À un an de sa prochaine échéance, l’élection présidentielle s’apprête à voir ses règles modifiées par deux propositions de lois organique et ordinaire déposées en novembre 2015 à l’Assemblée nationale par le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno le Roux, et par Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l’Assemblée et désormais ministre de la Justice.
Moment privilégié de mobilisation des Français, l’élection présidentielle étant l’une des seules élections au suffrage universel direct avec celle des députés, son taux de participation est de loin le plus élevé de l’ensemble des scrutins nationaux. Ce rendez-vous quinquennal est en conséquence très médiatisé, y compris un an avant son échéance au vu des déclarations successives de candidatures ces dernières semaines.
Aussi fondamentale soit-elle, il ne faut pas oublier que l’élection du président de la République par l’ensemble des citoyens français n’était pas prévue par la Constitution du 4 octobre 1958. En effet, à l’origine, ce scrutin était réservé à un collège élargi d’environ 80 000 grands électeurs, parmi lesquels des parlementaires, des conseillers généraux et des représentants des conseils municipaux. Fort de l’émotion suscitée par l’attentat du Petit-Clamart du 22 août 1962, au cours duquel on a tenté de l’assassiner, le président Charles de Gaulle a mis en place un référendum le 28 octobre 1962 visant à la mise en place du suffrage universel direct pour l’élection du président. Le référendum ayant été un succès, la révision constitutionnelle fut adoptée le 28 octobre 1962. Depuis lors, et jusqu’à nos jours, le régime de ce scrutin n’a été profondément modifié que par le référendum du 24 septembre 2000 à l’origine de la mise en place du quinquennat.
Or, Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, à l’origine de la proposition de réforme de l’élection présidentielle, a souligné le fait, qu’à chacune de ses échéances, des dysfonctionnements sont pointés du doigt pour ensuite être oubliés pendant les cinq années de mandat du candidat élu.
Sont notamment visées la complexité et la sévérité des règles applicables aux médias durant la campagne, ce qui dissuaderait ces derniers d’accueillir les candidats. Sur ce point, plusieurs directeurs de rédaction de médias avaient adressé au président du Conseil constitutionnel une lettre demandant une modification des dispositions concernant la couverture médiatique de la campagne électorale, estimant que les règles actuelles étaient impossibles à suivre[1]. De plus, le système des parrainages, ou encore l’opacité des règles sur les sondages[2], ont également souvent été critiqués. Ces difficultés ont poussé Jean-Jacques Urvoas à déposer deux propositions de loi visant à améliorer le scrutin présidentiel.
La proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle et la proposition de loi de modernisation de diverses règles aux élections, ont été adoptées par l’Assemblée nationale, le 16 décembre 2015, et par le Sénat, en première lecture, avec néanmoins des modifications, le 18 février 2016. Après l’échec de la commission mixte paritaire, chargée de trouver un consensus sur les dispositions de la réforme restées en discussion, les propositions ont été adoptées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale le 24 mars dernier. Le 31 mars, le Sénat n’a adopté, après modification, que la proposition de loi ordinaire, votant, s’agissant de la proposition de loi organique, une motion tendant à opposer la question préalable.
Les chambres n’étant pas parvenues à se mettre d’accord durant la nouvelle lecture, les deux textes ont été définitivement adoptés par l’Assemblée nationale le 5 avril 2016. Le lendemain de cette adoption, le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61 de la Constitution[3] pour contrôler la constitutionnalité de la loi ordinaire. Les Sages ont également contrôlé la constitutionnalité de la loi organique dans le cadre du contrôle automatique des lois organiques prévu par le premier alinéa de l’article 61[4].
Les deux textes ont été jugés conformes à la Constitution le 21 avril 2016[5], avec toutefois une réserve d’interprétation concernant la loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. La réserve concerne l’envoi des parrainages par voie postale, les Sages ayant précisé la nécessaire prise en compte des circonstances de force majeure affectant ces envois en cas de dépassement du délai de présentation des candidats.
