Les débats ont repris le 10 février 2015 au sein de l’Assemblée nationale pour examiner le projet de loi pour l’activité et l’égalité des chances économiques, porté par notre Ministre de l’Economie, Emmanuel Macron.
L’objectif de ce texte est tricéphale: lever les freins à l’activité économique, encourager le travail et développer l’investissement. Retour sur les trois principaux axes de cette réforme polémique, qui divise les personnalités politiques et agite les médias.
«Libérer»: La refonte controversée des professions réglementées
A l’automne 2012, Bercy commandait à l’inspection générale des finances, dont le bilan critique pointait amèrement du doigt les «rentes» généreuses de ces professions, qui représenteraient à elles-seules 235,8 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel. Pour le ministre de l’Economie, le besoin est donc urgent d’ouvrir et de simplifier ces 37 professions «corporatistes» dont le large panel va du mandataire judiciaire au chauffeur de taxi, en passant par le menuisier et le médecin spécialiste.
Les professions du droit en première ligne…
Hausse injustifiée des rémunérations, augmentation corrélative des prix, inégalités territoriales dans la densité d’études, barrières invisibles à l’entrée des professions, … Le rapport de l’IGF s’appuie sur un état des lieux très critique, avant d’exposer chacune de ses préconisations. Parmi elles figure tout d’abord la révision des grilles tarifaires, la simplification des conditions d’installation et l’élargissement du champ de la postulation des avocats au ressort de la Cour d’appel. L’objectif affiché est de promouvoir l’égalité des chances, d’accroitre la transparence financière et de diminuer les frais de litige d’ici cet été.
La libéralisation des professions du droit est également son fer de lance, qui se déclinera à travers une innovation majeure: la création du statut d’avocat d’entreprise. La première s’appuie sur le constat selon lequel l’actuel «juriste d’entreprise» ne bénéficie d’aucune protection vis à vis du secret professionnel, et peut ainsi voir ses avis saisis et utilisés comme pièces à charge devant les juridictions. Le futur avocat d’entreprise pourra donc bénéficier d’un privilège de confidentialité sur ses avis, et plaider pour sa société. En contrepartie, il sera soumis aux obligations déontologiques de la profession et ne pourra avoir une autre clientèle que l’entreprise à laquelle il appartient. Cette démarche a vocation a offrir aux jeunes avocats et aux entreprises de nouvelles perspectives. Le projet de loi souhaite également ouvrir le capital entre professionnels du droit, pour contrecarrer les entraves actuelles à l’interprofessionnalité. Elle faciliterait ainsi la possibilité aux personnes exerçant la même professions de s’associer, ce qui leur permettrait de profiter un meilleur investissement et d’élargir l’offre des particuliers et des entreprises.
L’ensemble de ces mesures ont été mal accueillies par les professions du droit, qui déplorent l’image de «nantis» que le ministre véhicule selon eux. Les notaires, avocats et huissiers qui ne se reconnaissent pas dans la description de privilégiés dépeinte par le projet de loi, ont manifesté leur opposition en organisant de nombreuses grèves dans toute la France au cours du mois de décembre. Craignant une ouverture à la concurrence qui dégraderait leurs conditions d’exercice, ils militent activement pour convaincre les députés à ne pas voter en sa faveur.
… Mais pas que: les autres professions en ligne de mire
La «loi Macron» entreprend également de réformer le parc routier français. Afin de rendre la mobilité moins couteuse pour les Français, il s’agira en premier lieu d’autoriser l’exploitation de lignes d’autocar sur le territoire national, tout en veillant à les recettes des services publics de transport traditionnels n’en pâtissent pas. A cette fin, l’Autorité Organisatrice des Transports (AOT) contrôlera le développement de cette nouvelle concurrence. Cette mission sera effectuée de concert avec l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires, qui verra en effet son champ de compétence élargit au contrôle des activités routières. La nouvelle ARAFER devrait participer à la baisse des prix des péages en contrôlant l’effectivité de la concurrence sur ce marché.
