(Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n°19-12.105)
Selon l’article L. 6321-1 C. trav. « L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». C’est donc sur lui que pèse la charge de la preuve de l’obligation.
Cette obligation légale n’est pas nouvelle et se décline selon diverses modalités dans le cadre du droit nouveau de la formation professionnelle tout au long de la vie[1]. L’employeur n’est qu’un de ses opérateurs, l’obligation s’inscrivant dans le cadre plus large d’une obligation nationale instituée par l’article L. 6111-1 C. trav. selon lequel la formation professionnelle tout au long de la vie, si elle constitue une obligation, s’avère être un élément déterminant de sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés. Elle comporte une formation initiale, comprenant l’alternance (par apprentissage notamment), et des formations ultérieures, constituant la formation professionnelle continue, destinées aux adultes et aux jeunes déjà engagés dans la vie active ou s’y engageant. En outre, toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience (VAE), notamment professionnelle, liée à l’exercice d’un mandat d’élu au sein d’une collectivité territoriale ou liée à l’exercice de responsabilités syndicales. La Cour de cassation rend, selon les cas d’espèce, ses décisions sous le visa combiné des articles L. 6321-1 C. trav. et 1315 C. civ., posant le principe selon lequel celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation[2].
Outre ces sources légales, l’obligation de formation adéquate et adaptée[3], sinon l’obligation d’adaptation, relève de l’initiative de l’employeur. C’est ce que décide selon une jurisprudence constante la Cour de cassation, notamment dans son arrêt du 8 juillet 2020 (n° 19-12.105) censurant les juges du fond de la cour d’appel d’Aix-en-Provence[4]. En l’espèce, la chambre sociale a déclaré inopérants les motifs tirés de ce qu’il n’était pas établi que le salarié ne disposait pas des capacités nécessaires pour exercer ses fonctions d’employé d’immeuble ni que ces dernières connaissaient des évolutions nécessitant une formation afin de lui permettre de continuer à les assurer de manière satisfaisante, alors qu’il était constant que de son embauche le 2 novembre 1979 à son licenciement le 13 août 2012, l’employeur n’avait fait bénéficier le salarié d’aucune formation en 33 ans, la cour d’appel a violé l’article L. 6321-1 du code du travail. Dans l’affaire en question, le salarié avait été licencié pour « inaptitude et impossibilité de reclassement » le 13 août 2012. Précédemment, la Haute juridiction avait jugé que l’inaction du salarié était un critère inopérant pour se libérer de l’obligation d’adaptation. Dans sa décision du 13 juin 2019[5], la chambre sociale avait rappelé que c’est sur l’employeur que pèse la charge de la preuve qu’il a assuré l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veillé au respect de leur capacité à occuper un emploi.
Nonobstant ces sources légales et jurisprudentielles, l’obligation d’adaptation, et plus largement celle de formation, relève sociologiquement d’une étique de responsabilité de l’employeur. Cela signifie que les décisions à prendre et les pratiques ne peuvent pas uniquement reposer sur des considérations économiques et financières. Elles reposent sur un principe selon lequel les décisions devront être habitées par des considérations morales car jamais l’existence ou l’essence de l’homme dans son intégralité ne doivent être mises en jeu dans les paris de l’agir[6]. Associé à ce principe d’éthique figure un exercice de la responsabilité sociale, dans la mesure où l’employeur va s’obliger. L’obligation d’adaptation, par ailleurs normativement instituée, y trouve tout son sens.
Pour autant, si la rationalité doit l’emporter, on pourra se reporter économiquement à l’emblématique théorie du capital humain de Gary Becker, qui, malgré ses limites, demeure encore incontestée plus d’un demi-siècle après la première édition de son ouvrage fondateur[7]. L’économiste (non encore nobélisé[8]) démontre que la formation n’est autre qu’un investissement, en observant un lien manifeste entre accumulation du capital humain et croissance. Par ailleurs, sur le plan microéconomique, l’obligation d’adaptation trouve sa légitimé dans l’accompagnement des transitions professionnelles[9] : celle-ci est de nature à compenser les risques que génère une plus grande flexibilité de l’emploi issue des dernières lois sociales : sont emblématiques l’institution du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la raccourcissement substantiel du délai de prescription en cas de rupture du contrat de travail, ou encore la création de la rupture conventionnelle collective qui, auparavant, ne pouvait qu’être individuelle.
Sandy-David NOISETTE,
Docteur en droit, agrégé d’économie et gestion.
[1] PETIT F., NOISETTE S-D, Droit de la formation professionnelle tout au long de la vie, Gualino-Lextenso, Droit en poche, 2019.
[2] Soc., 13 juin 2019, pourvoi n° 17-31295.
[3] Soc., 15 janvier 2020, pourvoi n° : 18-13676
[4] Arrêt rendu le 13 décembre 2018 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (9e chambre B).
[5] Soc., 13 juin 2019, pourvoi n° 17-31295.
[6] JONAS (H.), Le principe responsabilité, Flammarion, 2014, p. 84.
[7] BECKER G., Human Capital, A Theoretical and Empirical Analysis, Columbia University Press for the National Bureau of Economic Research, New York, 1964.
[8] Gary Becker a obtenu le prix Nobel d’économie en 1992.
[9] PETIT F., NOISETTE S-D, préc., p. 88.