« Les hedge funds suscitent curiosité, méfiance et parfois animosité. Porteurs d’une promesse de performance défiant les lois du marché, les hedge funds incarnent dans l’inconscient collectif la notion même de risque, tant à l’égard des investisseurs que du système financier lui-même. Avec plus de 2500 milliards de dollars d’actifs sous gestion, les hedge funds occupent une place grandissante au sein de l’univers de la gestion d’actifs. Mais que sont-ils vraiment ? »
I – Nature des hedge funds
La crise économique initiée en 2007 plaça les hedge funds sous le feu des projecteurs… et des critiques. La chasse à l’opacité et à la spéculation amorcée par la communauté internationale et initialement engagée à l’égard des entités bancaires vit son périmètre d’application progressivement étendu. Les hedge funds devinrent, dans la mêlée, l’objet de toutes les suspicions. Instruments de spéculation incontestés, ces entités furent ainsi décriées pour leur manque de transparence et le risque systémique engendré par leurs stratégies d’investissement. Suspect incontestable pour certains médias et politiques, simple victime expiatoire pour nombre de spécialistes du secteur financier, les hedge funds ne cessèrent d’animer le débat public. « ‘Hedge funds’ : anges ou démons ?» s’interrogeait ainsi Claire Gatinois dans une chronique publiée dans Le Monde en avril 2007.
Malgré l’usage récurrent du terme, la notion de hedge funds demeure dépourvue de définition légalement établie. L’origine d’une telle carence trouve probablement sa source dans la nature même des hedge funds. Polymorphiques, ces entités peuvent en effet recouvrir une multitude de réalités diverses et variées.
Les hedge funds constituent, avant toute chose, des organismes de placement collectif. Ces entités ont pour objet de lever des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces mêmes investisseurs [1]. La nature juridique de ces organismes de placement peut varier, notamment en France puisque ces derniers peuvent opter pour un modèle sociétaire dotée de la personnalité morale, les « sociétés d’investissement à capital variable » (SICAV), ou pour un modèle dépourvu de personnalité morale, les « fonds communs de placement » (FCP). Le capital ainsi collecté auprès des investisseurs, qu’ils soient particuliers et autonomes, ou institutionnels pour compte propre ou dans le cadre de mandats de gestion, est ensuite investi par ces OPC dans différents types de sous-jacents : actions cotées ou non cotées, obligations, immobilier, autres organismes de placement…
Hedge funds et fonds traditionnels sont ainsi fondés sur une structuration similaire. Les hedge funds sont cependant dotés de nombreuses spécificités, pas nécessairement cumulatives les unes aux autres – ce qui rend d’ailleurs la définition des hedge funds si complexe – mais leur conférant un caractère distinctif certain. La difficulté est alors de savoir à quel moment la combinaison de ces spécificités permet la qualification de hedge funds.
II – Caractéristiques des hedge funds
A – Une gestion active et une performance absolue
La notion de gestion active est fondée sur le postulat selon lequel les marchés ne sont pas pleinement efficients. Cela signifie que les valeurs observables sur ces derniers n’incluent pas en temps réel l’ensemble des données existantes susceptibles d’en affecter le cours. Il existerait ainsi une distorsion entre les prix tels qu’évalués par le marché et les prix tels qu’ils résulteraient si l’ensemble des facteurs susceptibles d’en altérer le cours étaient pris en considération. Les gestionnaires de hedge funds n’adoptent donc pas une attitude passive à l’égard des indices de marché mais tentent au contraire de devancer ces derniers en profitant des éventuelles poches d’inefficience repérées.
La notion de performance « absolue » fait pour sa part référence à une performance décorrélée des indices de marché. Ce type de performance se distingue de la performance dite « relative » usuellement attribuée aux fonds traditionnels. Les fonds traditionnels se référeront ainsi généralement à un indice pour déterminer leurs objectifs de performance. A titre illustratif, un prospectus [2] de fonds classique pourrait très bien indiquer que « l’objectif du fonds est de surperformer l’indice CAC40 ». Dans un tel contexte, si le CAC40 augmente de 10% et que le portefeuille géré a augmenté de 12%, alors l’objectif de gestion est bien atteint. La performance dite absolue s’émancipe pour sa part de cette filiation avec un indice financier. Les documents informationnels d’un hedge fund pourraient ainsi très bien mentionner un objectif de performance de +20% sans nulle autre référence. Dans cette hypothèse, la performance du fonds devra être de +20% quelle que soit l’évolution du CAC40 ou de tout autre indice financier.
Gérants de fonds traditionnels et de hedge funds ne poursuivent donc pas des objectifs similaires et ne disposent d’ailleurs pas de la même panoplie d’instruments pour parvenir à leurs fins.
B – Une liberté de gestion accrue
L’un des traits distinctifs majeur de la gestion de hedge funds par rapport à celle de fonds traditionnels réside dans la flexibilité qui lui est inhérente. Si les fonds classiques sont contraints par diverses réglementations les empêchant de recourir à certains instruments financiers et à certaines techniques de gestion, les hedge funds disposent pour leur part d’une liberté d’action totale. Les hedge funds peuvent ainsi combiner instruments financiers classiques, tels que les actions ou les obligations, et techniques d’investissement spécifiques telles que les ventes à découvert, les produits dérivés…
Cette palette d’instruments dont disposent les gestionnaires de hedge funds leur permet ainsi d’envisager des stratégies inaccessibles pour nombre de gestionnaires de fonds classiques.
