Retour sur l'affaire HSBC suisse

 


 

A la fin de l’été 2009, on se souvient qu’Eric Woerth avait déclaré détenir une liste de 3 000 noms de ressortissants français possédant des comptes bancaires en Suisse non déclarés à l’administration fiscale française. L’affaire ayant trouvé un large écho dans la presse, les informations concernant ces listes se sont étoffées peu à peu pour laisser apparaître que les listings étaient des informations volées et recueillies auprès d’un délateur qui était un ancien informaticien de la filiale genevoise de la banque HSBC, réfugié depuis dans le Midi de la France.

 


 

 

Le nombre de contribuables impliqués étaient passés de 10, selon les premières déclarations de la banque, à 130 000 noms de personnalités à travers le monde dont 3 000 français, lors d’une déclaration fin 2009 du procureur de la République de Nice, Eric de Montgolfier. La banque HSBC s’était ensuite ravisée en mars 2010 et avait estimé à 24 000 personnes de toutes nationalités, le nombre de personnes affectées par cette polémique dont 15 000 clients actuels.

 

La banque HSBC avait déposé plainte et dans ce cadre, avait demandé à la France la restitution des données volées. Après une longue période de refus, un accord entre Paris et Berne avait finalement été trouvé concernant ce listing qui avait été rendu à la Suisse, après avoir trouvé un terrain d’entente pour la signature d’un avenant à la convention fiscale franco-suisse relative à la double imposition où une clause d’assistance administrative conforme aux standards de l’OCDE avait été insérée le 27 août 2009. Certaines sources faisaient écho dans la presse que Paris s’était engagé à ne pas utiliser les données d’HSBC dans le cadre de l’entraide administrative mais avait averti cependant que l’administration fiscale française les utiliserait dans le cadre des contrôles fiscaux.

 

La question se pose ainsi de savoir si des données volées peuvent être utilisées par les autorités françaises pour fonder un contrôle fiscal aux fins d’opérer une rectification des montants d’impôts éludés par les contribuables.

 

La question avait été rapidement évoquée au début de l’affaire par certains avocats qui avaient souligné qu’ils envisageaient des procédures de contestation de manœuvres déloyales du fisc si des Français étaient poursuivis par l’administration sur la base de cette liste. Bercy pour sa part soutenait que la liste lui avait été transmise par une voie officielle et donc que les données avaient été obtenus légalement. Ces déclarations s’efforçaient ainsi d’écarter la qualification de déloyauté qui ne permet pas à l’administration d’utiliser la liste (I) alors que la transmission officielle de celle-ci joue un rôle purificateur et permet de fonder un éventuel rehaussement d’imposition (II).

 

I.   Une obligation de loyauté devant être respectée par l’agent de l’autorité

 

La question de l’utilisation de données volées revient à se demander si tous les procédés sont bons pour parvenir à débusquer les fraudeurs. Ainsi, en matière douanière, la production devant le tribunal d’un document dérobé a été déclaré illicite puisqu’obtenue en violation du principe de loyauté (Cass. crim., 28 octobre 1991,Bull. crim. n°381, Dalloz 1993, p.82). Dans cette affaire, il avait été reproché l’utilisation de moyens frauduleux, dans le cas de traitement de données informatiques dont les supports avaient été dérobés dans une banque suisse par deux personnes ayant déclaré avoir agi contre la promesse d’une rémunération et à l’instigation des douanes françaises auxquelles ils avaient remis ces supports, ce qui avait entraîne la nullité de la procédure. Encore, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler la force du principe de légalité en affirmant que « si, selon les dispositions combinées des articles 342 et 451 du code des douanes, tous délits en matière douanière ou cambiaire peuvent être prouvés par toutes les voies de droit, c’est à la condition que les moyens de preuve produits devant le juge pénal ne procèdent pas d’une méconnaissance des règles de procédure et n’aient pas eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense » (Cass. crim., 19 juin 1989, Bull. crim. n°261). Il importe ainsi « à la dignité de la justice et au respect qu’elle doit inspirer de ne mettre en œuvre aucun moyen qui attente aux valeurs essentielles de notre civilisation »[1]. Le principe de loyauté est ainsi posé et ce sont sans doute les magistrats de l’ordre judiciaire qui ont été les plus explicites estimant que « l’administration est tenue, dans ses investigations, au devoir de loyauté » (Cass. com., 18 juin 1996, n°94-17.312, Peylissier, RJF 1996, n°1363).

