La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 mars 2016, a estimé que le refus d’un salarié de poursuivre l’exécution de son contrat de travail en raison d’un simple changement des conditions de travail le rend responsable de l’inexécution du préavis. Aussi, le refus du salarié d’exécuter son contrat aux nouvelles conditions prévues par l’employeur en vertu de son pouvoir de direction le prive des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés afférents.
Les articles L. 1234-1 et suivants du Code du travail prévoient qu’en cas de licenciement pour faute grave, le salarié perd le bénéfice de son indemnité de préavis. La faute grave correspond notamment à la violation d’obligations découlant du contrat de travail par le salarié, d’une importance telle qu’elle rend impossible la poursuite du contrat, y compris pendant la durée du préavis[1]. Il pourra s’y retrouver également le refus délibéré et renouvelé d’intégrer, à l’issue de sa période de détachement, l’agence convenue lors de l’embauche[2], ou encore lors de la persistance du salarié dans son refus de prendre son poste au magasin d’usine, avec des absences sans justificatif malgré plusieurs courriers de l’employeur de mise en demeure et de demande d’explications[3]. Néanmoins, le refus par un salarié d’un changement de ses conditions de travail, s’il rend le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave[4]. La Cour de cassation refuse une telle automaticité, et la solution sera identique lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une clause de mobilité[5]. Toutefois, la Cour de cassation confirme une nouvelle hypothèse prétorienne permettant la privation de l’indemnité compensatrice de préavis pour le salarié hors le seul cas de la faute lourde.
Le refus fautif du salarié d’exécuter la clause de mobilité de son contrat de travail
Le lieu de travail du salarié, sa contractualisation et le pouvoir de direction de l’employeur, ne forment pas un contentieux récent. La Chambre sociale a introduit très tôt la notion de secteur géographique à l’intérieur duquel s’exerce le pouvoir de direction de l’employeur, et au-delà duquel le changement devient une modification du contrat que ce dernier ne peut imposer[6]. Ainsi, la mobilité au sein du secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail que le salarié ne peut refuser sans commettre de faute. Cette distinction s’efface en présence d’une clause de mobilité dans le contrat de travail, prévoyant sa zone géographique d’application et permettant en principe à l’employeur d’imposer une mutation au salarié dans l’ensemble de cet espace[7]. Si cette décision unilatérale de l’employeur de changer les conditions de travail du salarié est présumée être prise de bonne foi[8], elle ne peut toutefois porter une atteinte disproportionnée au droit du salarié à une vie personnelle et familiale[9]. Le salarié pourrait alors valablement la refuser si elle n’était pas compatible avec des obligations familiales impérieuses[10]. En l’espèce, c’est de cette casuistique qu’a eu à connaître la Cour de cassation. En effet, un salarié engagé en mars 2001 avec clause de mobilité refuse sa mise en œuvre en mai 2012 et se voit licencié. Contestant son licenciement, il saisit la juridiction prud’homale. Par jugement, le conseil, considérant la clause irrégulière, prononce le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel, par un arrêt infirmatif, a jugé la clause de mobilité régulière et a jugé le licenciement pour cause réelle et sérieuse, allouant au salarié une indemnité compensatrice de préavis. Formant un pourvoi, le salarié se voit débouter par la Cour de cassation qui censure également l’indemnité compensatrice de préavis allouée à tort par les juges du fond.
Le salarié fautif comme seul responsable de sa perte indemnitaire
La Chambre sociale, statuant sur deux moyens, rappelle dans un premier temps qu’il relève de l’appréciation souveraine des juges du fond de déterminer si la violation de la clause de mobilité permet au licenciement de procéder d’une cause réelle et sérieuse. Cette position de la Cour de cassation s’inscrit dans la ligne de ses précédents arrêts, confirmant la Cour d’appel qui a pu décider qu’un tel refus – sans aucune justification légitime – caractérisait une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail[11]. La Cour de cassation n’exerce plus qu’un contrôle léger de la qualification de la faute grave retenue par les juges du fond, appréciée in concreto au regard des seuls motifs énoncés dans la lettre de licenciement. La Chambre sociale précise de plus qu’en cette hypothèse, « le refus d’un salarié de poursuivre l’exécution de son contrat de travail en raison d’un simple changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction rend ce salarié responsable de l’inexécution du préavis qu’il refuse d’exécuter aux nouvelles conditions et le prive des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés afférents » confirmant là encore sa position antérieure[12]. La position de la jurisprudence de la Chambre sociale sur les conditions d’exécution du préavis n’est pas récente. Aussi, il avait déjà été jugé qu’il résulte d’un contrat de travail contenant une clause mobilité que la mutation du salarié constitue un simple changement de ses conditions de travail de sorte que l’employeur qui le licencie à raison de son refus peut lui imposer d’exécuter son préavis dans les conditions nouvellement prévues par lui[13].
Cette responsabilité se comprend dès lors que le changement des conditions de travail repose sur une décision valablement prise par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction. Le refus d’exécuter son préavis étant alors imputable au salarié fautif, ce dernier, en plus d’en être responsable, se trouve alors privé des indemnités afférentes. La chambre sociale imputait déjà la responsabilité de l’inexécution du préavis au salarié refusant de poursuivre l’exécution du contrat en raison, non pas d’une modification du contrat, mais d’un simple changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction[14]. La Cour de cassation censure donc partiellement l’arrêt d’appel en cassant, sans renvoi, uniquement les dispositions attributives d’une indemnité compensatrice de préavis au bénéfice du salarié.
[1] Soc., 12 juillet 2005, pourvoi n° 03-41.536, Bull. 2005, V, n°245
[2] Soc., 24 juin 2015, pourvoi n° 13-25.522, Bull. 2015, V, à paraître
[3] Soc., 24 juin 2014, pourvoi n° 12-29.519
[4] Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 03-42.018, Bull. 2005, V, n° 64 ; Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 04- 45.463, Bull n° 64 ; Soc., 23 janvier 2008, pourvoi n° 07-40.522, Bull. 2008, V, n° 19
[5] Soc., 23 janvier 2008, pourvoi n° 07-40.522, Bull. 2008, V, n° 19, publié au rapport annuel
[6] Soc., 4 mai 1999, pourvoi n° 96-40.227, Bull. 1999, V, n° 558
[7] Soc., 23 novembre 1999, pourvoi n° 97-41.295
[8] Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 04-42.018, Bull. 2005, V, n° 64, publié au rapport annuel
[9] Soc., 14 octobre 2008, pourvoi n° 07-40.523, Bull. 2008, V, n° 192 ; Soc., 13 janvier 2009, pouvoir n° 06-45.562, Bull. 2009, V, n° 4
[10] Soc., 9 mai 2001, pourvoi n° 99-44.111, Bull. 2001, V, n° 157
[11] Assemblée plénière, 23 octobre 2015, pourvoi n° 13-25.279, Bull. 2015, Ass. plén., n° 623 ; Soc., 12 janvier 2016, pourvoi n° 14-23.290, à paraître au bulletin
[12] Soc., 4 avril 2006, pourvoi n° 04-43.506, Bull. 2006, V, n° 133
[13] Soc., 25 novembre 1997, pourvoi n° 95-44.053, Bull. 1997, V, n° 396
[14] Soc., 17 octobre 2000, pourvoi n° 98-42.177, Bull. 2000, V, n° 327