Du fait qu’il intègre un service organisé, qu’il n’est pas libre de la trajectoire et de l’arrivée de la course, et que la plateforme peut déconnecter le travailleur indépendant, le contrat liant Uber et un chauffeur-livreur est un contrat de travail selon la Cour de cassation en date du 4 mars 2020[1].
Le mécanisme est bien connu. Des plateformes numériques qui se présentent comme un intermédiaire entre un chauffeur et un client qui passe la commande, ont recours à des travailleurs indépendants pour exécuter les tâches et ne sont donc pas liés par un contrat de travail. Il en ressort pour Uber de ne pas appliquer les coûteuses dispositions du Code du travail : un salaire minimum, des cotisations patronales, ou encore des indemnités de licenciement. Cependant, le mécanisme s’essouffle pour ces plateformes à tel point que la Cour de cassation commence à requalifier ces contrats de prestation de service en contrat de travail. Elle l’a notamment fait pour une autre plateforme, « Take Eat Easy »[2], en relevant que le système de géolocalisation dans l’application et le système de bonus-malus caractérisaient un lien de subordination, et poursuit la dynamique avec Uber.
Dans le cadre d’un arrêt de rejet le 4 mars 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, non sans surprise, la jurisprudence constante pour qualifier un contrat de travail et plus particulièrement le lien de subordination qui est la condition déterminante. La subordination « est caractérisée par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[3]. Il en dégage classiquement trois critères principaux : un pouvoir de direction, de contrôle, et de sanction.
En l’espèce, la haute juridiction a d’abord recours à l’indice de l’intégration dans un service organisé pour requalifier le contrat de travail. En effet, les juges relèvent que lorsque le chauffeur-livreur s’inscrit sur la plateforme Uber, il ne dispose pas d’une clientèle propre, ni ne fixe librement le tarif de la course, et que le service n’existe que par le biais de cette plateforme. Cela suffit à qualifier l’intégration dans un service organisé. Néanmoins, comme le rappelle la Cour de cassation dans une note explicative[4], ce n’est qu’un indice qui est insuffisant à emporter la qualification de contrat de travail.
Un juge qui pose des critères d’identification du lien de subordination
Ensuite, dans le cadre d’Uber, la Cour de cassation motive sa décision sur de nouveaux critères pour trouver un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. Notamment, lorsque le chauffeur n’est pas libre du trajet de la course et qu’en cas de non-respect, il y a des « corrections tarifaires » qui sont appliquées. Et d’insister sur le fait que la destination finale de la course n’est pas décidée par le chauffeur contrairement au chauffeur indépendant qui a une totale liberté dans ce domaine. La non-liberté du trajet et de la destination finale sont de nouveaux outils qui permettront aux plateformes numériques de savoir si le contrat de prestation de service avec un chauffeur-livreur est finalement un contrat de travail.
Enfin, Uber a la faculté de déconnecter temporairement ou définitivement le chauffeur-livreur sous divers cas. Parmi eux, lorsqu’il refuse plus de trois courses, en cas de « comportements » jugés « problématiques » et lorsque le taux d’annulation des demandes est trop élevé. A l’évidence, la Cour de cassation y voit un pouvoir de sanction qualifiant la relation en contrat de travail.
Cependant, cet arrêt n’a pas une portée générale et il est impossible d’affirmer que tous les chauffeurs de plateformes numériques sont des salariés. En réalité, la qualification dépendra des circonstances et des faits de chaque espèce puisqu’il s’agit d’une appréciation in concreto. Il semble qu’il faille consulter un-à-un les critères déjà mis en évidence dans divers arrêts d’espèces pour requalifier en contrat de travail le contrat entre Uber et un chauffeur indépendant.
Hugo Devesa, étudiant en L3 de droit à l’université de Tours
[1] Cour de Cassation, Chambre sociale, du 04 mars 2020, 19-13.316
[2] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 novembre 2018, 17-20.079, publié au bulletin
[3] Cour de Cassation, Chambre sociale, du 13 novembre 1996, 94-13.187, publié au bulletin
[4] Site de la Cour de cassation > courdecassation.fr > Note explicative relative à l’arrêt n°374 du 4 mars 2020 (19-13.316) – Chambre sociale (arrêt dit « Uber »)