Alors que les affaires impliquant le secret bancaire ne cessent de défrayer la chronique, le droit du client à la confidentialité sur ses affaires, nécessaire à la sauvegarde de sa vie privée, n’est toujours pas régulé par les textes européens qui dominent pourtant notre droit bancaire. Dans un contexte bancaire international de plus en plus complexe, le juriste doit pourtant déterminer avec certitude le droit national applicable au secret bancaire.
Le secret bancaire est l’obligation de confidentialité dont la banque est débitrice envers son client sur sa situation bancaire. Comme tout secret, la relation est tripartite : la personne qui se confie (le client), le confident (la banque) et le tiers au secret. Ce tiers peut être une personne privée, une administration publique ou l’institution judiciaire. Le secret bancaire suit le raisonnement juridique suivant : par principe, les tiers n’ont pas droit aux informations ; par exception, certains tiers y ont accès.
Chaque pays a son propre droit du secret bancaire. Premier constat : le droit de l’Union, omniprésent en matière bancaire, n’existe pas en la matière. Les solutions nationales s’insèrent dans un système bancaire intégré au niveau européen.
Le second constat est la multitude des critères de rattachements possibles dans les situations internationales: loi du lieu de résidence du client, loi de la banque, loi du contrat ou de son lieu de conclusion, loi de lieu où la banque a eu connaissance de l’information etc. Pour les tiers, il convient donc de tenir un raisonnement de droit international pour déterminer quelle régulation nationale s’appliquera à la relation de secret qui lie la banque à son client en matière internationale.
Un regard international sur le secret bancaire fait apparaître des conceptions divergentes (I). Cependant, les solutions convergent (II).
I/ Divergence des conceptions
Il existe deux conceptions du secret bancaire. L’une est contractuelle, l’autre est statutaire[1].
1- La conception contractuelle du secret bancaire
L’obligation de confidentialité dont le banquier est débiteur à l’égard de son client est historiquement issue de la relation contractuelle qui les lie. Elle s’analysait comme une obligation à laquelle le banquier, «confident nécessaire»[2], consentait tacitement.
Cette conception contractuelle du secret bancaire implique des conséquences pratiques (par exemple, secret limité au client par l’effet inter partes, pour les seules informations dont le banquier a eu connaissance pendant la durée du contrat) et théoriques (source contractuelle). Cette forme de secret bancaire est toujours en vigueur au Royaume-Uni depuis l’arrêt Tournier de 1924 qui a créé le duty of confidentiality.
Cette conception, qui fait reposer le secret bancaire sur les principes du droit des contrats, doit être distinguée de la conception statutaire qui prévaut dans la plupart des systèmes continentaux.
2- La conception statutaire du secret bancaire
C’est au XXe siècle que les pays de droit civil ont inclus dans leur droit les lois créant l’obligation pour la banque de respecter la confidentialité des informations de son client. A titre d’exemple, la Suisse, avec l’article 47 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne du 8 novembre 1934, le Luxembourg avec l’article 16§1 de la loi bancaire du 23 avril 1981, et enfin la France avec l’article 57 de la loi bancaire du 24 janvier 1984, devenu l’article L.511-33 du Code monétaire et financier.
Souvent accompagnée de répression pénale (avec la notable exception du droit allemand), l’obligation de confidentialité qui naît de la loi fait partie intégrante du statut de l’établissement bancaire.
En pratique, cela signifie que celui-ci est tenu au secret pour toutes les informations qu’il obtient dans le cadre de son activité professionnelle. Dès lors, peu importe que le client ait effectivement conclu un contrat, la date à laquelle le banquier a reçu les informations, ou même que le client soit en vie ou non. Au plan théorique, l’obligation au secret a donc une source légale (pour la clarté du raisonnement, nous laissons volontairement de côté les cas où ce devoir légal est doublé d’une obligation contractuelle).
La simple définition du secret bancaire selon les droits nationaux implique donc de fortes différences dans la confidentialité dont peut bénéficier le client. Mais plus encore, les fameuses exceptions à ce secret sont définies par les droits nationaux (par exemple vis-à-vis des tribunaux pénaux ou de l’administration fiscale). Toutefois, au rythme des pressions politiques internationales, la convention-type OCDE sur l’assistance administrative en matière fiscale et le dispositif FATCA américain créent un mouvement de convergence en Europe et dans le monde. Cependant, les solutions nationales en la matière contiennent toujours des différences notables.
La question de la loi applicable peut emporter de nombreuses solutions divergentes. Il est donc indispensable de trouver le raisonnement de droit international qui permettra de déterminer quelle législation définit les dérogations au secret bancaire.
II/ La convergence des solutions internationales : la loi de la banque
La divergence des conceptions semble inéluctablement impliquer une différence du critère de rattachement. Toutefois, les solutions données par la règle de conflit permettent de dissiper le doute quant à la loi in fine applicable. Le constat s’impose, ici comme dans d’autres rapports bancaires internationaux : la loi de la banque est incontournable.
1- Le contrat bancaire
C’est un phénomène constamment observé par les praticiens, la loi de la banque domine dans les relations contractuelles que la banque entretient avec ses clients. Conséquence de la domination économique et de la standardisation des contrats bancaires, la liberté de choix de loi dans les opérations bancaires internationales conduit systématiquement à celui de la loi de la banque.
