Le 31 mai dernier s’est déroulé un nouvel épisode de la saga Hermès c./ LVMH : la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est réunie afin d’entendre les représentants de LVMH dans l’affaire opposant ce dernier au sellier parisien et pour laquelle il est poursuivi par le collège de l’AMF. A cette occasion, Le Petit Juriste vous retrace les différentes batailles de cette guerre titanesque que se sont ouvertement déclarés les deux géants du luxe.
A l’origine de l’affaire se trouvent plusieurs contrats à terme dits « equity swap » conclus en 2008 entre LVMH et plusieurs établissements financiers et portant au total sur 12,13 % du capital de la société en commandite par action Hermès international. Ces contrats ayant pour objet de spéculer sur l’évolution du cours de l’action Hermès international entre le jour de leur conclusion et celui de leur dénouement, ils devaient se dénouer initialement en cash et non en actions. Ces contrats portaient sur un certain montant d’actions inférieur à 5% du capital total de la société Hermès international, évitant ainsi l’obligation légale de déclaration de franchissement de seuil prévue par l’article L. 233-7 du code monétaire et financier. En effet à l’époque, à défaut de dépasser individuellement ce seuil, les contrats d’equity swap n’étaient pas pris en compte dans le calcul des franchissements de seuils par un actionnaire au sein du capital d’une société cotée. Ultérieurement, une autre société du groupe LVMH a racheté ces contrats tout en concluant des avenants aux contrats avec les établissements financiers et ce, afin d’opter pour une livraison physique des titres. Au jour de réalisation de cette dernière, le 25 octobre 2010, LVMH est donc devenu propriétaire de 17,07 % du capital de la société Hermès international et de ce fait, en a informé le marché. Par ce procédé, LVMH n’a pas eu à déclarer successivement le franchissement des seuils de 5 %, 10 % et 15 % du capital de la société Hermès international, passant directement de moins de 5 % à un peu plus de 17 % de celui-ci.
Les membres de la famille Hermès, hostiles à cette prise de contrôle rampante par LVMH, ont réagi dès le 3 décembre 2010 en concluant un accord aux termes duquel ils se sont engagés à transférer une partie de leurs actions Hermès international à une holding, dénommée H51, constituée sous forme de SAS, et détenant plus de 50 % du capital et des droits de vote d’Hermès, lui conférant par ailleurs un droit de préemption sur les actions Hermès International qui ne lui auront pas été transférées (environ 12,6 % du capital d’Hermès). La holding acquérant dès lors plus de 30 % du capital et des droits de vote d’une société cotée, elle se trouvait dans l’obligation de déclencher une offre publique d’achat portant sur la totalité des titres Hermès international, en application des articles 234-2, 234-8 et 234-9 du Règlement Général de l’AMF (RGAMF). Les membres de la famille Hermès ont toutefois demandé à l’AMF une dérogation sur la base de l’article 234-9 7° du RGAMF, arguant du fait que l’absence de changement de contrôle les autorisait à ne pas avoir à déposer une OPA. L’AMF leur ayant octroyé cette dérogation, un premier contentieux est né : l’association des actionnaires minoritaires (ADAM) a estimé que les intérêts de ces derniers avaient été lésés du fait de cette dérogation jugée non fondée. Par la décision n° 211C0024 du 7 janvier 2011, la commission des sanctions de l’AMF a prononcé la validité de la décision du collège de l’AMF d’octroyer une dérogation à l’obligation de lancer une OPA sur le fondement de l’article 234-9 7° RGAMF. La cour d’appel de Paris est venue confirmer cette décision dans un arrêt du 15 septembre 2011 (n° 2011-00.690). Enfin, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt confirmatif dans un arrêt rendu le 28 mai 2013 (n° 11-26.423), clôturant définitivement cette première bataille judiciaire. Celle-ci traduit donc la faveur des autorités judiciaires et administrative envers un reclassement des titres convoités par des spéculateurs considérés comme agressifs. La famille Hermès a également réagi en déposant le 10 juillet 2012 une plainte auprès du Parquet de Paris pour délit d’initié et complicité, ainsi que pour manipulation de cours, avec constitution de partie civile. Cette plainte a provoqué l’annonce en retour par LVMH, du dépôt d’une plainte pour chantage, dénonciation calomnieuse et concurrence déloyale. En matière de délits boursiers, il faut toutefois relever que l’article L.465-4 du code monétaire et financier impose à la juridiction pénale saisie, de demander l’avis des organes de poursuite de l’AMF. En octobre 2012, ceux-ci ont donc communiqué cet avis au Parquet de Paris mais ledit avis n’a pas été transmis à LVMH. Par ce dernier, les organes de poursuite ont conclu à l’absence d’infraction pénale de la part de LVMH, ce qui est de bon augure pour LVMH. En effet, l’avis de l’AMF joue généralement un rôle décisif dans la décision retenue par la juridiction pénale.