S’agissant de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections, le Conseil constitutionnel s’est contenté d’une validation succincte. Il s’agissait en effet d’une saisine blanche, c’est-à-dire d’une saisine ne formulant aucun grief, et le Conseil n’a pas jugé bon de soulever d’office des motifs d’inconstitutionnalité.
Pourtant, dans leur jurisprudence antérieure, les Sages ont eu l’occasion d’affirmer la possibilité de dépasser le cadre de leur saisine, pour se saisir d’office de dispositions contraires à la Constitution. Ils l’ont fait pour la première fois en 1981[6]. Ainsi, lorsqu’il est saisi, le Conseil constitutionnel l’est de l’ensemble de la loi qui lui est déférée, sans être tenu aux termes de la saisine[7]. En conséquence, dans le cadre d’une saisine blanche, comme pour la loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, le Conseil est libre de contrôler l’ensemble des dispositions. En dépit de cette possibilité, le 21 avril dernier, les Sages se sont contentés d’affirmer que la loi ordinaire « a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution ».
Quelles sont les principales mesures de la réforme de l’élection présidentielle ?
L’objectif de la réforme étant de moderniser les règles applicables au scrutin présidentiel, le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle, et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, organes compétents en matière de contrôle de cette élection, ont remis leurs recommandations aux chambres parlementaires qui ont adopté les textes définitifs. Sept mesures sont prévues par ces textes.
I- Une publicité intégrale des parrainages visant à assurer l’égalité entre les candidats
Si l’élection présidentielle s’effectue aujourd’hui au suffrage universel direct, les citoyens français ne sont pas pour autant parfaitement libres de choisir leur président, les candidats étant avant tout soumis à l’épreuve des parrainages. Tout candidat à l’Élysée doit en effet obtenir plus de 500 signatures d’élus les parrainant pour pouvoir prétendre à ce scrutin.
Or, la loi organique du 18 juin 1976 sur l’élection présidentielle prévoit la publication au Journal officiel des noms et qualités des parrains dans la limite des 500 requis.
La proposition de loi sur l’élection présidentielle se penche sur cette question à divers égards. L’article 3 de la proposition de loi prévoit que la liste des élus habilités à présenter un candidat soit actualisée, notamment en raison des changements apportés par la réforme territoriale promulguée le 7 août 2015. Cette dernière a en effet des incidences sur l’élection présidentielle, notamment l’ajout des membres du conseil de la métropole de Lyon, des maires délégués des communes déléguées, des maires des arrondissements de Paris ainsi que des présidents des organes délibérants des métropoles à la liste des élus habilités à présenter un candidat. La transmission au Conseil constitutionnel des formulaires de parrainage signés par les élus est également prévue. Mais c’est surtout la mesure prévoyant la publicité intégrale de la liste des parrains qui a fait l’objet de débats.
Alors que jusqu’ici seuls 500 d’entre eux faisaient l’objet de publicité, après avoir été tirés au sort, soit le minimum requis pour valider une candidature à la présidentielle, la proposition de loi envisage une publicité de l’ensemble des parrainages des candidats par le Conseil constitutionnel. Cette publication se fera au minimum huit jours avant le premier tour de scrutin, et « au fur et à mesure de la réception des présentations (…), deux fois par semaine », selon l’article 3 de la loi organique de modernisation de l’élection présidentielle. Sur ce point, les sénateurs ont même prévu l’application de cette publicité aux candidats ayant recueilli moins de 500 signatures, et dont la candidature ne sera donc pas soumise au vote des Français, mesure qui n’a toutefois pas été retenue en lecture définitive.
Cette question a suscité de nombreuses réactions, réveillant l’ancien débat sur la publicité des parrainages.
Si ses partisans y voient une garantie de transparence nécessaire dans la vie politique, certains lui préfèrent le secret des parrainages, qui seul assure une authentique liberté d’opinion aux parrains. En effet, les opposants à la publication des parrainages soulignent le risque pour les élus parrainant un candidat de devoir rendre des comptes sur leur choix, et éventuellement être privés d’avantages–notamment de subventions pour les élus locaux– s’ils parrainaient un autre candidat que celui de leur parti.
