Il est passé le temps où nous pouvions dire que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Depuis quelques décennies, nous faisons face à la fureur de la nature, restée pendant longtemps à la merci de la pollution et de la surexploitation. Séisme, tsunami, inondation, ouragan, sècheresse ne font que se succéder. A l’heure où le monde se retrouve une ‘’âme environnementale’’, il importe de s’intéresser à la stratégie que nous avons choisie pour faire face à l’inévitable : le renversement de la dialectique du maître et de l’esclave entre l’homme et la nature.
Les impacts du changement climatique augmenteront au fur et à mesure de la hausse de la température mondiale. Les simulations scientifiques effectuées par le GIEC dans son 5ème rapport, prévoient, dans le cas le plus optimiste, une poursuite du réchauffement global d’au moins 1,1 °C supplémentaire d’ici à 2100 et, dans le cas le plus pessimiste, jusqu’à 6,4 °C. Chaque année, les conséquences des catastrophes naturelles entraînent des pertes de consommation équivalant à 520 milliards de dollars et font basculer près de 26 millions de personnes dans la pauvreté, selon un nouveau rapport[1] de la Banque mondiale et de la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR).
Face aux changements climatiques, les États décideront d’user de trois mécanismes : l’atténuation, l’adaptation et la résilience. Les deux premiers sont les plus usités, mais le dernier reste encore sous-exploité. Pourtant, il revêt une importance capitale.
La résilience s’entend de la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposé à des dangers d’y résister et de les absorber, de s’adapter à leurs effets et de s’en relever rapidement et efficacement, notamment en préservant et en rétablissant ses structures et fonctions essentielles[2].
Si les mécanismes de type atténuation-adaptation sont les plus usités, ils se révèlent malheureusement inefficaces par rapport aux effets les plus virulents du changement climatique. Face à ce constat, il apparaît nécessaire de reconsidérer la place accordée à la résilience comme stratégie globale face au changement climatique.
L’hégémonie indécise du tandem atténuation-adaptation
Les systèmes actuels de gestion des effets des changements climatiques sont principalement axés sur l’atténuation des sources des changements climatiques de même que l’adaptation à ces derniers.
L’adaptation et l’atténuation (actions permettant de réduire l’effet de serre) prises isolément ne permettront pas de prévenir totalement les effets du changement climatique. Sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre (atténuation), on risque d’atteindre un seuil critique au-delà duquel l’adaptation pourrait devenir extrêmement difficile, voire impossible. Certains effets du changement climatique sont par ailleurs déjà observés et même si les efforts d’atténuation portent leurs fruits, le climat continuera de se modifier du fait de la durée de vie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (de 100 ans pour le CO2 à des milliers d’années pour les gaz fluorés) et de l’inertie du cycle de l’eau.
L’atténuation permet de préserver le climat avec un effet à moyen et long terme du fait de l’inertie climatique. L’adaptation permet de préserver nos sociétés contre les effets du changement climatique à court et moyen terme. Plus l’atténuation sera efficace, moins l’adaptation sera coûteuse : mais quoi qu’il advienne il faudra forcément s’adapter car le climat a déjà commencé à changer[3].
Malgré la mise en jeu de ces différents mécanismes, ces derniers apparaissent très vite insuffisants par rapport aux nouveaux défis climatiques. L’aléa climatique met en porte-à-faux tout le système mondial de lutte contre les effets des changements climatiques. Le respect des engagements en matière d’environnement sont également dépendants de la conjoncture politique d’un État. Un changement de majorité politique comme on le voit aux États-Unis, ou la modification de la conjoncture économique mondiale, pourrait remettre en cause les engagements pris volontairement par les États lors de la COP 21 et bien avant. Engagements qui restent même en deçà des objectifs de réduction du réchauffement climatique.
Pour les pays en développement, le préjudice économique des catastrophes peut être insoutenable. Selon les recherches effectuées pour le rapport Risques naturels, catastrophes non naturelles : aspects économiques d’une prévention efficace, financé par le Groupe de la Banque mondiale et la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR), l’impact des catastrophes sur le PIB y est 20 fois plus important que dans les nations industrialisées. Ainsi, selon l’évaluation des besoins après catastrophe, les dommages et pertes consécutifs aux séismes qui ont frappé le Népal en avril et mai 2015 s’élèveraient à environ un tiers du PIB national.
Sous l’effet du changement climatique, l’impact des catastrophes va continuer à s’amplifier. Selon Munich Re, leader mondial de la réassurance, le montant total des pertes découlant de catastrophes aurait atteint 4.200 milliards de dollars entre 1980 et 2014. Environ 75 % de ces pertes sont à imputer à des phénomènes météorologiques extrêmes, sachant que les changements climatiques menacent d’ici 2030 de faire basculer 100 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté[4]. La nécessité du renforcement immédiat de la résilience se fait donc plus pressante.
L’impérieuse reconsidération de la résilience face aux changements climatiques
Bien qu’étant présente, la résilience face aux changements climatiques telle qu’issue des mécanismes actuels mérite d’être revue en insufflant un nouveau dynamisme.
