Rédigé par une mission présidée par M. Michel Prada, le rapport sur « Certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris » de mars 2011 est une commande à la fois du Garde des Sceaux et du ministre de l’Economie.
Trois volets principaux sont soulevés :
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La consolidation de la Place de Paris dans l’arbitrage international ;
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Le statut des juristes en entreprise ;
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La concurrence internationale en matière de prestations juridiques.
I. L’arbitrage international
Après la promulgation du Décret portant réforme de l’arbitrage du 13 janvier 2011 (Décret n° 2011-48) et le maintien confirmé de la Cour internationale d’arbitrage à Paris, le rapport perd légèrement de son intérêt puisque la mission se posait trois questions :
– L’attractivité de l’environnement juridique français en matière d’arbitrage à Paris ;
– Le rayonnement de la profession française d’arbitre international.
La CCI restant à Paris, concentrons nous sur la 2e et la 3e question.
Le premier sujet vient de l’arrêt très discuté et commenté INSERM rendu par le Tribunal des conflits le 17 mai 2010 (T. confl., 17 mai 2010, n° 3754, INSERM c/ Fondation Letten). Les auteurs attiraient l’attention des lecteurs sur la capacité des personnes publiques françaises à compromettre et sur les limites de l’arbitrabilité des litiges qui les opposent à des partenaires internationaux dans le cadre d’opérations du commerce international. Le problème venait de la dualité de juridiction que connaît la France face à l’arbitrage international. En effet, le juge judiciaire n’exerce qu’un contrôle très limité sur les sentences arbitrales en matière d’arbitrage du commerce international en reconnaissant ainsi la spécificité de ce mode de résolution privé des litiges qui a un caractère « anational » ou « supranational ». Les personnes publiques françaises, elles, ne peuvent se voir imposer par une sentence arbitrale internationale des décisions contraires à l’ordre public administratif français. Cette spécificité introduit une différenciation des litiges purement « privés » de ceux « publics ». L’arrêt INSERM est venu distinguer les domaines de compétence du juge judiciaire et ceux du juge administratif en mettant en cause l’ordre public administratif interne à la France.
La mission Prada vient proposer une modification des articles 2060 du Code civil et 1520 du Code de procédure civile afin de :
- Prévoir une autorisation expresse pour les personnes publiques françaises de compromettre dans le cadre de leurs contrats relevant du commerce international ;
- Edicter une prohibition pour les sentences arbitrales de contrevenir aux principes essentiels du droit administratif français ;
- Confier aux juridictions de l’ordre judiciaire un bloc de compétence exclusif pour l’examen des recours contre les sentences arbitrales prononcées suite à des litiges nés de l’exécution des contrats relevant du commerce international auxquels les personnes publiques sont parties et prévoir expressément que leur contrôle doit porter sur les principes essentiels du droit administratif français.
Ces modifications viennent consacrer l’arbitrabilité des tous les contrats internationaux conclus par les personnes publiques (V. Cour de cass., 2 mai 1966, Galakis, Bull. civ. 1966, I, 256) et entérinent la solution de l’arrêt INSERM sur la compétence du juge judiciaire pour l’examen des sentences arbitrales. Le problème qui pourrait se poser vient de l’ouverture d’un nouveau cas d’annulation en cas de contrariété de la sentence avec l’ordre public administratif français avec la Convention de New-York de 1958 dont la France est partie.
Le deuxième sujet vient de la « profession française d’arbitre international ». Le rapport souhaite la synergie des organisations existantes et une meilleure présentation de l’offre française afin de promouvoir cette activité.
II. Le statut des juristes en entreprise
Le rapport Prada pose la question de la compétitivité des entreprises françaises et notamment du positionnement des juristes internes français par rapport à leurs homologues étrangers. La mission prend position pour l’admission de l’avocat salarié en entreprise.
Le rapport fait état de la moindre place qu’a le juriste en entreprise en France par rapport au juriste notamment anglo-saxon. Les directions juridiques en France sont souvent « cantonnées à des tâches de prévention, de traitement courant et de contentieux ». Le rapport rappelle pourtant que la maîtrise du droit est un facteur important de compétitivité et de robustesse des entreprises et participent à la qualité de l’offre qu’une entreprise peut émettre dans les marchés internationaux.
