Inspirée du droit américain, la notion de « politique de clémence » est apparue en droit communautaire en 1996, refondue en 2002 par une nouvelle communication de la commission. La clémence permet à une entreprise ayant participé à une entente de bénéficier d’une réduction de peine, si elle apporte sa coopération et aide l’Autorité de la concurrence à établir la preuve de l’existence des pratiques incriminées.
La concurrence suppose la confrontation entre deux ou plusieurs agents économiques, confrontation aboutissant à la fixation des prix et à l’échange de biens et de services. La loi permet une concurrence loyale et vise à améliorer son efficacité sur des marchés ouverts et dynamiques, favorisant la compétitivité et l’innovation, dans l’intérêt du consommateur et de l’économie du pays en général. Cependant, certaines pratiques anticoncurrentielles telles que l’entente peuvent porter atteinte à cette concurrence loyale. Considérées comme des pratiques particulièrement nuisibles à l’intérêt général, les ententes sont prohibées aussi bien par la commission (au niveau communautaire) que par l’Autorité de la concurrence (au niveau national). Malgré cette prohibition, il est difficile de prouver l’existence d’une telle pratique. Cet obstacle a poussé les institutions européennes à élaborer un moyen d’action facilitant la détection des ententes, appelé « clémence ».
Qu’est-ce que la clémence ? Et dans quelle mesure pourrait-elle être efficace contre les stratégies des cartels ?
En contrepartie d’une coopération effective avec l’Autorité de la concurrence, les entreprises participant dans une entente bénéficient de la clémence. Il s’agit d’une mesure légale qui offre la possibilité auxdites entreprises d’éviter le paiement d’une amende considérable, pouvant atteindre, en vertu de l’article L.464-2 du code de commerce, jusqu’à 10% du chiffre d’affaire mondial.
Toute entreprise ayant, par le passé, pris part ou participant encore à une entente, est concernée par la clémence. Celle-ci est applicable à toutes les formes d’entreprises, depuis les PME jusqu’aux grandes structures. Après l’établissement d’une entente, un risque plane toujours puisqu’une fois celle-ci établie, tous les participants redeviennent des rivaux sur le marché, et peuvent à tout moment dévoiler le cartel en déposant une demande de clémence auprès de l’autorité de la concurrence. En effet, la clémence incite les entreprises appartenant à un cartel secret, à dénoncer l’opération d’entente aux autorités de concurrence une fois ladite entente devenue anticoncurrentielle. L’entreprise dénonciatrice bénéficiera d’une clémence totale et ne paiera pas d’amende. Les autres entreprises ont également la possibilité de dénoncer l’entente, mais ne bénéficieront que d’une clémence partielle. Autrement dit, l’immunité totale d’amende concerne l’entreprise venue en premier dévoiler le cartel secret, une fois en connaissance de l’entente. Toutes les entreprises qui viendront par la suite dévoiler cette même entente profiteront uniquement d’une immunité partielle en fonction de leurs rangs. Toutefois, les entreprises faisant recours à cette mesure ont intérêt à bien évaluer la situation avant d’agir.
Entre 1995 et 2002, Deltafina avait été la première entreprise à dévoiler sa participation à une entente horizontale sur le marché italien du tabac brut. De ce fait, la Commission lui avait octroyé, au début de la procédure administrative, l’immunité conditionnelle. Celle-ci a réalisé par la suite que Deltafina avait violé l’obligation de coopération qui lui incombait dans la mesure où, lors d’une réunion, elle avait divulgué à ses concurrents, de sa propre initiative et sans en informer la Commission, qu’elle avait introduit une demande d’immunité auprès de ses services, avant que ladite autorité n’ait eu l’occasion de procéder à des vérifications concernant l’entente en cause. Dans ces conditions, la Commission, à la fin de la procédure administrative, a conclu que l’immunité d’amendes ne pouvait être accordée à Deltafina, et lui infligea, solidairement avec sa société mère Universal Corp., une amende de 30 millions d’euros.
Parmi les affaires les plus notables, il convient également d’évoquer l’entente réunissant les géants de la lessive, Unilever, Procter&Gamble, Henkel et Colgate-Palmolive qui ont fait semblant d’être concurrents sur le marché en conservant les écarts de prix entre chacune des marques. L’entente a duré 7 ans jusqu’à ce qu’Unilever dénonce le groupe en Mars 2008, en doublant Henkel (qui a bénéficié d’une clémence partielle de 2éme rang), pour bénéficier d’une clémence totale. Procter&Gamble a fait la même chose pour bénéficier d’une clémence partielle de 3éme rang. Et un peu plus tard en 2009, Colgate-Palmolive a dénoncé l’entente pour bénéficier d’une réfaction de 15% .
Récemment, Daimler, le fabricant des voitures Mercedes-Benz a dénoncé l’existence d’une entente entre tous les fabricants automobiles allemands afin de bénéficier de la clémence de l’autorité de la concurrence. Volkswagen a également dénoncé ladite entente, mais les médias ont affirmé que Daimler a été le premier à avoir pris les devants. Selon ces derniers, cette entente date des années 90, période durant laquelle Volkswagen, Audi, Porshe (groupe Volkswagen) ainsi que BMW et Daimler organisaient des réunions secrètes pour s’accorder sur plusieurs aspects techniques de leurs voitures, faisant des consommateurs et des sous-traitants des victimes de longue date.
Quant à BMW, il a complètement nié l’existence d’une telle entente et a clamé que si ses modèles venaient à être vérifiés, ses concurrents risquent de payer des sommes faramineuses. L’affaire est toujours en cours et les autorités européennes de concurrence n’ont pas encore prononcé leur verdict, le temps d’examiner les soupçons d’entente illégale.
Ahmed BENATTOU