L’intégration de la gestion des risques de catastrophe dans la planification du développement doit permettre d’inverser la tendance de l’aggravation de l’impact des phénomènes climatiques. Une telle intégration se manifeste à travers le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030)[5]. Toutefois, de nombreux pays en développement ne disposent pas des outils, des connaissances et des instruments nécessaires pour intégrer, dans leurs décisions d’investissement, les impacts potentiels de conditions météorologiques défavorables.
Si le renforcement de la résilience se justifie d’un point de vue économique, c’est surtout un impératif moral. Il s’agit-là de la priorité numéro 3 du Cadre d’action de Sendai, qui succède lui-même au Cadre d’action de Hyōgo (2005-2015), et au plan d’action de Yokohama. Le nouveau rapport de la Banque mondiale et de la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR), intitulé « Unbreakable: Building the Resilience of the Poor in the Face of Natural Disasters »[6], révèle que l’impact des événements climatiques extrêmes est nettement plus dévastateur pour les pauvres.
Dans le contexte de la conférence sur le climat qui s’est tenue à Marrakech (la COP22), l’étude plaide pour l’adoption urgente de politiques capables de mieux protéger les plus vulnérables, qui perdent une grande part de leur patrimoine et ne peuvent guère compter sur l’aide de leur famille, de leurs amis, du système financier ou de leur gouvernement.
Face au caractère pernicieux des effets des changements climatiques, il renforcer la résilience des populations, surtout dans les villes. En effet, les zones urbaines qui abritent 55 % de la population du globe et contribuent à hauteur de 80 % au PIB mondial, sont le moteur de la croissance mondiale. En l’absence d’importants investissements pour rendre les villes plus résilientes, d’ici 2030, le changement climatique risque de faire plonger 77 millions de citadins supplémentaires dans la pauvreté[7].
En ce sens des initiatives fleurissent un peu partout. Au Kenya par exemple, le système de protection sociale a fourni des ressources additionnelles aux agriculteurs vulnérables bien avant la sécheresse de 2015, leur permettant de se préparer et d’atténuer l’impact de cette catastrophe. Au Pakistan, après un nombre record d’inondations en 2010, le gouvernement a mis en place un programme de décaissement rapide d’aides financières en appui aux efforts de reconstruction de quelque 8 millions d’habitants, évitant à bon nombre d’entre eux de sombrer dans la pauvreté[8].
Les investissements se font encore désirer, les coûts de ces derniers étant très élevés. « Les investisseurs font face à toute une série d’obstacles à l’investissement dans la résilience », déclare Francis Ghesquiere, responsable du Dispositif mondial de réduction des effets des catastrophes et de relèvement (GFDRR). « (…) Il y a lieu de trouver des moyens novateurs de surmonter ses difficultés si nous voulons éviter les catastrophes futures »[9].
Il existe un certain nombre d’entraves à l’investissement dans la résilience :
- le manque de capacité des autorités nationales et surtout locales à planifier, financer et mettre en œuvre des projets de résilience ;
- les difficultés liées à la préparation des projets, notamment le coût initial ;
- le manque de confiance du secteur privé.
S’il est vrai que les pouvoirs publics ne peuvent pas toujours à eux seuls faire face à toutes ces difficultés, il existe un certain nombre d’actions qu’ils peuvent entreprendre pour accroître l’investissement dans la résilience :
- les responsables nationaux peuvent créer un cadre d’action au niveau national et local qui encourage la résilience (par exemple en mettant en œuvre en matière d’urbanisation, un code du bâtiment moderne et rigoureusement mis en application) ;
- en établissant un portefeuille de projets bien préparés et prêts à être financés par des investisseurs, les collectivités locales peuvent faciliter et attirer davantage l’investissement dans les projets de résilience entrepris dans leurs villes.
Le rapport Unbreakable de la Banque mondiale évalue les retombées positives d’interventions de renforcement de la résilience qui, à l’instar des systèmes d’alerte précoce, de l’amélioration de l’accès à des services bancaires individuels, des politiques d’assurance et des dispositifs de protection sociale, pourraient permettre de mieux surmonter un choc. Ensemble, ces mesures pourraient faire épargner aux pays et aux communautés 100 milliards de dollars par an et réduire de 20 % l’impact global des catastrophes sur le bien-être.
Somme toute, il faut impérativement renforcer la résilience de notre planète, pour parvenir à mettre fin à la pauvreté dans le monde et à promouvoir une prospérité partagée, sans quoi tous nos efforts resteront lettre morte.
Dessa-nin Ewèdew Awesso
[1] “Unbreakable: Building the Resilience of the Poor in the Face of Natural Disasters” https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/25335
[2] Voir http://www.unisdr.org/we/inform/terminology
[3] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-principes-de-l-adaptation,14478.html
[4] http://www.banquemondiale.org/fr/topic/disasterriskmanagement/overview
[5] http://www.unisdr.org/we/coordinate/sendai-framework
[6] https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/25335/211003ovFR.pdf (résumé en français) ; https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/25335 (version originale en anglais).
[7] http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2016/10/12/world-bank-investing-in-urban-resilience-can-save-the-worlds-cities-billions-each-year-and-keep-millions-out-of-poverty
[8] http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2016/11/14/natural-disasters-force-26-million-people-into-poverty-and-cost-520bn-in-losses-every-year-new-world-bank-analysis-finds
[9] Voir supra note 5.