En tout état de cause, et à défaut de choix, la loi qui régit la relation contractuelle est celle du débiteur de la prestation caractéristique. Pour un prêt, c’est la banque qui assure la mise à disposition, pour un virement, c’est la banque qui effectue l’opération, pour une négociation ou un « arrangement », c’est encore la banque qui fournit le service. Et toujours c’est le client qui paye un prix. La banque sera toujours le débiteur de la prestation caractéristique, et sa loi s’appliquera.
La loi de la banque a une attraction quasi-systématique dans les opérations de clientèle internationales[3]. Elle a vocation à s’appliquer lorsque le secret bancaire est créé par le contrat, en vertu des règles de droit international privé.
2- Le statut bancaire
De source législative, le secret bancaire est issu d’une réglementation d’ordre publique qui s’applique aux établissements rattachés à un territoire. On peut y voir une application de la souveraineté économique de l’Etat qui contrôle l’accès au monopole bancaire grâce à l’agrément délivré par son autorité administrative compétente. De fait, le rattachement, imposé par l’ordre public, est nécessairement celui de la loi du pays où la banque est agréée. Cette solution s’impose lorsque le client est en relation avec la banque ou avec sa filiale/succursale locale qui bénéficie d’un agrément local. Une banque agréée localement doit donc respecter le secret bancaire tel que défini par la loi locale.
Avec l’Union Européenne, les idées d’ouverture au sein des marchés des Etats Membres, et plus récemment avec les pays tiers, a modifié ce fonctionnement traditionnel en créant les mécanismes de libre prestation des services et de libre établissement, de reconnaissance mutuelle des agréments bancaires au sein de l’Union, et d’équivalence des agréments bancaire des pays tiers. L’idée de ces mécanismes est qu’un établissement bancaire qui bénéficie d’un agrément d’un pays de l’Espace Economique Européen, ou d’un pays tiers dont la législation a été reconnue comme équivalente, bénéficie des libertés d’établissement et de prestation de service, dans les conditions définies par la loi de son pays d’origine.
En fait, il y a deux situations nouvelles[4] : le client est en contact avec une filiale/succursale non agréée dans le pays d’accueil (libre établissement) ou avec une banque étrangère qui conclut des opérations en dehors de son pays d’origine (libre prestation de services).
En droit, le système européen actuel, dit home country control, implique la compétence législative du pays d’origine de la banque pour définir les règles statutaires. La loi du pays d’accueil est en principe écartée, sauf à titre d’exception lorsqu’il s’agit d’une loi de police. Le droit du secret bancaire en est une, surtout si l’on songe à la question de son opposabilité à l’administration fiscale ou aux tribunaux pénaux.
Il faut donc trouver le rattachement territorial adéquat pour que des autorités d’un pays se prévalent de leur exception nationale au secret bancaire. Le plus évident est incontestablement la situation de la banque, qui pourra, selon les règles nationales, être contrainte à communiquer des informations.
Dès lors, une filiale/succursale bancaire, astreinte à l’obligation de tenir une comptabilité locale des comptes de ses clients est soumise au droit local du secret bancaire. En revanche, la banque qui conclut des opérations sous le régime de la libre prestation des services dans un autre Etat Membre est soumise aux règles du secret bancaire de son Etat Membre d’origine.
En conclusion, selon la conception du for saisi, le rattachement à prendre en compte sera différent (lex contractus ou rattachement territorial), mais la loi qui a, de manière générale, vocation à régir la relation du secret est la loi du lieu de la structure bancaire qui traite avec le client. Toutefois, les Etats s’engagent vers l’échange d’information automatisé avec l’administration fiscale, sous l’impulsion du FATCA américain et du modèle OCDE d’échange automatique d’informations, qui marque le début d’une convergence mondialisée, marginalisant la portée pratique de la loi applicable au secret bancaire.
Jean-Edouard Courjon
Master 2 Droit des affaires internationales
Université Paris 2 Panthéon – Assas
Stagiaire chez European Legal Consultancy
Athènes, Grèce
Pour en savoir plus
Therry Bonneau, Droit bancaire, Montschrestien, 10e éd. 2013
JDI (Clunet), n°4, Octobre 2014, doctr.15, Les droits de l’homme et le secret bancaire : opposition ou subsomption ?, Caroline Kleiner
Gazette du Palais, 09 juin 2005 n° 160, p.4, L’application du secret bancaire dans les relations intracommunautaires et internationales, Jean Stoufflet
[1] Pour une analyse plus fine, voir JDI (Clunet), n°4, Octobre 2014, doctr.15, Les droits de l’homme et le secret bancaire : opposition ou subsomption ?, Caroline Kleiner
[2] Selon l’expression employée par Caroline Kleiner, ref préc.
[3] Voir les développements exhaustifs de Therry Bonneau, Droit bancaire, Montschrestien, 10e éd. 2013
[4] Jean Stoufflet, Gazette du Palais, 09 juin 2005 n° 160, p.4, L’application du secret bancaire dans les relations intracommunautaires et internationales