 

banque_HSBC

 

L’ordre administratif a pour sa part sanctionné à plusieurs reprises des redressements fondés sur des éléments obtenues de façon illégale ce qui nous fait dire que le fisc est également tenu de mettre en œuvre des moyens d’investigations légaux[2].

 

On voit ainsi tout l’intérêt pour Bercy de faire valoir le caractère licite des informations obtenues et les nombreuses déclarations dans la presse allant dans ce sens. Leur volonté était donc de montrer le rôle purificateur joué par le droit de communication auprès des autorités en charge de l’action publique.

 

II.   Le rôle purificateur du droit de communication


 Ce principe a été dégagé par le Conseil d’Etat, notamment dans ses décisions M. Navon et SA Samep (CE, 6 déc. 1995, n°90914, Navon, RJF 1996, n°62 ; et CE, 6 déc. 1995, n°126826, SA Samep, RJF 1996, n°61). Le Conseil d’Etat vient rappeler son attachement au principe d’indépendance des procédures et partant le principe du réalisme fiscal qui permet de justifier des solutions juridiquement assez libres, « mais nécessaires à une correcte appréhension de la matière imposable »[3].

 

Ce principe permet au fisc de fonder ses redressements sur des éléments de preuves collectés par le juge pénal, même si ce dernier a annulé la procédure. La décision du juge judiciaire n’a aucune incidence ni sur la régularité de la procédure fiscale ni sur le bien-fondé de l’impôt car les informations à l’origine illicites ont été transmises au fisc suivant les formes requises par le Livre des procédures fiscales (« LPF »). Dans un arrêt Antipolia, le Conseil d’Etat a estimé que « le fait que certains des documents dont le service a obtenu communication auprès du juge d’instruction auraient auparavant été volés et recélés par les auteurs des dénonciations, lesquels ont été pénalement sanctionnés à raison de ces agissements, est en tout état de cause sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition » (CE, 8 et 9 ss., 3 déc. 1990, n°103101, SA Antipolia, RJF 2/91, n°200). Les faits de l’arrêt Antipolia ressemble à ceux de l’affaire HSBC puisque des données informatiques volées étaient parvenues à la connaissance des autorités françaises dans le cadre d’une instruction pénale et ce n’est que par la suite que les services fiscaux en ont pris possession dans le cadre du droit de communication de l’article L. 101 LPF[4].

 

Mais une possible atténuation à ce principe doit être soulignée. En effet, ce droit de communication de documents et de données à l’administration fiscale peut ne pas être suffisant pour fonder un rehaussement. Une décision de la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 5 juill. 1994, n°92LY392, 92LY619, SARL O’Palermo, AJDA 1995, p.245) a ainsi considéré, en se plaçant sur le terrain de la fiabilité des moyens de preuve, que « si l’administration fiscale peut établir des redressements sur la base d’éléments de preuve légalement admissibles de toute nature, elle ne peut, en revanche, valablement s’appuyer sur des pièces qu’elle a obtenues ou qu’elle détient de manière manifestement illicite ; qu’ainsi, une méthode de reconstitution des recettes d’une entreprise qui s’appuie principalement, comme en l’espèce, sur des moyens de preuve obtenus de cette manière est radicalement viciée ». En l’espèce, l’administration avait fondé des redressements sur la base d’informations obtenus grâce à un ancien salarié qui les avait volés puis transmis à une brigade fiscale de contrôle et de recherche. L’inspecteur avait alors usé de son droit de communication pour obtenir les documents et effectuer les redressements. Cette position revient ainsi vers une conception « juridique » et moins « réaliste » puisqu’elle ferme la porte à un risque de détournement de la loi et préserve les garanties que procure à l’administré la procédure normale de contrôle[5]. D’autres preuves légalement admissibles doivent donc étoffer les preuves illicites recueillies…légalement.

 

Appliqué à l’affaire HSBC, il faudrait ainsi faire le jour sur la façon dont l’administration fiscale a recueilli les données volées de l’ancien informaticien puisque l’on sait maintenant qu’en dehors du droit de communication de l’article L. 101 LPF, les procédures éventuelles seraient probablement annulées par les magistrats pour manœuvres déloyales. Fraus omnia corrumpit, cet adage ne doit souffrir d’aucune exception[6].