En dépit de ce risque de chantage et de corruption, la publicité des parrainages compte parmi ses partisans le Conseil constitutionnel qui a manifesté sa volonté de publier intégralement les listes depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 1976 prévoyant la publication partielle. Il a écarté, dans sa décision n° 2012-233-QPC du 21 février 2012[8], l’argument selon lequel une telle publication méconnaîtrait le principe de secret des suffrages, affirmant que le parrainage des candidats « ne saurait être assimilé à l’expression d’un suffrage ». Il a même été jusqu’à afficher la liste complète des parrainages dans ses locaux en 1988, en 1995 et en 2002. Il a également demandé en 2002, et en 2005, la création d’une loi lui permettant de diffuser la liste totale des identités des parrains, sans succès. Toutefois, les Sages ont fini par renoncer à cet affichage en 2007.
Notons que Guy Carcassonne, éminent professeur de droit constitutionnel, a désapprouvé la publicité intégrale des parrainages en ce qu’elle donnerait trop de poids à cette étape de l’accès à l’Élysée, pourtant secondaire par rapport au vote des électeurs. Une liste intégralement publiée risquerait selon lui d’être instrumentalisée par les candidats, au détriment du débat politique. Il s’était opposé à la publicité intégrale lors d’un débat au Conseil constitutionnel en 2013 en ces termes : « Je ne suis pas sûr qu’il y ait lieu à changer la publicité des parrainages par rapport au système existant », ajoutant qu’il était souhaitable d’éviter « tout ce qui pourrait ressembler à un pré-premier tour d’une manière ou d’une autre. A cet égard, transformer la quête aux signatures […] en une course de performance, où chaque candidat aura à cœur de montrer qu’il a le plus de soutiens à cette occasion, me paraît profondément malsain. Parce que cela ne correspond ni à l’objet, ni à la règle, ni à la logique même de l’élection présidentielle »[9].
Quoi qu’il en soit, nombreux sont ceux, à la fois parmi les partisans d’une publication intégrale et ses opposants, à critiquer la situation intermédiaire posée par la loi de 1976. Comme le relève Jean-Claude Colliard, professeur à Paris 1 et membre honoraire du Conseil constitutionnel, la publication des cinq-cents noms constitue une rupture d’égalité entre les parrains dont le nom n’est pas divulgué, l’énorme majorité d’entre eux, et ceux qui devront assumer leur parrainage au grand jour. Cette inégalité est d’autant plus forte entre les parrains des candidats des grands partis et ceux de groupes politiques plus minoritaires. J.-C. Colliard le souligne, chiffres de l’élection de 2007 à l’appui : « un présentateur de José Bové (503 retenus) a 99,4 % de chances, ou de risques, comme on voudra, de voir son nom publié ; un parrain de Jean-Marie Le Pen (554) 90,3 % alors que les taux sont de 14,3 % pour Ségolène Royal et 14,4 % pour Nicolas Sarkozy »[10].
Dans le cadre de la réforme de l’élection présidentielle, le législateur a tranché ce débat complexe en faveur de la transparence des parrainages, avec pour avantage de mettre l’ensemble des élus parrainant un candidat à l’Élysée sur un pied d’égalité.
II- La nouvelle prévalence polémique du principe d’équité sur l’égalité de temps de parole des candidats
La réduction de la période durant laquelle la campagne présidentielle est régie par l’égalité du temps de parole est l’une des mesures les plus discutées de la réforme de l’élection présidentielle.
