En application de la loi du 30 décembre 2017 et du décret du 25 janvier 2018, depuis le 1er janvier 2018, onze vaccins doivent obligatoirement être effectués sur les enfants de moins de 18 mois nés en France à partir du 1er janvier 2018.
En plus de la diphtérie, du tétanos et de la poliomyélite (DT-polio), les enfants entre 0 et 18 mois doivent désormais être immunisés contre la coqueluche, l’hépatite B, la méningite, le pneumocoque, le méningocoque C, la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR).
La répartition de ces 11 vaccins, telle que proposée par le calendrier vaccinal 2018 rédigé par la Haute Autorité de la Santé est la suivante : les vaccinations se feront au cours de 6 consultations et en 10 injections.
Cette mesure est prévue par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018[1] en son article 49 qui modifie l’article L3111-2 du CSP. Le décret du 25 janvier 2018[2] précise les modalités de mise en œuvre des conditions de réalisation des nouvelles obligations vaccinales pour les jeunes enfants et les modalités de la justification de la réalisation de ces obligations pour l`entrée ou le maintien en collectivités d`enfants.
La loi française impose depuis plus d’un siècle une obligation de vaccination pour les enfants. Le vaccin contre la variole est devenu obligatoire en 1902 (suspendu en 1984, la maladie étant éradiquée). Puis, deviennent obligatoires les vaccins contre la diphtérie en 1938, le tétanos en 1940, la tuberculose dit le BCG en 1950 (suspendue en 2007), et la poliomyélite, en 1964. Fin des années 60, les autorités sanitaires changent de stratégie : les nouveaux vaccins ne sont plus obligatoires, mais recommandés. Seule la vaccination antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique (DTP) reste exigée (ancienne version des articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du CSP)[3].
Les raisons invoquées à la mise en œuvre de cette nouvelle mesure sont les suivantes. Jusque-là, parmi les vaccins figurant dans le calendrier des vaccinations, certains étaient obligatoires, d’autres recommandés. Cela créait une confusion relative à l’intérêt du vaccin, le vaccin simplement recommandé étant perçu comme étant moins important que le vaccin obligatoire. Par ailleurs, la couverture vaccinale était très satisfaisante s’agissant des vaccins obligatoires (et par conséquent également pour les valences figurant dans les vaccins hexavalents). En revanche pour d’autres valences (méningocoque C, rougeole-oreillons-rubéole) recommandées, les couvertures vaccinales étaient très insuffisantes et à l’origine d’épidémies et/ou de décès/handicap évitables.
Cette décision ministérielle intervient alors que le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 8 février 2017, a précisément enjoint au Ministre chargé de la santé de prendre des mesures pour rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations de vaccination. En l’espèce, alors que la loi française imposait seulement trois obligations de vaccination des enfants de moins de dix-huit mois (contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite), aucun vaccin ne correspondant à ces seules obligations n’était commercialisé en France, seuls des vaccins contenant également d’autres vaccinations non obligatoires étant disponibles. Plusieurs dizaines de personnes ont demandé au ministre chargé de la santé de prendre les mesures permettant de rendre disponibles des vaccins correspondant uniquement aux trois obligations de vaccinations. Le ministre ayant refusé, ils avaient saisi le Conseil d’État.
Néanmoins, cette nouvelle obligation vaccinale annoncée par le gouvernement est sujette à de vives controverses tant scientifiques que juridiques. Fin janvier 2018, les Professeurs Joyeux et Montagnier lançaient à la ministre de la Santé un « appel à la raison » concernant l’obligation des 11 vaccins avant deux ans. Ils invoquent notamment, des morts subites du nourrisson, même si elles sont rares ; ainsi que des maladies auto-immunes chroniques graves et handicapantes dans les années suivantes particulièrement du fait de la présence de quantités trop importantes de l’adjuvant aluminique dans la composition de la plupart des vaccins.
Actuellement, une procédure est en cours devant le Conseil d’Etat, à la demande de 3055 personnes pour faire retirer l’adjuvant aluminique présent dans les vaccins obligatoires et le remplacer par le phosphate de calcium[4]. En parallèle dans ce contexte, le 22 décembre 2017, la Cour administrative d’appel de Nantes ordonnait à l’Etat l’indemnisation d’une femme estimant être tombée malade (douleur musculaire, fatigue généralisée) à cause de l’aluminium contenu dans un vaccin contre l’hépatite B[5] (substance également présente dans les vaccinations visées à l’obligation vaccinale).
En juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne marquait les esprits sur cette thématique[6]. Elle estime que malgré l’absence de consensus scientifique, le défaut du vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et la maladie peuvent être prouvés par des présomptions du fait de l’homme, pourvu qu’elles soient graves, précises, et concordantes. Des juges nationaux peuvent alors donner raison à une personne s’estimant victime de ce vaccin, à condition qu’elle présente des « indices graves, précis et concordants » pouvant permettre de conclure à un lien de causalité entre la vaccination et une maladie[7]. Encore faudra-t-il prouver la défectuosité du produit.