Parallèlement à cette procédure pénale, ces mêmes organes de poursuite ont ouvert une enquête sur l’augmentation de la participation de LVMH dans le capital de la société Hermès international le 5 novembre 2010. C’est dans le cadre de cette enquête que se tenait l’audition de LVMH par la commission des sanctions le 31 mai 2013. Lors de cette audition, ces organes de poursuite, suivis en cela par le rapporteur de l’AMF en charge de l’affaire, ont demandé à la commission des sanctions d’infliger une amende de 10 millions d’euros à LVMH pour non-respect de ses obligations comptables ainsi que pour non-respect de son obligation d’information du public. En effet, les enquêteurs ont estimé que les actes réalisés par LVMH avaient pour finalité, au regard d’un faisceau d’indices concordants, la « prise de contrôle d’Hermès, le comportement de LVMH ne trouv[ant] son sens que dans la préparation d’une montée au capital d’Hermès ». En ce sens, les contrats d’equity swap n’auraient pas dû être déclarés si tardivement au public afin de ne pas nuire aux intérêts des investisseurs, LVMH violant dès lors l’article 223-6 du RGAMF. Pour sa part, LVMH affirme ne pas avoir eu l’intention de prendre le contrôle d’Hermès international : le débouclage des contrats non plus en cash mais en titres aurait été contraint par la situation économique dans laquelle LVMH se trouvait au regard des titres sous-jacents des contrats. Quant au grief de violation des obligations comptables et de l’article 223-1 RGAMF, LVMH rétorque qu’il ne s’agissait là que d’une erreur de comptabilisation dont l’ancienneté (l’erreur était survenue dès 2006) la rendait sans conséquence sur l’évaluation par les investisseurs de sa position à l’égard d’Hermès international.
Plus encore, LVMH a soulevé la nullité de la procédure du fait de « multiples disfonctionnements » ayant créé « une violation grave et consommée du principe de loyauté ». En effet, LVMH n’a obtenu la communication de l’avis donné par l’AMF aux autorités pénales que la veille de son audition par la commission des sanctions. De plus, en communiquant cet avis si tardivement, les organes de poursuite de l’AMF ont donc, selon LVMH, « sciemment dissimulé » des éléments pour « maintenir des accusations » sur sa montée au capital de Hermès international, sur la base d’un fondement erroné.
Joignant les questions de forme à celles de fond, la commission des sanctions de l’AMF devrait se prononcer sur l’ensemble de ces éléments « d’ici au 31 juillet 2013 ».
Enfin, le 4 juin 2013, LVMH a déposé une plainte avec constitution de partie civile suite aux propos tenus par les dirigeants d’Hermès international à leur égard.
Avec une affaire déjà jugée par la Cour de cassation, une en cours devant l’AMF et deux autres également en cours devant les juridictions pénales, nul doute que les deux groupes du luxe ne souhaitent pas faire dans la dentelle. Et l’assignation le 19 juin dernier de LVMH par Hermès devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir l’annulation des contrats d’equity swap confirme l’idée selon laquelle la hache de guerre est loin d’être enterrée : la saga continue… !
Notes :
LVMH c. Hermès : confirmation de dispense d’OPA, X. Delpech, Dalloz actualité, 6 juin 2013.
Les prises de contrôle rampantes rattrapées par l’article 223-6 du règlement général de l’AMF, Th.Bonneau, Bullentin Joly Bourse, 1 avril 2011 n°4, p.257
La préparation d’une opération financière significative est une information priviligiée, deux raisons de la révéler, J-J. Daigre, Bulletin Joly Bourse, 1 octobre 2012 n°10, p.404
Reclassement des titres Hermès : la question du renforcement du contrô^le éludée, S. Torck, Bulletin Joly Bourse, 1 décembre 2011 n°12, p.661
Reclassement des titres Hermès : les relations troubles de l’action de concert et de la notion de groupe familial, S. Torck, Bulletin Joly Bourse, 1 mai 2011 n° 5, p. 326.
Tableau synthétique affaire Hermès c./ LVMH
Dates |
Faits |
2008 |
Conclusion avec différents établissements financiers de contrats d’equity swap à dénouement monétaire |
24 octobre 2010 |
Avenant aux contrats engendrant un dénouement non plus en cash mais en titres |
25 octobre 2010 |
Dénouement des equity swap : LVMH passe de 4.9% à 17.07% du capital d’Hermès |
5 novembre 2010 |
L’AMF lance une enquête sur la légalité de l’opération réalisée |
3 décembre 2010 |
Les membres de la famille Hermès créent une holding afin de verrouiller le contrôle d’Hermès ; ils obtiennent de l’AMF une dérogation à l’OPA. Plainte de l’ADAM contre ladite dérogation octroyée par l’AMF |
10 juillet 2012 |
Dépôt d’une plainte contre LVMH avec constitution de partie civile par Hermès auprès du Parquet de Paris pour délit d’initié, complicité et manipulation de cours |
28 mai 2013 |
La Cour de cassation, confirmant les juges du fond, déclare la dérogation valable |
31 mai 2013 |
Audition de LVMH par la commission des sanctions de l’AMF dans le cadre de l’enquête ouverte par les autorités de poursuite de l’AMF |
4 juin 2013 |
Plainte des dirigeants de LVMH contre les propos tenus par les dirigeants d’Hermès |
19 juin 2013 |
Hermès assigne LVMH devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir la nullité des contrats d’equity swap |
Charles Ducrocq
Master Droit des Affaires, Université Paris II