Pensé dès 1963, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, prévu pour remplacer l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique, connaîtra peut-être son sort dimanche 26 juin, à l’occasion de la consultation des électeurs de Loire-Atlantique.
Si le Conseil d’Etat a rejeté, lundi 20 juin et mercredi 22 juin 2016, deux nouvelles requêtes contestant la légalité des bases juridiques sur lesquelles repose ce référendum, ces décisions ne dissipent pas les nombreuses interrogations concernant tant la légitimité, la mise en oeuvre que l’interprétation de ce vote.
Pourquoi un référendum ?
Du point de vue juridique, la messe était pourtant dite. Déclaré d’utilité publique en 20081, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes bénéficiait des garanties permettant à ses promoteurs d’en déduire la complète légalité: confirmation au contentieux par le Conseil d’Etat2 du décret d’utilité publique, approbation par décret en date du 29 décembre 2010 de la convention passée entre l’Etat et la société concessionnaire Aéroports du Grand Ouest, ou encore arrêtés du 20 décembre 2013 du préfet de la Loire-Atlantique ouvrant droit aux travaux et accordant aux maîtres d’ouvrage des dérogations quant au traitement des spécimens et habitats d’espèces protégées.
Pourtant, la publication de nombreux rapports d’experts parfois contradictoires, ainsi que l’importante contestation d’opposants portant sur son impact environnemental, ont pesé si lourdement sur ce projet que le recours à la voie référendaire s’est finalement imposé.
Si subversif qu’il apparaisse, cet état de fait résulte en réalité d’un double mouvement de crise de la démocratie représentative et d’essor de la démocratie participative. Il faut également le replacer dans un contexte, le droit de l’environnement, qui est connu pour être à maints égards un vecteur de transformation du droit public.
La démocratie participative, dont la consultation populaire n’est qu’une illustration, promeut une participation directe des citoyens à l’action publique. Or le droit de l’environnement, droit jeune et donc et porteur d’idées nouvelles, constitue précisément un laboratoire de la démocratie participative.
Le principe de participation du public irrigue en effet la matière: la Convention d’Aarhus de 1998, la directive du Conseil européen « Évaluation » du 27 juin 1985, et enfin notre « Charte de l’Environnement » de 2004 ainsi que la Loi Grenelle II du 12 juillet 2010 octroient au citoyen ce droit concernant les projets ayant une influence sur son environnement.
La décision de recourir à un référendum en la matière ne doit donc pas seulement s’analyser comme un mariage de raison: la matière environnementale a d’une certaine manière imprimé sa marque sur le litige et influé sur son issue. Peut-être ce référendum scelle-t-il même le lien profond qui unit aujourd’hui le citoyen et l’écologie.
Les contours incertains de la consultation:
Mais si le Gouvernement a accepté ce duel démocratique, il en a choisi le terrain. Cependant, la consultation projetée n’épousant les formes d’aucun mécanisme existant, il a été contraint d’en inventer un nouveau.
Par une ordonnance du 21 avril 20163, une nouvelle procédure consultative a dès lors été introduite à l’article L.123-20 du code de l’environnement, selon laquelle « l’État peut consulter les électeurs d’une aire territoriale déterminée afin de recueillir leur avis sur un projet d’infrastructure ou d’équipement susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement dont la réalisation est subordonnée à la délivrance d’une autorisation relevant de sa compétence, y compris après une déclaration d’utilité publique ». Une demande de référé tendant à sa suspension vient d’être rejetée par le Conseil d’État ce mercredi 22 juin 20164.
Sur la forme, le processus même d’élaboration de cette règle a pu soulever, sur divers aspects, des interrogations concernant sa légitimité. D’abord, la nouvelle procédure de consultation a été créée par ordonnance, par conséquent dans un domaine qui relève normalement du domaine de la loi. Ensuite, l’habilitation du Parlement trouve sa source à l’article 106 de la loi dite « Macron »5, dont on sait qu’elle a bénéficié de la procédure de l’article 49-3 de la Constitution. Enfin et surtout, il ressort de la lettre du texte qu’à des fins de sécurité juridique cette autorisation devait exclusivement porter sur des projets à venir et non sur des projets déjà autorisés.
Sur le fond, s’il tend à la résoudre, l’article L.123-20 n’éteint pas les critiques concernant la problématique du périmètre de consultation choisi. En effet, en admettant que les habitants d’une aire territoriale déterminée soient consultés sur un projet qui relève de la compétence de l’État, l’ordonnance se situe à rebours de la distinction traditionnelle opérée en droit français entre d’une part, les questions d’intérêt national qui sont soumises à l’ensemble des citoyens, et d’autre part, celles relevant de la compétence de collectivités territoriales, et dont seuls les habitants de celles-ci peuvent connaître.
Par ailleurs la consultation, dont les modalités sont fixées par un décret du 23 avril6 conformément à l’article L.123-23 du code de l’environnement, ne concernera que les seuls électeurs de Loire-Atlantique, à l’exclusion des habitants d’autres collectivités territoriales (départements voisins, régions Bretagne et Pays-de-la-Loire) qui subventionnent en partie le projet.
Quant aux termes de la question posée par ce décret, « êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes? », bien que n’étant « nullement de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin » selon le Conseil d’état7, ils appellent une réponse nécessairement peu péremptoire. Ils n’interrogent en effet que l’opportunité du transfert de l’aéroport, et ne mobilisent aucunement l’électeur concernant le fond du projet dans l’hypothèse où celui aurait lieu, et semblent oublier également de le questionner sur les alternatives existantes. Quant au terme « favorable », il ne semble pouvoir exprimer plus de conviction qu’un « oui, mais ».
Outre que ce manque d’attractivité de la formule peut favoriser l’abstention des électeurs, celle-ci peinera, par son imprécision, à dégager une ligne claire sur laquelle pourront se reposer les pouvoirs publics. Et ce, d’autant plus que l’ordonnance prévoit que « le résultat de la consultation ne lie pas l’autorité administrative compétente quant aux suites à donner à ce projet ».
Le Conseil d’Etat a rejeté, lundi 20 juin, un ultime recours pour excès de pouvoir formé contre ce décret8. Conscient des nombreux doutes que soulève cette consultation, le rapporteur public Xavier de Lesquen en a appelé, dans ses conclusions tendant à confirmer le décret attaqué, à « l’intelligence collective » des citoyens autour de ce vote.
Tugdual Guyon
Depuis la rédaction de cet article, la référendum organisé par le gouvernement donne un résulat sans appel. 55,17% des personnes se sont exprimées en faveur de la construction de cet aéroport faisant débat depuis une cinquantaine d’années.
[1]Décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand-Ouest-Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d’urbanisme des communes de Fay-de-Bretagne, Grand-champ-des-Fontaines, Notre-Dame-des-Landes, Treillères, Vigneux-de-Bretagne dans le département de la Loire-Atlantique.
[2]CE, 31 juillet 2009, et CE, 27 janvier 2010.
[3]Ordonnance n°2016-488 du 21 avril 2016 « relative à la consultation locale sur des projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement« .
[4]Ordonnance, CE, 22 juin 2016, Association pour une taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne et autres, N°400704.
[5]Loi n°2015-990 du 6 août 2015.
[6]Décret n°2016-503 du 23 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-dame-des-Landes.
[7]CE, 20 juin 2016, Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres.
[8]Ibid.