Des lois protègent les libertés individuelles et pour certains elles sont en totale contradiction avec les lois d’obligation. La liberté d’accepter ou de refuser un acte médical n’est-elle pas un principe qui doit être respecté pour tout être humain ? Quelle est la légitimité juridique de cette extension de l’obligation vaccinale pour les enfants de moins de 2 ans ?
La France s’argue être « la patrie » des droits de l’homme. Pour ces derniers, la pratique semble donner raison à Robert Badinter qui prône la formule suivante: « peut-être la France n’est-elle finalement que la patrie de la déclaration des droits de l’homme ? »
La problématique de la mise en relation de cette extension de l’obligation vaccinale avec les principes fondamentaux tels que l’inviolabilité et l’intégrité du corps humain, le respect à la vie privée, la liberté fondamentale du consentement libre et éclairé du patient, le droit à l’information du patient ne doit pas être oubliée. Ce, même si l’obligation vaccinale trouve sa justification dans un objectif de santé publique tel qu’invoqué par la ministre.
Par ailleurs, la méfiance des Français face à la vaccination en général, qu’elle soit obligatoire ou non, est bien connue. Les scandales sanitaires successifs (ceux relatifs à l’hépatite B ou encore l’application immodérée du principe de précaution lors de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1) ont eu raison de la confiance de nos concitoyens. La situation est pourtant paradoxale. La France est un des rares pays à avoir une politique de vaccination obligatoire conjuguée à un des taux de vaccination les plus faibles d’Europe[8].
I- Les juges français et européens face à la vaccination obligatoire
Les articles 16-1[9] et 16-3[10] du Code civil posent les principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain. Ainsi, l’obligation vaccinale ne peut être envisagée que comme une exception à ces principes, obéissant à un strict régime juridique.
Les juges français considèrent, que « si les dispositions qui rendent obligatoires certaines vaccinations ou permettent à l’autorité administrative d’instituer par voie réglementaire de telles obligations “ont pour effet de porter une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain (…), elles sont mises en œuvre dans le but d’assurer la protection de la santé, qui est un principe garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958, et sont proportionnées à cet objectif” »[11]. Ainsi, la protection de la santé publique peut s’entendre comme une exception aux principes posés par les articles 16-1 et 16-3 du Code civil.
La jurisprudence de la CEDH ne semble pas emprunter la même direction. Les juges européens considèrent « qu’un traitement médical non volontaire, tel qu’une vaccination obligatoire, constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée dont la sphère recouvre, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’intégrité physique et morale d’une personne »[12].
Il ne faut pas négliger dans ce contexte de divergence d’interprétation, la décision du Conseil constitutionnel de mars 2015[13], qui précise que l’obligation vaccinale est conforme à la Constitution (conformité des articles L. 3111-1, L. 3111-2 et L. 3111- du Code de la santé publique à la Constitution). Ils valident ainsi la constitutionnalité du régime obligatoire de vaccination des mineurs.
Les requérants soutenaient que ces vaccinations obligatoires pouvaient faire courir un risque pour la santé contraire à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (La Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère […] la protection de la santé »).
Les juges rappellent par ailleurs qu’ils ne disposent pas du pouvoir d’apprécier les dispositions prises par le législateur s’agissant de l’objectif de protection de la santé : « qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a imposé des obligations de vaccination antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique aux enfants mineurs […] ; qu’il a ainsi entendu lutter contre trois maladies très graves et contagieuses ou insusceptibles d’être éradiquées […] ; chacune de ces obligations de vaccination ne s’impose que sous la réserve d’une contre-indication médicale reconnue ; […] qu’il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ; qu’il lui est également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ; que, toutefois, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé […] ; ».
II- Obligation vaccinale et liberté individuelle : étude sur l’angle des libertés et droits fondamentaux
Pour les pourfendeurs, les lois d’obligation vaccinale constituent à un certain égard une atteinte à l’intégrité physique au regard de la violation de nombreux textes garantissant les libertés individuelles voire fondamentales, mettant ainsi à mal le droit de chacun de faire un choix éclairé en matière de santé.
Tout d’abord, la loi « Kouchner » du 4 mars 2002[14], art. L.1111-4 du CSP précise qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». Ainsi, chaque parent/patient peut, conformément à loi Kouchner demander aux vaccinateurs des informations exhaustives sur l’acte médical proposé, et refuser le soin. Le consentement doit être libre. Le médecin doit en outre obtenir dans tous les cas, le consentement du patient avant toute intervention (Code de Déontologie médicale, art. R 4127-36 CSP).