Sur le plan médiatique, l’élection présidentielle est régie par deux principes complémentaires : le principe d’équité et le principe d’égalité. Le premier, commun à toute élection, implique l’allocation aux candidats, à leurs partis ou à leurs soutiens, d’un temps de parole proportionnel à leur représentativité, aux résultats de sondages d’opinion et à leur contribution effective à l’animation du débat électoral. La représentativité est mesurée sur la base des résultats du candidat ou de son parti aux dernières élections, tandis que la contribution au débat électoral est mesurée sur la base de différents éléments tels que l’organisation de réunions publiques, la participation à des débats, ou toute action publique donnant accès au programme du candidat.
Le second principe régissant la campagne électorale audiovisuelle, cette fois propre à l’élection présidentielle, est le principe d’égalité. Il implique une égalité des temps de parole et d’antenne pour l’ensemble des candidats.
Ces deux principes s’appliquent successivement au cours de la campagne électorale.
Or, la loi organique de modernisation de l’élection présidentielle prévoit de réduire la période régie par le principe d’égalité, en excluant de celle-ci la période dite intermédiaire, qui correspond à la phase comprise entre la date de parution au Journal officiel de la liste des candidats et l’ouverture de la campagne officielle. Pendant cette durée, jusqu’alors régie par le principe d’égalité, le principe d’équité sera désormais mis en place. Le principe d’égalité demeure, mais sur une période restreinte, puisqu’il ne couvre plus que la durée de la campagne officielle.
Concrètement, cela revient à réduire à trois semaines – au lieu de cinq actuellement – la période d’égalité du temps de parole des candidats. Cette disposition avait été supprimée par le Sénat en première lecture, mais rétablie par l’Assemblée nationale à qui revient le dernier mot.
Qualifiée de « confiscation de la parole publique » par une sénatrice[11], la mesure est accusée de rendre l’accès au scrutin présidentiel beaucoup plus difficile pour de nouveaux candidats à l’élection. En effet, les candidats issus de petits partis jouissent d’une représentativité limitée, celle-ci étant calculée à partir des résultats aux élections précédentes, et bénéficient rarement des moyens nécessaires à une contribution à l’animation du débat électoral importante. Le principe d’équité se fondant sur ces éléments pour attribuer le temps de parole du candidat, ces derniers se verront attribuer un temps de parole bien moindre que celui dont jouiront les candidats issus des grands partis, qui bénéficient de moyens importants et d’une grande représentativité.
Au-delà des petits partis, c’est aussi au sein-même des grands groupes politiques que la réforme fait grincer des dents, celle-ci rendant plus difficile l’accès à l’élection présidentielle pour d’éventuels nouveaux candidats du parti, favorisant les membres ayant déjà participé à une élection. Dans ces conditions, de nombreux hommes politiques dénoncent le risque de maintien des grands partis en place, véritable obstacle au renouvellement des idées et des élites politiques.
Certains partisans de la mesure soulignent toutefois son utilité contre le risque d’éparpillement des candidatures, éparpillement qui avait souvent été montré du doigt comme la cause de l’échec de la candidature de Lionel Jospin durant le premier tour de l’élection présidentielle de 2002, au service du passage de Jean-Marie Le Pen au second tour de ce scrutin. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a estimé que par cette mesure le législateur « a entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral », mais également « accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale »[12].
III- Une amélioration attendue de la fiabilité des sondages d’opinion
Cette dernière mesure a été ajoutée en dernière lecture à la proposition de loi ordinaire. Elle a pour objectif une plus grande transparence des sondages d’opinion, au service de leur fiabilité.
Sur ce point, la réforme de l’élection présidentielle prévoit l’incrimination de l’utilisation du terme de « sondage » pour désigner des enquêtes liées directement ou non au débat électoral, mais ne correspondant pas à la définition légale du sondage.
De plus, les instituts de sondage devront désormais transmettre à la Commission des sondages une liste d’informations précises sur les conditions de réalisation de chaque enquête. Parmi ces informations, on trouve notamment l’ensemble des questions posées aux personnes sondées (qu’elles aient été publiées ou non), la proportion des personnes sondées n’ayant pas répondu, les critères de redressement des résultats bruts, ou encore le montant et la nature des gratifications des personnes sondées en ligne. Toutefois, l’augmentation des moyens de la Commission des sondages a été rejetée pour des raisons budgétaires évidentes.
