Par un arrêt du 11 janvier 2017 [1], la Chambre Sociale de la Cour de cassation modifie son appréciation de la distinction entre le complément de salaire et le remboursement de frais réels. Cet arrêt de la Cour de Cassation porte sur les sommes, autres que le salaire, versées au salarié en contrepartie du travail. Ces dernières pouvant être notamment qualifiées de compléments de salaire ou de remboursements de frais.
Les compléments de salaire sont assimilés à des rémunérations alors que les remboursements de frais réels ne le sont pas. La distinction n’est pas neutre car les sommes assimilées à de la rémunération doivent être intégrées dans l’assiette de calcul du SMIC ou dans le calcul de différentes indemnités assises sur la rémunération. Cependant aucun texte ne définit clairement le complément de salaire et le remboursement de frais réels en matière de rémunération. La Cour de cassation a donc établi un critère de distinction (I), remis en cause dans l’arrêt du 11 janvier 2017 (II). Une notion propre au droit du travail, qui est différente des frais professionnels au sens du droit de la sécurité sociale (III).
I) Le critère « initial » : le caractère forfaitaire ou non des sommes versées
La Cour de cassation, dans des arrêts du 21 novembre 2012 (n° 10-21.397), du 18 décembre 2012 (n° 11-13.813) ou encore du 25 septembre 2013 (n° 12-13.055) utilisait comme critère de distinction, le caractère forfaitaire des sommes versées au salarié. La Chambre sociale estimait que les sommes versées au salarié « qui compensent une sujétion particulière de l’emploi et présentent un caractère forfaitaire, ne correspondent pas à un remboursement de frais mais constituent un complément de salaire ».
La Cour de Cassation faisait de la sorte une distinction selon les modalités de remboursement :
– lorsque le remboursement présente un caractère forfaitaire et ne fait pas l’objet de justificatif, alors il ne correspond pas à de véritables débours du salarié : il constitue un complément de salaire, assimilé à de la rémunération ;
– lorsqu’il s’agit d’un remboursement de frais réels, c’est à dire d’une dépense véritablement engagée par le salarié, ce dernier n’est pas assimilé à de la rémunération. Il ne sera donc pris en compte ni pour l’application du Smic ni dans le calcul d’indemnités assises sur la rémunération.
II) La référence nouvelle à l’objet des sommes versées
L’arrêt du 11 janvier 2017 vient opérer un revirement de jurisprudence. En effet la Cour de cassation ne se réfère plus aux modalités de remboursement des sommes mais à l’objet pour lesquelles elles sont versées. En l’espèce, un syndicat a demandé l’intégration des sommes versées aux salariés dans l’assiette de calcul de l’indemnité complémentaire de maintien de salaire en cas de maladie (article L. 1226-1 du Code du travail [2]) et dans le calcul de l’indemnité de congés payés (article L. 3142-22 du Code du travail [3]). En accord avec les précédentes décisions de la Cour de cassation, les juges du tribunal de grande instance [4], confirmés par la Cour d’appel de Paris le 28 mai 2015 [5], ont accueilli favorablement la demande du syndicat, au motif que ces sommes ont un caractère forfaitaire et sont versées aux salariés sans que ces derniers n’aient à fournir le moindre justificatif.
Dans l’arrêt du 11 janvier 2017, la Cour de cassation relève en premier lieu que ces sommes versées aux salariés, sont composées :
– de primes de panier dont l’objet est de compenser le surcoût du repas consécutif à un travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques ;
– d’indemnités de transport dont l’objet est d’indemniser les salariés des frais de déplacement entre leur domicile et leur lieu de travail.
La Chambre sociale casse la décision des juges du fond, au motif que, « nonobstant leur caractère forfaitaire et l’absence de production de justificatif, la prime de panier et l’indemnité de transport constituent un remboursement de frais et non un complément de salaire ».
Selon la Cour de cassation, ces primes et indemnités ne sont pas assimilées à de la rémunération au sens du droit du travail et n’ont pas à être intégrées dans le calcul des indemnités assises sur la rémunération. En conséquence, l’employeur n’a pas à intégrer ces sommes dans le calcul de l’indemnité complémentaire de maintien de salaire en cas de maladie et de l’indemnité de congés payés.
III) Une notion différente en droit de la sécurité sociale
En matière de droit de la sécurité sociale, la notion de remboursement de frais réellement engagés par le salarié est qualifiée de frais professionnels. Cette notion est définie dans un arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale [6]. Il résulte de cet arrêté que, les frais professionnels correspondent à des dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et qu’ils sont exclus de la base de calcul des cotisations de sécurité sociale ainsi que de CSG et CRDS.
Quoique proche, la notion de frais professionnels est propre au droit de la sécurité sociale et ne doit pas être confondue avec la notion de remboursement de frais au sens du droit du travail. En effet, les textes émis par les institutions de sécurité sociale relatifs aux frais professionnels ne peuvent pas s’appliquer en droit du travail, notamment pour distinguer le complément de salaire du remboursement de frais.
Benjamin Renou Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, Apprenti juriste chez Fromont Briens.
Vincent Alazard Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, Apprenti juriste chez Gide Loyrette Nouel.
[1] Cour de Cassation, Chambre sociale, 11 janvier 2017, n° 15-23.341 FP-PBRI.
[2] L’employeur est tenu de verser au salarié une indemnité complémentaire aux indemnités journalières de Sécurité sociale (article L. 1226-1 du Code du travail). L’assiette de calcul de cette indemnité est définie aux articles D. 1226-1 à D. 1226-8 du Code du travail.
[3] Devenu l’article L. 3141-24 du Code du travail après la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
[4] Tribunal de Grande instance de Paris, 1ère, 18-03-2014, n° 13/07973.
[5] Cour d’appel de Paris Paris, pôle 6, chambre 2, 28 mai 2015, n° S 14/08742.
[6] Arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.