Les étudiants seront certainement heureux d’apprendre que le permis de conduire serait également réformé si le projet était adopté. Afin de combattre les délais d’attendre trop long (45 jours en moyenne), les coûts importants engendrés et les hauts taux d’échec à l’examen du permis de conduire, il tente de mettre en oeuvre la promesse du gouvernement exprimée le 13 juin 2014, visant à le rendre «plus moderne et transparent». Pour ce faire, il s’agirait de sous-traiter l’épreuve du code de la route et les épreuves pratiques de certains permis poids lourd à ces «opérateurs agréés» afin de permettre aux inspecteurs d’avoir plus de temps à consacrer à l’épreuve classique du permis B. Ces derniers semblent toutefois réfractaires à ces évolutions. Ils appréhendent une hausse des prix de l’examen, et souhaitent que les fonctionnaires conservent leur monopole sur ces épreuves compte tenu de leur lien avec l’intérêt général.
«Travailler»: hymne à compétitivité et l’efficacité
Les pronostics établis par l’INSEE mettent en exergue une augmentation de la croissance française en 2015. Mais attention, pas d’emballement. Celle-ci frisera seulement les 0,3% aux deux premiers trimestres de 2015. Cette éclaircie devrait être encouragée par la réforme, née avant tout pour stimuler l’économie.
Dimanche et soirées: l’épineux dossier
Une part prégnante de la controverse sur le projet de loi Macron semble être cristallisée sur la mesure épineuse qui offre la possibilité aux maires d’autoriser les commerces de leur communes à ouvrir douze dimanches par an. Cinq seront même rendus obligatoires, alors qu’aujourd’hui un maire a la possibilité de n’en accorder aucun. Le ministre espère que cette réforme participera à la création d’emplois et à la relance de la croissance. Un régime encore plus favorable sera accordé aux magasins installés dans des «zones touristiques internationales», dont le périmètre sera d’ailleurs élargi. Ils auront en effet l’apanage de pouvoir ouvrir le dimanche et en soirée toute l’année afin de soutenir le secteur du tourisme, fleuron de l’économie française. Ces concessions ne seront toutefois pas sans contrepartie. Pour mettre un terme aux injustices dont sont victimes les travailleurs du dimanche aujourd’hui, le texte oblige les commerces à augmenter leur salaire et prohibe toute obligation de travailler le dimanche contre leur gré. Les partenaires sociaux seront mis au coeur du dispositif, puisqu’ils auront trois années devant eux pour conclure un accord sur le repos compensateur et la rémunération.
Cet axe de réforme est sans conteste un des plus médiatiques et controversé du projet. D’un côté, les grands magasins souhaitent un renforcement de ces assouplissements, et de l’autre, certains syndicats et parlementaires craignent une fragilisation du commerce de proximité dans les grandes villes et la disparition annoncée du jour de repos commun à toute la société française. En dépit de ces critiques, le gouvernement a refusé de transiger sur la mesure permettant l’ouverture éventuelle de douze dimanches par an. Il a toutefois cédé au compromis en se disant prêt à céder sur le minimum obligatoire des cinq jours d’ouverture. Les débats houleux risquent de faire encore bouger les lignes.
Travail et justice: des articulations nouvelles.
Le pouvoir prétorien à coloration économique sera également affecté par la réforme sous de multiples aspects. Le projet de loi projette d’alléger les peines de l’actuel «délit d’entrave», communément caractérisé en présence d’un employeur ayant pour but de porter atteinte à la législation applicable aux représentants du personnel. La peine de prison à encourir n’a jamais été prononcée par les magistrats jusqu’à aujourd’hui, et le texte propose donc de la supprimer au profit de sanctions purement financières. D’autre part, il envisage de renforcer la protection des procédures collectives en permettant au juge d’obliger la vente des actions des employeurs à la tête d’entreprises en difficulté aux personnes présentant des plans de sauvetages jugées plus crédibles. Enfin, la justice du travail sera profondément reconfigurée.