Une réforme, contenant la plupart de ces dispositions, avait été adoptée à l’unanimité par le Sénat en 2011, sans jamais être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. La réforme de l’élection présidentielle fut l’occasion pour la chambre haute de réintroduire ces mesures, qui, malgré l’opposition initiale de l’Assemblée nationale, finirent par être adoptées en dernière lecture. Elles étaient incontournables pour accroître la fiabilité des sondages d’opinion, à l’heure où ces derniers se voient, pour la première fois, reconnaître un rôle dans la fixation du temps de parole des candidats à l’élection présidentielle, aux côtés de la représentativité et de la contribution au débat électoral.
IV- Un élargissement des horaires d’ouverture des bureaux de vote
Le texte prévoit la clôture du scrutin à 19 heures au lieu des 18 heures jusqu’alors prévues par le code électoral. Les possibles dérogations locales jusqu’à 20 heures sont maintenues, bien que le Sénat ait exprimé sa volonté de supprimer ces exceptions en première lecture.
Le but de cette disposition est d’atteindre, en élargissant les horaires d’ouverture des bureaux de vote, un niveau de participation électorale le plus élevé possible, dans un contexte dans lequel l’abstention atteint des records inégalés[13].
Les dérogations visées par le texte concernent principalement les horaires spécifiques réservées aux électeurs d’outre-mer, qui, en raison du décalage horaire, votaient originellement plusieurs heures après les Français de métropole.
En raison d’un décalage horaire de douze heures par rapport à la métropole, les habitants de Polynésie française devaient voter alors que les premières estimations des résultats électoraux étaient déjà diffusées. Cette discordance était mal vécue par cette partie des électeurs qui boudaient massivement l’exercice électoral.
C’est pourquoi, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007, le vote des électeurs d’outre-mer a été décalé au samedi, veille de l’ouverture des bureaux de vote métropolitains, permettant une participation au scrutin antérieure au dévoilement des résultats. Cette mesure a eu un fort succès, mesurable par une augmentation spectaculaire du taux de participation au vote par rapport aux élections précédentes. En Martinique, ce taux a augmenté de 20% entre le premier tour du scrutin de 2002 et celui de 2007[14].
La conservation de ces dérogations pour les territoires d’outre-mer dans le cadre de la réforme actuelle ne peut dès lors qu’être applaudie.
V- La suppression du droit d’option pour les français de l’étranger
Jusqu’ici, les Français établis hors de France disposaient de deux alternatives pour voter aux élections nationales : soit voter en dehors du territoire national, dans leur pays de résidence, au sein d’un bureau de vote ouvert dans une ambassade ou un consulat, soit en France, dans leur commune d’inscription, eux-mêmes ou par procuration à un électeur de la même commune. Ainsi, l’article 8 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des français établis hors de France pour l’élection du Président de la république dispose que « [lorsqu’un] électeur est inscrit sur une liste électorale consulaire et sur une liste électorale en France, il est fait mention sur cette dernière de son choix d’exercer, durant l’année pendant laquelle cette liste électorale est en vigueur, son droit de vote à l’étranger pour tous les scrutins dont la loi électorale prévoit qu’ils se déroulent en partie à l’étranger ».
La réforme de l’élection présidentielle vient mettre fin à ce droit d’option dévolu aux français de l’étranger de s’inscrire sur une liste électorale d’une commune française et sur une liste électorale consulaire.
VI- Aggravation de la sanction en cas de divulgation et généralisation des moyens de diffusion des résultats électoraux
L’article L. 52-2 du code électoral dispose qu’ »aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique (…) avant la fermeture du dernier bureau de vote ». Cette disposition, prévue afin de ne pas influencer les derniers votants, suscite certaines difficultés à l’heure du numérique.
