Vincent Lambert, victime d’un grave accident de la route, se trouve depuis 2008 dans un état « végétatif ». Au cours de l’année 2012, le personnel soignant du CHU de Reims où le patient est hospitalisé observent des manifestations comportementales pouvant être interprétées comme une opposition aux soins. Est alors engagée, sous l’impulsion du médecin chef du service où le patient est pris en charge, une procédure collégiale de réflexion1 dans le but d’apprécier le caractère raisonnable ou non de la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de M. Lambert2. A l’issue de cette procédure et avec l’accord de l’épouse de la victime et de certains membres de sa proche famille, l’alimentation de M. Lambert fut stoppée.
Consternés par cette décision, les parents de la victime, entre autre, saisirent le juge administratif d’un référé-liberté au titre de l’absence d’information reçue par ces premiers sur l’arrêt des traitements de leur fils. C’est à ce moment précis que commença le parcours juridique d’une affaire sans précédent. En effet, c’est un sujet délicat auquel doit faire face ici le juge administratif : le droit à la vie d’une personne plongée dans un état irréversible d’inconscience. Le juge administratif se doit donc de trancher une situation politico-juridico-éthique. Par une ordonnance du 11 mai 2013, le juge administratif donne raison aux requérants et enjoint la reprise de l’alimentation et de l’hydratation artificielle du patient (et ceci après 31 jours d’arrêt…)3.
Cinq mois plus tard, une nouvelle procédure collégiale de réflexion est engagée avec la participation, notamment, de la famille du patient, du personnel soignant, des médecins consultants extérieurs au service,…Suite à de multiples réunions, il est décidé, le 11 janvier 2014, de mettre fin aux traitements reçus par M. Lambert le lundi 13 janvier. A nouveau, les parents ainsi que des membres de la fratrie de M. Lambert saisissent le juge de référés : leur demande de non arrêt des soins est confirmée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne au titre que « la décision d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du patient constitue une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie »4.
Faisant appel de cette décision devant le Conseil d’Etat, l’épouse de la victime ainsi que certains membres de la fratrie de M. Lambert et le CHU de Reims devront alors attendre le résultat de l’expertise ordonnée par le Conseil d’Etat5. Souhaitant être fixé sur l’arrêt ou non du maintien en vie artificiel du patient, le Conseil d’Etat avait considéré que les éléments médicaux figurant au dossier ne lui permettaient pas de trancher le litige. Il souligne en effet que l’information est incomplète et que lumière doit être faite sur plusieurs notions médicales : l’état clinique actuel du patient, le caractère irréversible de ses lésions cérébrales ou encore l’existence éventuelle de signes manifestant une volonté de continuer ou d’arrêter le traitement de maintien en vie. Autant d’informations capitales aux yeux des juges et de l’opinion publique. Dans l’attente du rapport d’expertise, l’arrêt du 14 février 2014 du Conseil d’Etat a tout de même permis d’éclaircir quelques points tels que la difficile conciliation exercée par le juge administratif de deux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et celle de ne pas subir un traitement traduisant une obstination déraisonnable.
Suite au dépôt du rapport d’expertise le 26 mai 2014, le Conseil d’Etat a décidé6 d’infirmer le jugement du tribunal administratif et de prôner l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de Vincent Lambert sur la base d’un ensemble de motifs médicaux et non médicaux (notamment la volonté exprimée du patient avant son accident). Le Conseil d’Etat a ainsi explicité les conditions imposées par la loi du 22 avril 2005 dite « loi Léonetti » pour arrêter un traitement médical. Le Conseil d’Etat souligne également avec une grande netteté que l’état médical le plus grave y compris la perte irréversible de toute conscience ne peut jamais suffire à justifier un arrêt de traitement. En outre, il est précisé avec justesse que la solution apportée par l’arrêt ne peut être généralisée à toutes les personnes se trouvant dans un état irréversible d’inconscience : chaque cas doit être analysé en fonction de la situation du patient.
Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une demande de mesure provisoire7 par les parents et membres de la fratrie de Vincent Lambert, signifia à la France de suspendre l’application de l’arrêt du Conseil d’Etat8. La Cour doit en effet se prononcer sur la question de l’arrêt des soins du patient au titre des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 6§1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) de la Convention européenne des droits de l’homme. La décision de la CEDH est considérablement attendue par chaque partie comme en témoigne notamment une tribune signée, dans le journal « Le Monde » ce 5 septembre 2014, par des proches de Vincent Lambert et des personnalités du monde politique et civil, demandant ainsi au pouvoir public de faire pression sur la CEDH pour ne pas faire durer une procédure déjà bien trop longue9. Au cours des 26 pages d’observations rendues par l’Etat français, le gouvernement réclame « une exception française pour déroger à la convention européenne des droits de l’homme ». Est mis en avant l’absence de consensus entre les différents Etats membres de l’Union européenne, la nécessité de laisser à l’Etat français une large marge d’appréciation ainsi que le contexte particulier de l’affaire rendant délicate une interprétation de la Cour en raison de sa jurisprudence antérieure. Les requérants que sont les parents et certains membres de la fratrie de Vincent Lambert devront répondre aux observations de la France au plus tard le 16 octobre pour que puisse ensuite être fixée une audience.
La décision finale de la CEDH devrait donc avoir un fort retentissement dans le domaine du droit à la vie. Ne serait-il pas ainsi judicieux d’enjoindre au législateur européen de la nécessité de trancher cette question et d’harmoniser les différentes législations des Etats membres pour éviter à nouveau ce genre de situations ? Affaire à suivre….
Lucille Dupont
1 Article R 4127-37 du Code de la santé publique.
2 Article L 1110-5 du Code de la santé publique.
3 TA Châlons-en-Champagne, 16 mai 2013, ordonnance n° 1300740.
4 TA Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, pourvoi n° 1400029.
5 CE, 14 février 2014, Mme F… I… et autres, pourvois n° 375081, 375090, 375091.
6 CE, 24 juin 2014, Mme F…I…et autres, pourvois n° 375081, 375090, 375091.
7 Les mesures provisoires sont des mesures d’urgence qui, selon la pratique constante de la Cour, ne s’appliquent que lorsqu’il y a un risque imminent de dommage irréparable (article 39 du règlement de la CEDH). En ce sens, voir les fiches thématiques de la CEDH sur son site internet.
8 CEDH, Pierre Lambert et autres contre France, requête n° 46043/14.