Propriété Intellectuelle – Diffamation sur internet et point de départ du délai de prescription

Le 15 novembre 2012, la 14ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Bobigny a rendu une décision surprenante relative au point de départ du délai de prescription en matière d’actes de diffamation commis sur internet.

En l’espèce, Monsieur L. a, le 3 mars 2010, créé un faux profil sur le site internet Viadeo, site constituant un réseau social professionnel. Dans ce faux profil, Monsieur L. a publié des propos extrêmement attentatoires à l’honneur et la réputation de la société MMA et de l’un de ses employés. En effet, à titre d’exemple, le paragraphe « Présentation » contient le passage suivant « je suis un gros con, un lâche, un broute-cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons, les PD ». Il a par la suite modifié le profil, et ce le 17 mars 2010.

Monsieur R. et la société MMA Vie ont déposé une plainte avec constitution de partie civile. Ainsi, Monsieur L. a été cité à comparaître à la requête du procureur de la République. Il était prévenu d’avoir commis le délit de diffamation prévu à l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et réprimée par l’article 32 alinéa 1er de cette même loi.

En défense, était invoquée la nullité de l’action. Monsieur L. soutenait en effet qu’au moment de la plainte avec constitution de partie civile des victimes, les faits étaient prescrits. Au soutien de cet argument, il énonçait que la fausse fiche de Monsieur R. avait été créée le 3 mars 2010, point de départ du délai de prescription de trois mois. Il ajoutait que les éventuelles modifications ultérieures ne constituaient pas un nouveau point de départ du délai de prescription.

Le Tribunal de Grande Instance n’a pas suivi son argument puisqu’il a considéré que « si le délit de diffamation constitue un délit instantané, et si la première version de la fausse fiche de Monsieur R. a été mise en ligne le 3 mars 2010, la version modifiée de ce texte en date du 17 mars 2010 est assimilée à une nouvelle publication, sans qu’il faille distinguer les parties rajoutées et le texte d’origine ». Ainsi, la 14ème chambre correctionnelle a jugé que le point de départ du délai de prescription de trois mois de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 était le 17 mars 2010. La plainte avec constitution de partie civile ayant été déposée le 16 juin 2010, les faits n’étaient pas prescrits.

En conséquence, il semble que les propos diffamatoires insérés dans un profil de réseau social peuvent donner lieu à un délai de prescription rallongé dès lors que des modifications du profil litigieux sont effectués.

Cette décision va à l’encontre de la jurisprudence classique en matière de prescription pour le délit de diffamation. En effet, la Cour de cassation considère généralement que « lorsque des poursuites pour diffamation sont engagées à raison de la diffusion sur le réseau internet d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication », c’est-à-dire la « date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau » (Cass.com. 16.10.2001 ; Cass.crim. 27.11.2001).

Si l’on applique cette jurisprudence au cas d’espèce, le point de départ du délai de prescription aurait dû, pour les actes de diffamation commis le 3 mars 2010, être ce même jour, et non le jour où le profil a été modifié.

Ainsi, la Cour d’Appel, saisie d’un recours contre cette décision, censurera probablement le jugement énoncé en ce qui concerne le point de départ du délai de prescription.

V.P.

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