Si cette question n’est pas transposable chez nos voisins belges ou suisses, qui ferment leurs bureaux de vote avant le dépouillement et donc avant que toute divulgation soit rendue possible, elle est inévitable aux Etats-Unis. En effet, en raison de sa taille, le pays est traversé par divers fuseaux horaires, ceci impliquant nécessairement que les électeurs de la côte Ouest aient connaissance des résultats obtenus dans les États de la côte Est avant la fin du scrutin. Au-delà de la taille du pays, c’est la place qu’il consacre à la liberté d’expression, prévue par le premier amendement de la Constitution de 1787, qui rend tout contrôle des propos divulguant les résultats électoraux, nombreux sur les réseaux sociaux, parfaitement inconcevable. Les résultats américains sont ainsi massivement divulgués, et même utilisés afin de mobiliser les citoyens de tout bord jusqu’à la fermeture des bureaux de vote.
À l’inverse, le législateur français a opté pour une toute autre philosophie en interdisant toute divulgation des résultats électoraux avant la fermeture des derniers bureaux de vote. Elle est sous-tendue par la volonté de ne pas biaiser le vote des citoyens par la diffusion des résultats temporaires. Si louable soit-elle, cette volonté est aujourd’hui mise à mal par l’inapplicabilité de l’interdiction de divulgation des résultats électoraux français aux médias étrangers, auxquels tout électeur français a accès à l’ère numérique. Or, l’article 113-6 du code pénal ne permet pas d’établir la compétence de la loi française pour les délits commis à l’étranger par un média étranger. En raison de cette impunité, certains médias francophones étrangers se vantent même d’avoir la primeur des résultats électoraux, invitant les internautes français à consulter leur site[15].
En dépit de l’aspect dérisoire de cette interdiction face à l’accessibilité des médias étrangers, la réforme de l’élection présidentielle maintient la règle, en remplaçant la liste des moyens de diffusion par une formule générale, permettant la prise en compte de tout moyen de diffusion quel qu’il soit.
Par ailleurs, la sanction de cette divulgation sera aggravée. L’article 12 de la proposition de loi prévoit, en effet, d’harmoniser les sanctions prévues pour divulgation des résultats électoraux, actuellement punie de 3 750 euros d’amende, et celles prévues pour publication, diffusion ou commentaire d’un sondage d’opinion en rapport avec l’élection, actuellement sanctionnée de 75 000 euros d’amende. Désormais, ces deux infractions seront punies de 75 000 euros d’amende. Derrière cette harmonisation se cache une volonté de rendre plus dissuasive la peine prévue pour divulgation des résultats d’une élection avant son terme, tel que l’avait préconisé la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle.
VII-L’absence de modification de la période couverte par les comptes de campagne des candidats à l’Elysée
La réforme vient modifier les dispositions de l’article L. 52-4 du code électoral prévoyant la durée durant laquelle les comptes de campagne des candidats à l’Elysée doivent mentionner leurs recettes et dépenses électorales. La proposition de loi prévoyait de diminuer de moitié cette période, la faisant passer d’un an à six mois.
Initialement, cette modification avait vocation à s’appliquer non seulement au scrutin présidentiel, mais aussi à l’ensemble des élections. Toutefois, l’Assemblée nationale a modifié l’article 6 de la proposition de loi organique en rétablissant, pour la seule élection du président de la République, le délai d’un an. Dès lors, la modification de la période couverte par les comptes de campagne visait toutes les élections, excepté le scrutin présidentiel. En raison du décalage entre cette mesure et l’objet de la réforme, le Sénat a voté la suppression de cette modification.
En définitive, les députés ayant le dernier mot, le délai d’un an a été conservé pour l’élection présidentielle, et le délai est désormais de six mois pour les autres scrutins.
