Que reste-t-il du principe de faveur ?

Qualifié de « règle émergente » (1)  ou « d’âme du droit du travail » (2), le principe de faveur est une notion doctrinale entraînant, en présence de deux normes ayant le même objet ou la même cause, l’application de la plus favorable au salarié. Ce mode d’articulation s’explique généralement par le caractère protecteur du droit du travail.

Le principe de faveur entretient des liens de parenté avec l’ordre public social. La plupart des auteurs n’opèrent pas de distinction et considèrent même ces deux expressions comme synonymes (3). D’autres estiment en revanche que l’ordre public social détermine la validité des actes entrant en concurrence avec une disposition étatique alors que le principe de faveur joue au niveau de l’application des normes (4).

Bien que certaines dispositions du code du travail fassent application du principe de faveur (5), son caractère général n’est pas consacré. Il constitue, en revanche, en vertu d’une jurisprudence constante, un principe fondamental et figure parmi les principes généraux du droit du travail (6). Le Conseil constitutionnel, quant à lui, refuse de donner au principe de faveur une valeur constitutionnelle (7). Dès lors, le législateur est en droit de le remettre en cause.

La transformation des fonctions de la négociation collective ces dernières années, bouleversant les relations professionnelles et la hiérarchie des normes sociales, a-t-elle amenuisé l’application du principe de faveur ?

Le champ d’application de la disposition la plus favorable connaît vraisemblablement des limites légales et l’ordre public absolu en est une illustration. En effet, le principe de faveur, contenu dans la première phrase de l’article L 2251, est d’emblée limité par la seconde qui énonce « qu’une convention ou un accord ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». L’ordre public absolu rejoint alors le sens de la notion d’ordre public énoncée à l’article 6 du code civil en réglant le conflit de normes sans laisser de place à l’application du principe de faveur, protecteur de l’intérêt particulier des salariés.

Par ailleurs, l’ordonnance du 16 janvier 1982 a fait apparaître une nouvelle catégorie de règles légales autorisant les organisations représentatives à conclure des accords collectifs qui dérogent à la loi de manière favorable ou défavorable au salarié. L’accord n’est plus tenu de revêtir un caractère plus favorable pour écarter la norme jusque-là applicable.

Ces dérogations légales et conventionnelles participent à l’affaiblissement du principe de faveur, l’amélioration du sort des salariés n’étant plus nécessairement pris en compte.

En outre, l’émergence de la règle de supplétivité limite ce principe de faveur. Avant la loi de 2004, chaque accord devait respecter ou améliorer celui du niveau supérieur. Ainsi, la convention d’entreprise devait respecter ou améliorer la convention de branche ou l’accord interprofessionnel. L’adoption de la loi du 4 mai 2004 dite « Fillon » est venue compléter l’article L132-23 en introduisant un nouveau mode d’articulation entre les conventions collectives.

La règle de supplétivité apparaît et il est désormais admis, sauf exceptions (8), qu’une convention collective de niveau inférieure puisse déroger à une convention supérieure de manière favorable ou défavorable au salarié. C’est par la loi du 20 août 2008 que l’accord collectif de branche devient pleinement supplétif en vertu des dispositions de l’article L 3122-2 du code du travail.

Plusieurs lois sont aussi à l’origine d’un affaiblissement du principe de faveur, notamment dans le cadre d’un heurt entre le contrat de travail et une convention collective. Tout d’abord, la loi du 19 janvier 2000 (9) dite « Aubry II » évacue radicalement le conflit qui, traditionnellement était réglé par l’application du principe de faveur, en affirmant la suprématie de l’accord collectif de réduction du temps de travail sur le contrat de travail. Par ailleurs, la loi du 22 mars 2012 (10) dite « Warsmann », rompt avec une jurisprudence qui prévalait jusque-là (11) en prévoyant que la mise en place par accord collectif d’une modulation du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année ne constitue pas une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié (12).

Bien que ces lois concernent différents domaines, les situations de conflit semblent disparaître, entraînant avec elles, la fin de l’application du principe de faveur.

Enfin, le principe de faveur montre ses limites dans la mise en oeuvre jurisprudentielle. En effet, s’il est simple d’apprécier deux avantages énumératifs ou quantitatifs, le juge aura des difficultés à évaluer des avantages subjectifs. De plus, l’appréciation suivant l’intérêt d’un ou de l’ensemble des salariés peut parfois être compliquée. Face à cette « illisibilité » et cette difficulté d’appréciation, le juge semble de plus en plus retenir une approche minimaliste du principe de faveur, dont le déclin n’a pu être évité.

Du point de vue du droit positif, il est donc possible d’affirmer que le principe de faveur reste un principe mal défini, à la teneur incertaine (13) qui s’amenuise petit à petit. Le législateur et le juge restreignent progressivement son domaine d’application de sorte qu’il est permis de se demander si le principe de la lex favoris constitue toujours un principe général spécifique au droit du travail français (14).

Charlotte Krief

1 Professeur Jeammaud Droit social, 1999

2 Professeur Chalaron Etudes offertes à G. Lyon-Caen, 1999

3 M.L. Morin, Le droit des salariés à la négociation collective, LGDJ, 1994 P. Lokiec, Les relations collectives de travail, Puf, 2011

4 F. Canut, L’ordre public en droit du travail, LGDJ, 2007

5 Les articles L 2251-1, L 2252-1, L 2253-1 et L 2254-1 du code du travail

6 CE, 22 mars 1973 et Cass. Soc. 17 juillet 1996

7 Décision du 20 mars 1997 confirmée le 29 avril 2004

8 Si l’accord de niveau supérieur contient une clause de verrouillage interdisant toutes dérogations ou s’il concerne l’un des quatre domaines protégés que sont le salaire minimum, les garanties collectives de protection sociale complémentaire, la classification et la mutualisation des fonds recueillis au titre de la formation professionnelle.

9 Loi relative à la réduction négociée du temps de travail

10 Loi relative à la modulation conventionnelle du temps de travail

11 Cass. Soc. 28 septembre 2010

12 Article L 3122-6 du code du travail

13 S.Laulom et N.Merley, La fabrication d’un principe de faveur, RDT, 2009

14 G.H. Lyon Caean et M. Keller, « le principe de la lex favoris peut être rangé au nombre des principes généraux spécifiques au droit du travail »

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