 

 

Laurent Bibaut

Elève avocat

M2 Pro. Droit du commerce international, Panthéon-Sorbonne

M2 Rech. Droit économique, Aix-Marseille III

 

 

Notes

 

[1] Mascala C., Dalloz 1994, p.613

 

[2] Gouyet R., Les nouvelles fiscales 2004, n°923, p.3, cit. in. Durand F., Le secret bancaire face à l’administration fiscale, Rev. Lamy Dr. Aff. n°49, 05/2010

 

[3] Goulard G., L’indépendance des procédures. Retour à un principe traditionnel, RJF 1996, p.2

 

[4] Article L. 101 LPF : « L’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu’il s’agisse d’une instance civile ou commerciale ou d’une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ».

 

[5] V. Courtial J. AJDA 1995, p.192

 

[6] Albertini J.-A., La dénonciation fiscale, une pratique occulte saisie par le droit, D. 2001, p.3131

Pour en savoir plus

 

Doctrine et Répertoire

 

J.-A. Albertini, La dénonciation fiscale, une pratique occulte saisie par le droit, D. 2001, p.3131

 

J. Buisson, Répertoire Dalloz, Preuve, n° 82 et s., Dalloz 2003

 

Les conditions d’exercices du droit de communication, Code de procédure fiscale, article L 83 LPF, Dalloz 2010

 

J. Courtial, L’Administration ne peut établir des redressements fiscaux en s’appuyant sur des moyens de preuves illicites, AJDA 1995, p. 192

 

J.-R. Demarchi, La loyauté de la preuve en procédure pénale, outil transnational de protection du justiciable, D. 2007, p. 2012

 

F. Durand, Le secret bancaire face à l’administration fiscale en droit française, Revue Lamy Droit des Affaires, 2010, n° 49

 

G. Goulard, L’indépendance des procédures. Retour à un principe traditionnel, RJF 1996

 

C. Mascala, Le juge répressif doit apprécier la valeur probante des moyens de preuve produits par les parties même obtenus de manière illicite ou déloyale, D.1994, p.613

 

Jurisprudence

 

Cass. com., 18 juin 1996, Peylissier, RJF 1996, n° 1363

 

Cass. crim., 28 octobre 1991, n° 90-83.692, Bull. crim., n°381, p. 952

 

CE, 6 décembre 1995, n° 90914, Navon

 

CE, 6 décembre 1995, n° 126826, SA Samep

 

CE, 5 novembre 1984, n° 36598, RJF 1985

 

CAA Lyon, 5 juillet 1995, AJDA 1995, p. 245

 

Presse

 

Le vol de données chez HSBC en Suisse concernerait 15 000 clients, lemonde.fr, 11.03.10

 

Vol de données HSBC : 15 000 clients concernés, lepoint.fr, 11.03.10

 

Vol de données : HSBC s’excuse, figaro.fr, 11.03.10

 

HSBC : accord Paris-Berne sur les données volées, leparisien.fr, 27.01.10

 

HSBC : « Falciani n’a pas fait cadeau de sa liste au fisc », figaro.fr, 22.01.10

 

Hervé Falciani : « je veux la poursuite de cette enquête », figaro.fr, 21.12.09

 

HSBC : La France rendra les listings à la Suisse, figaro.fr, 21.12.09

 

La liste des évadés fiscaux serait erronée, selon HSBC, figaro.fr, 20.12.09

 

HSBC : l’ultimatum suisse à la France, figaro.fr, 18.12.09

 

HSBC : l’informaticien voulait moraliser le système, figaro.fr, 14.12.09

 

HSBC : comment le fisc a eu la liste des évadés fiscaux, figaro.fr, 11.12.09

 

Vol de données chez HSBC : Paris coupable de recel ?, Tribune de Genève, tdg.ch, 10.12.09

 

Enquête sur le mystérieux informateur du fisc, figaro.fr, 10.12.09

 

Evasion fiscale : la liste des noms proviendrait d’un vol, figaro.fr, 09.12.09

 

Evasion fiscale : HSBC confirme un vol de données bancaires entre 2006 et 2007, leparisien.fr, 09.12.2009

 

La liste des 3 000 fraudeurs suscite des interrogations, figaro.fr, 15.09.09

 

Autre

 

Avenant à la convention franco-suisse du 27 août 2009, Navis Fiscal, FR 46/10 n°1

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