Toutefois, certains actes médicaux peuvent être imposés, notamment pour des raisons de protection de la santé publique. C’est précisément le cas des vaccinations obligatoires, imposées par la loi et codifiées dans le Code de la santé publique. Des sanctions pénales sont d’ailleurs prévues en cas de refus de se soumettre, ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l’autorité parentale, aux obligations vaccinales (voir ci-dessous, III).
Par ailleurs, les juges rappellent qu’en vertu du principe de précaution, le médecin a la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des investigations ou soins qu’il lui propose de façon à lui permettre d’y donner un consentement ou un refus éclairé. Il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation (Cour de cassation, 25 février 1997, n° 94-19685 et 14 octobre 1997, n° 95-19609).
Puis, la jurisprudence européenne précise dans son arrêt Salvetti le principe selon lequel il ne peut y avoir le moindre acte médical obligatoire dans aucun pays d’Europe. « En tant que traitement médical non volontaire, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales » (CEDH, 9 juillet 2002, n° 42197/98).
Enfin, la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997 (ratifiée par la France en 2012), garantit les libertés individuelles. Elle n’impose aucune vaccination obligatoire au motif de la primauté de l’être humain. Elle précise que « l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science » (article 3). Elle rappelle ensuite qu’ « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement » (article 5).
III- La dépénalisation en cas de refus de mis en œuvre de cette obligation
Jusque-là, sauf contre-indication médicale reconnue, le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l’autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination est punis de six mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende (article L. 3116-4 du Code de la santé publique). Tel que promis par la ministre, cette disposition a été abrogée par l’article 49 de la loi du 30 décembre 2017.
Néanmoins, reste que le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende (article 227-17 du Code pénal). L’infraction prévue s’assimile à un abandon de famille.
Les contrôles ont débuté le 1er juin 2018.
IV- La création d’une clause d’exemption : une éventuelle solution ?
Le plan de rénovation de la politique vaccinale de 2016 remis le 12 janvier 2016 par la ministre de la santé, Marisol Touraine comprenait la réalisation d’une concertation citoyenne sur la vaccination. Dans ses conclusions, il est proposé d’étendre les obligations vaccinales des enfants de 3 à 11 maladies, sous réserve d’une clause d’exemption. L’expertise juridique montrant qu’obligation et exemption ne sont pas compatibles.
Une réflexion citoyenne sur la vaccination a alors été entreprise afin de rétablir la confiance des usagers du système de santé.
A l’issue de cette concertation, le rapport rendu[15] par le comité d’orientation a soulevé dans ses recommandations la nécessité pour la politique de vaccination d’être à terme non-obligatoire. Néanmoins, il recommande à court terme un élargissement de l’obligation vaccinale avec clause d’exemption pour les parents souhaitant s’y soustraire.
Cette option avait pour avantage « une meilleure acceptabilité par une partie de la population » de la proposition d’étendre les vaccins obligatoires.
Prévoir une telle clause n’est toutefois pas sans risque. C’est pourquoi le comité avait suggéré que cette option fasse l’objet, si elle était retenue, d’une évaluation régulière qui pourrait conduire à sa remise en cause en cas de couverture vaccinale insuffisante ou de résurgence d’infection évitable. Il faut toutefois reconnaître que dans la mesure où l’extension des obligations vaccinales est fondée sur un impératif de santé publique il peut paraître paradoxal (voire même incohérent) d’autoriser des personnes à invoquer une telle clause.
C’est sans nul doute pour ces raisons que le projet initial n’a pas été repris dans le projet de loi final.
[1] Promulguée au JORF n°0305 du 31 décembre 2017
[2] Décret n° 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif à la vaccination obligatoire, JORF n°0021 du 26 janvier 2018
[3] Arrêté du 19 mars 1965 relatif à la vaccination antipoliomyélitique obligatoire.
[4] lemonde.fr, 2017/12/01, vaccins : le conseil d’état saisi sur la présence d’aluminium
[5] la-croix.com, Vaccins quand la justice contredit les autorités sanitaires, 2017-12-27
[6] 2e ch. de la Cour de Justice de l’Union européenne Le 21 juin 2017, N° C-621/15 (Renvoi préjudiciel – Directive 85/274/CEE)
[7] Pour en savoir plus : village-justice.com, la CJUE tranche la question : admission de la preuve par présomption du défaut du vaccin et de son lien avec la maladie, Nabila Lahnane
[8] Timothée Vaccaro, « La politique de vaccination obligatoire à l’épreuve du Conseil d’Etat », lepetitjuriste.fr
[9] Article 16-1 du Code civil : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable […] ».
[10] Article 16-3 du Code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».
[11] CE, 26 novembre 2001, N° 222741
[12] CEDH, 9 juill. 2002, Salvetti c.Italie , req. n° 42197/98
[13] Décision n°2015-458 QPC du 20 mars 2015
[14] JORF du 5 mars 2002 page 4118
[15] concertation-vaccination.fr, 2016/11, rapport de la concertation citoyenne sur la vaccination