La réforme de l’élection présidentielle a fait l’objet de vives critiques, tant au sujet de la transparence des parrainages, mesure taclée par certains petits candidats d’« attentat contre la démocratie »[16] que de son volet médiatique prévoyant l’allongement de la période régie par le principe d’équité du temps de parole, qualifié de « barbelé supplémentaire »[17] autour des principaux partis politiques. Le prochain scrutin présidentiel, fixé aux 23 avril et 7 mai 2017[18], sera l’occasion de mesurer le bien-fondé de l’hostilité des candidats contestant ces mesures.
Chloé DEBERG
Titulaire du M2 Droit pénal et politique criminelle en Europe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
[1] Pierre Rimbert, « Les médias contre l’égalité », Le Monde diplomatique, Mai 2012, p. 32. : http://www.monde-diplomatique.fr/2012/05/RIMBERT/47695.
[2] Jean-Jacques Urvoas, « Pour une modernisation des règles de l’élection présidentielle », Site personnel de Jean-Jacques Urvoas, 27 octobre 2015 : http://www.urvoas.bzh/2015/10/27/pour-une-modernisation-des-regles-de-lelection-presidentielle/.
[3] Const. 4 oct. 1958, art. 61, al. 2
[4] Const. 4 oct. 1958, art. 61, al. 1
[5] CC, n° 2016-729 DC et n°2016-730 DC, 21 avril 2016,
[6] CC, n° 80-127 DC, 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.
[7] V. notamment : CC, n°96-386 DC, 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996 : La saisine a pour effet de mettre en œuvre « la vérification (…) de toutes les dispositions de la loi déférée y compris de celles qui n’ont pas l’objet d’aucune critique de la part des auteurs de la saisine ».
[8] CC, n° 2012-233 QPC, 21 févr. 2012.
[9] Marc GUILLAUME, Julie BENETTI, Guy CARCASSONNE, Hugues PORTELLI, « Quelle réforme du système de présentation à l’élection présidentielle ? », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 41 (Le Conseil constitutionnel, juge électoral) – octobre 2013 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-41/quelle-reforme-du-systeme-de-presentation-a-l-election-presidentielle.138267.html.
[10]Jean-Claude Colliard, « Les parrainages à l’élection présidentielle », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 34 (Dossier : l’élection présidentielle) – janvier 2012 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-34/les-parrainages-a-l-election-presidentielle.104692.html.
[11] Nathalie Goulet, « Non à la réforme scélérate de l’élection présidentielle », Blog du sénateur Nathalie Goulet, 1er avril 2016 : https://blogs.mediapart.fr/senateur-goulet/blog/010416/non-la-reforme-scelerate-de-lelection-presidentielle-0.
[12] CC, n°2016-730-DC, 21 avril 2016 ; CC, n°2016-729 DC, 21 avril 2016.
[13]Le taux d’abstention a atteint 50,09% au premier tour des élections régionales de 2015, marquant pourtant un sursaut de participation par rapport aux élections précédentes : http://www.webullition.info/elections-regionales-labstention-recul-27994.
[14] http://www.lexpress.fr/resultats-elections/presidentielle-2002-martinique-972_36738.html; http://www.lexpress.fr/resultats-elections/presidentielle-2007-martinique-972_38449.html
[15]Florence Hubin, « Résultats du premier tour : les médias belges et suisses n’attendront pas 20 heures », Le Parisien, 11 avril 2012 : http://www.leparisien.fr/election-presidentielle-2012/resultats-du-premier-tour-les-medias-belges-et-suisses-n-attendront-pas-20-heures-11-04-2012-1949930.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F.
[16] Sophie Brunn, « La réforme des règles de la présidentielle, un « attentat contre la démocratie » pour les « petits » candidats », Site France TV info, 30 mars 2016 : http://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/la-reforme-des-regles-de-la-presidentielle-un-attentat-contre-la-democratie-pour-les-petits-candidats_1380469.html
[17] AFP, « Que change la réforme des règles de la présidentielle, adoptée par le Parlement ? », Site France TV info, 5 avril 2016 : http://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/la-reforme-des-regles-de-la-presidentielle-definitivement-adoptee_1391821.html
[18] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1939