L’effet de levier, lequel consiste pour les gestionnaires à augmenter leur exposition tout en conservant un niveau de capital initial identique, est par exemple un outil fréquemment utilisé au sein de l’industrie des hedge funds. Il est obtenu en empruntant des capitaux ou en utilisant d’autres techniques telles que les ventes à découvert citées ci-dessus. Concrètement, pour un capital initial de 100 résultant de l’investissement des porteurs de parts du hedge fund, le gestionnaire peut par exemple procéder à un emprunt de 200 auprès de diverses institutions bancaires. La puissance d’investissement est ainsi amplifiée, passant de 100 à 300 sans que les investisseurs initiaux n’aient eu à augmenter leur participation. Les gains potentiellement réalisables se trouvent ainsi démultipliés, tout comme le risque de perte.
C – Le statut particulier des gérants de hedge funds
Les gérants de hedge funds jouent un rôle très particulier et sans équivalent dans le domaine de la gestion traditionnelle.
En premier lieu, les gérants de hedge funds s’impliquent financièrement lors de la création du fonds. Il n’est ainsi pas rare de voir les gérants initiateurs du fonds prendre des participations substantielles au sein de l’entité créée.
La forte implication du gérant dans le fonds est également assurée par un système de commissions spécifique. En effet, la rémunération des gérants est intégralement fondée sur un mécanisme de participation aux performances du fonds. Plus la performance est élevée, plus la rémunération des gérants s’avérera conséquente.
D – Une liquidité restreinte
La notion de liquidité renvoie à la faculté, pour un investisseur, d’obtenir paiement de la valeur des parts dont il dispose au sein de l’organisme de placement concerné, en l’occurrence un hedge fund. Plus un investisseur est en mesure d’obtenir un tel paiement dans des délais restreints et à des intervalles réguliers, plus le produit d’investissement concerné sera considéré comme liquide.
Les hedge funds présentent en ce sens une liquidité restreinte. Le premier facteur explicatif d’une telle carence trouve bien souvent son explication dans la nature même des actifs sous-jacents au sein desquels investit le hedge fund. En effet, la liquidité est étroitement liée à la capacité du gérant à céder une partie des actifs détenus au sein du hedge fund dans l’optique de rembourser les investisseurs. Or moins les actifs détenus en portefeuille seront susceptibles d’être aisément cédés sur le marché, plus le niveau de liquidité s’avérera faible.
Des périodes dites de sûreté [3] sont également bien souvent contractuellement instaurées au sein des hedge funds. Durant cette période, généralement d’un an, les investisseurs ne peuvent procéder à aucun retrait des sommes investies. En restreignant ainsi la liquidité du fonds, les gérants peuvent se concentrer sur la performance du fonds sans avoir à constamment maintenir un niveau de liquidité suffisant qui impliquerait des investissements dans des poches de liquidité peu rentables.
E – Une transparence limitée
Les stratégies adoptées par les hedge funds ont longtemps justifié leur manque de transparence. En effet, nombre de stratégies de hedge funds sont fondées sur des positionnements contraires aux grandes tendances de marché, ou encore sur des analyses complexes et couteuses. La recherche de performance absolue justifie ainsi souvent des placements risqués qui n’ont d’intérêt que s’ils ne sont pas reproduits par l’ensemble des acteurs du marché.
Dans une optique similaire, la recherche de flexibilité des gestionnaires de portefeuilles conduit ces derniers à domicilier leurs fonds au sein de pays disposant de structures juridiques peu contraignantes, à l’image des Iles Vierges, des Iles Caïmans ou encore des Bermudes. La domiciliation des fonds doit être différenciée de celle des gérants du fonds. En effet, les gérants demeurent principalement au sein des principales places financières, notamment New-York et Londres, tandis que les fonds sont souvent domiciliés au sein d’Etats exotiques disposant d’un cadre légal attractif car peu contraignant. Cette domiciliation offshore tend à renforcer l’opacité inhérente à l’univers des hedge funds.
L’ensemble de ces facteurs contribue à la création d’un environnement hermétique peu connu du grand public.
Conclusion : Dans un contexte économique morose, nombre d’Etats décidèrent de mieux encadrer les zones sombres de la finance susceptibles de représenter de par leur influence, en cas d’instabilité, une quelconque menace à l’égard du système financier global. A l’échelle européenne, la directive AIFM [4] du 8 juin 2011 récemment entrée en vigueur incarna une telle démarche. Cette directive impose, à l’égard des gestionnaires de fonds alternatifs – dont les hedge funds font partie -, diverses obligations destinées à accroître la transparence liée à la gestion de ces fonds, avec par exemple différentes obligations d’informations à l’égard des investisseurs et des autorités de surveillance, mais également des obligations liées à la gestion du risque, la gestion de la liquidité des fonds ou encore des exigences relatives à la désignation d’un dépositaire chargé de la conservation des actifs… L’univers des hedge funds se dote ainsi, progressivement, d’une nouvelle physionomie…
– « Introduction aux hedge funds », Daniel Capocci, 2010
– « Les hedge funds », Guillaume Monarcha et Jérôme Teïletche
– www.hedgefundresearch.com