Le rapport se penche également sur la question d’un « legal privilege » qui protège la confidentialité des conseils donnés par les juristes internes des entreprises anglo-saxonne. Ce privilège permet aux juristes d’entreprises d’avoir une relation forte avec l’équipe de direction et d’éviter de voir les notes internes être produites dans les litiges internationaux mais aussi d’éviter les procédures classiques de « discovery ». Les juristes français doivent recourir aux services d’avocats extérieurs pour communiquer en interne sans risque puisque la correspondance de l’avocat est couverte par le secret professionnel. Le rapport précise que « le juriste français serait un « maillon faible » dans la chaîne de responsabilité juridique de l’entreprise ; le « legal privilege » disparaissant en cas de communication à une personne non couverte par le statut correspondant, les juristes étrangers hésiteraient à communiquer certaines informations à leurs collègues français, ou devrait transiter par des avocats externes ». Le rapport milite ainsi pour une grande profession du Droit à l’instar des britanniques et de leurs « sollicitors » ou des américains avec l’existence d’une profession unique d’ « attorney at law ».
La crainte des avocats plaidants qui représente les entreprises serait dissipée car il « suffirait de ne pas autoriser les avocats en entreprise à plaider ».
L’instauration d’un statut d’avocat en entreprise pourrait revêtir les caractéristiques suivantes :
- L’avocat en entreprise serait tenu de respecter les principes déontologiques et éthiques de la profession, dont la mission est de servir la justice et le droit. Dans les rapports avec son entreprise, il bénéficierait d’un privilège de confidentialité comme c’est le cas au Royaume-Uni et aux USA. Ses collaborateurs « para-legal » qui travaillent auprès de lui n’auraient pas ce privilège ;
- Il serait salarié de son entreprise sans autre spécificité que son appartenant au barreau ;
- Il n’aurait pas la capacité de plaider.
Une remarque découle des exigences du droit de l’Union européenne et notamment du récent arrêt Akzo (CJUE, 14 sept. 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akros Chemicals c/ Commission). Cet arrêt vient poser une limitation au « legal privilege » en posant qu’ « un avocat interne, en dépit de son inscription au barreau et de la soumission aux règles professionnelles qui s’ensuit, ne jouit pas à l’égard de son employeur du même degré d’indépendance qu’un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe à l’égard de son client. Dans ces circonstances, il est plus difficile pour un avocat interne que pour un avocat externe de remédier à d’éventuelles tensions entre les obligations professionnelles et les objectifs poursuivie par son client ». La remise en cause de l’indépendance des juristes en entreprise entraîne l’inopposabilité du principe de confidentialité des conseils donnés en interne à l’entreprise. La question fait débat donc…
III. Le développement des cabinets français à l’étranger
L’Union européenne a permis une très large ouverture aux différents services juridiques (services transfrontaliers et implantations des cabinets dans les pays membres).
Le législateur a jugé bon, pour assurer la compétitivité des cabinets français, d’autoriser de manière plus libérale « l’interprofessionalité » grâce au financement des sociétés professionnelles multidisciplinaires sous forme de holding. L’intérêt est d’offrir des services relevant du juridique et du « chiffre » (Loi du 28 mars 2011 dite de modernisation des professions judiciaires et juridiques et certaines professions réglementées).
Cependant, comme le relève la mission Prada, la mobilité intra-européenne des avocats est faible comme pour d’autres professions réglementées. Au 1er janvier 2010, 2.185 avocats sont inscrits à la fois à un barreau français et à un barreau étranger, soit 4,2% des avocats. 1.240 de ces avocats sont inscrits à un barreau de l’Union européenne, dont près de la moitié au Royaume-Uni (rapport Prada p.38).
Une mesure identifiée pour faciliter l’implantation des cabinets français à l’étranger serait d’étendre aux pays hors Europe la possibilité pour les cabinets français, d’intégrer en qualité d’associé des avocats étrangers exerçant exclusivement dans leur pays d’origine.
En conclusion, pour reprendre Cyril Nourissat, Professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, « l’évolution de la règle de droit, de sa pratique est ainsi vue comme un impératif pour aider aux mutations d’une société française confrontée aux défis de la mondialisation […]. Le juriste ne pourra que se féliciter de constater que son art (si ce n’est sa science) est bien conçu aujourd’hui comme un des instruments de l’innovation économique et non plus, simplement, un accompagnateur » (C. Nourissat, Petit manuel de séduction juridique à l’usage des affaires internationales, JCP G, 9 mai 2011, 541).
Elève avocat à l’EFB
M2 Pro. Droit du commerce international Paris 1
M2 Rech. Droit des affaires Aix-Marseille III