«Investir»: les réformes multidirectionnelles pour développer les entreprises
«Notre économie a besoin d’investissements pour repartir». Pour le ministre, c’est un besoin de maintenir des infrastructures de qualité, de logement, et d’investissement productif pour se moderniser. L’investissement, clé de la vitalité de l’économie, est donc également un fondamental volet au coeur de la réforme.
La simplification tous azimuts: un leit motiv incontournable
D’après le projet de loi, les grands projets industriels ou urbanistiques sont trop longs à mettre en oeuvre aujourd’hui à cause de la complexité de nos réglementations, notamment environnementales. Il suggère donc d’habiliter le gouvernement à procéder par ordonnance pour réformer l’étude d’impact et l’enquête publique, et d’étendre l’expérimentation de l’autorisation unique pour les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) à toute la France, et le certificat de projet à l’Ile de France. A terme, la création d’un permis environnementale unique est envisagée. Toutes ces mesures devraient concourir à soutenir la filière BTP affaiblie par la crise économique et à accélérer les grands projets.
Cet effort de simplification devrait également concerner les petites entreprises françaises. Si l’intéressement des salariés aux bénéfices et l’épargne salariale sont des mécanismes bien connus des grandes sociétés, ce n’est toutefois pas le cas des plus modestes qui n’ont pas les moyens techniques et financiers de les mettre en oeuvre. Bercy a donc repris à son compte une partie des 31 recommandations du rapport du COPIESAS[1] du 26 novembre 2014 pour modifier le régime de l’épargne salariale en mettant en place un «Livret E» pour les petites entreprises (TPE et PME) à la disposition des employés pour un cout budgétaire nul. Cette mesure s’accompagnerait d’une baisse du forfait social, s’élevant actuellement à 20%, pour ces petites sociétés qui composent l’écrasante majorité de notre panorama d’entreprises françaises.
Les critères d’attribution des intéressements seront également assouplies pour qu’elles puissent en faire bénéficier davantage leurs employés.
L’actionnariat, levier de croissance
La réforme Macron souhaite inciter les entreprises à mettre en place des politiques d’actionnariat salarié, pour associer plus étroitement leurs employés à leur réussite. Les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) et les attributions gratuites d’actions (AGA) pourraient être attribuées plus aisément aux salariés des start-ups et à ceux de leurs filiales. Les salariés seront d’ailleurs encouragés à acquérir les actions de leur entreprise puisque la taxe sur les titres sera revue à la baisse, en les soumettant au régime fiscal favorable des plus-values mobilières des particuliers plutôt qu’à celui des revenus. La contribution sociale de 10% lors de l’acquisition des titres serait également supprimée, et les gains d’acquisition soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Autant de changements pour mettre le salarié au coeur de l’entreprise, afin qu’il soit encouragé à s’investir davantage pour elle.
Enfin, une modernisation de la gestion des participations de l’Etat au portefeuille des entreprises est également suggérée. On voit poindre la figure en vogue de l’ Etat actionnaire, qui accompagne les projets industriels des entreprises publiques et ouvre leur capital aux acteurs privés. Cinq à six milliards d’euros d’actifs étatiques seront cédés pour financer 74 entreprises françaises, comme les sociétés aéroportuaires de Lyon et Nice.
Ne cédant pas à la vive polémique qu’il suscite, le ministre de l’Economie Emmanuel Macron soumettra son projet de loi au vote de l’Assemblée nationale le 23 janvier. Pour l’heure, près de 1 985 amendements ont été déposés sur les 106 articles du projet. Selon un sondage Odoxa, six français sur 10 soutenaient Emmanuel Macron et sa politique en décembre. De son côté, la majorité parlementaire demeure très divisée face à ce texte. Le suspens sur les résultats de ce vote au Parlement reste donc entier, jusqu’au 17 février 2015.
Emeline BESSET
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Notes:
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[1] Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié