lettre de corbeau ? L’impact sur la victime et sa dignité est d’une plus ample envergure qu’il conviendrait de prendre en compte. En effet, ce type de publication touche non seulement un public plus étendu, plus rapidement mais ne pourra être intégralement supprimé. La seule solution étant de reléguer ces images dans le web profond.
Si Internet est un outil formidable, il est une arme permettant d’accroître la force de frappe des harceleurs, des maître-chanteurs et mêmes des jaloux. Toutefois, ces comportements existaient avant l’ère du numérique et étaient déjà sanctionnés. Dès lors, l’utilité de cette infraction nouvelle interroge.
III. L’utilité controversée d’une incrimination nouvelle
Les violences virtuelles, favorisées par les réseaux sociaux, sont un fléau qui prend de l’ampleur et débute dès le collège : insultes, rumeurs, vidéos de lynchage (happy slapping) ou vengeance pornographique. Aux Etats-Unis et au Japon des associations de défense des victimes de ces violences luttent contre des sites dédiés à ces revenge porn qui vont jusqu’à communiquer les coordonnées des victimes. C’est pourquoi, depuis 2014, certains Etats des Etats-Unis, le Canada et le Japon répriment de 5 ans ce comportement, le Royaume-Uni de deux ans et Israël le classe même parmi les crimes sexuels.
Néanmoins, le désir d’humilier comme la vengeance pornographique sont plus anciens, la poste remplaçait alors Facebook et autres. Certains affirment donc que même si la diffusion par Internet peut être plus dévastatrice et que l’article 226-1 ne permet pas toujours de réprimer ; le droit pénal français actuel est loin d’être démuni.
Tout d’abord, le fait de menacer de publier des images ou vidéo à caractère sexuel avec l’intention de nuire constitue un chantage puni de 5 ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende (2).
Ensuite, les faits pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel (3) dans deux situations : soit lorsque la menace de diffuser une image compromettante a pour finalité d’obtenir un acte de nature sexuelle ; soit si la publication à caractère sexuel est effective et réitérée.
Enfin, la découverte de la diffusion d’une telle image constitue assurément un « un choc émotif ou une perturbation psychologique » suffisant à constituer des violences psychologiques volontaires au sens de l’article 222-14-3 du Code pénal. Le quantum de la peine dépendra alors de l’incapacité temporaire de travail qui en résulte pour la victime et sera aggravé par la préméditation. C’est d’ailleurs en ce sens que la Chancellerie avait répondu à la question sénatoriale précitée.
Nombreux sont les auteurs à rappeler que la déclinaison de violences spécifiques tend à réduire l’efficacité de l’incrimination générale des violences volontaires.
Léo OLIVIER
1 Question écrite à la garde des sceaux n° 00425 de Mme Sittler > JO Sénat > 12/07/2012 – p. 1562
1′ Crim. 16 mars 2016, n° 15-82.676
2 Article 312-10 du Code pénal
3 Article 222-3 du Code pénal