Le 10 mars dernier, l’Agence des participations de l’État (APE), service à compétence nationale rattaché au Ministère de l’Économie, a rendu public les cahiers des charges des procédures d’appel d’offres pour les privatisations des aéroports de Nice et Lyon, respectivement, troisième et quatrième aéroports français après les deux aéroports parisiens, Charles de Gaulle et Orly. En 2015, le trafic annuel de l’aéroport de Nice était de 12 millions de passagers ; quant à Lyon, il représente 8,7 millions de passagers.
L’État, actuellement actionnaire majoritaire des sociétés d’exploitation des aéroports de Nice et de Lyon, à hauteur de 60% du capital, souhaite céder un pourcentage de ses participations à des opérateurs privés. Cette opération s’inscrit dans un schéma analogue à celui du transfert des capitaux de la société exploitant l’aéroport de Toulouse-Blagnac au secteur privé en 2015 et permis depuis les lois de décentralisations de 2005. Exploités initialement par les chambres de commerce et d’industrie (CCI) dans le cadre de concessions délivrées par l’État, l’actionnariat des sociétés exploitant les grands aéroports régionaux a été figé par l’article 7 de la loi du 20 avril 2005 : l’Etat détiendra 60% du capital, aux côtés des chambres de commerce (au moins 25%) et des collectivités locales (au plus 15%). Cette même réforme datant de 2005 anticipait la possibilité de céder « progressivement » au secteur privé certaines de ces participations étatiques.
La privatisation de capitaux des aéroports de Nice et de Lyon a été autorisée par l’article 191 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « loi Macron ». Dans ces opérations, l’État ne cède que ses parts dans les sociétés exploitantes mais reste le propriétaire et l’autorité concédante des infrastructures. A ce titre, la régulation des tarifs des redevances aéroportuaires demeurent une prérogative de puissance publique relevant de l’autorité concédante.
L’expérience du repreneur : critère clé du choix de l’État
Bien que des éléments du cahier des charges de l’aéroport de Toulouse ont été repris pour ceux des aéroports de Nice et Lyon, un élément important diffère. Lors de la privatisation de l’aéroport de Toulouse, l’Etat s’était vu reproché d’avoir cédé ses parts à un consortium asiatique qui n’attestait d’aucune expérience dans le domaine aéroportuaire, au seul motif que celui-ci ait présenté l’offre la plus économiquement avantageuse. L’attribution du marché à l’offre la mieux disante a soulevé des contestations de la part des concurrents évincés spécialisés dans le domaine aéroportuaire comme Vinci ou ADP.
Pour les aéroports de Nice et de Lyon, le législateur fait preuve d’anticipation en fixant, à l’article 191 de la « loi Macron » un critère d’expérience que doivent justifier les candidats. Procéduralement, les cahiers des charges précisent que « seront seuls recevables à remettre des offres les candidats disposant d’une expérience de gestion d’aéroports » (point 2.2.1 des cahiers des charges) appréciée au regard de seuils.
Ainsi, plusieurs hypothèses ont été envisagées dans les cahiers des charges. Le candidat peut, tout d’abord, être l’exploitant d’un aéroport depuis au moins deux ans et dont le trafic annuel de l’aéroport exploité en 2015 équivaut à 12 millions de passagers.
Il peut également être l’actionnaire d’une société exploitante d’un aéroport deux ans ces 3 dernières années. La candidature est alors recevable dans deux cas. D’une part, elle est admise si le candidat détient, en tant qu’actionnaire, directement ou indirectement au moins 20% du capital et des droits de vote de la société exploitante, un pouvoir de nomination et de révocation d’au moins un membre des organes dirigeants et si le trafic annuel commercial total de l’aéroport a dépassé 12 millions de passagers au cours de 2015. D’autre part, il en est de même si le candidat détient l’actionnaire détient directement ou indirectement au moins 10% du capital et des droits de vote de la société exploitante, un pouvoir de nomination et de révocation d’au moins un membre des organes dirigeants et si le trafic annuel commercial total de l’aéroport a dépassé 15 millions de passagers au cours de 2015. Ces conditions à remplir sont cumulatives pour le candidat.
La condition de participation de l’actionnaire est donc dépendante du trafic annuel commercial de l’aéroport : plus les participations sont hautes, moins il est nécessaire que le trafic annuel soit élevé. Toutefois, ces conditions permettent -elles réellement de considérer que le candidat qui remplit ces conditions est un gestionnaire d’aéroport efficace ? En effet, indépendamment des questions de taille, une participation minoritaire avec un pouvoir de nomination des dirigeants suffisent-elles à considérer que le candidat puisse prendre des décisions efficientes dans la société exploitante de l’aéroport dont il est actionnaire? Mais à l’inverse, si l’État avait exigé une participation supérieure, cela aurait pu conduire à une réduction artificielle du nombre de candidats potentiels à la reprise de l’infrastructure.
La survivance d’un actionnariat public minoritaire local
Pour autant, la cession future des participations de l’Etat n’affecte pas le reste du capital de la société exploitante de l’aéroport, ce qui implique une organisation des relations avec les autres actionnaires, généralement des acteurs publics locaux comme les Chambres de Commerce et d’Industrie. Ainsi, les cahiers des charges mettent en place un « Pacte d’actionnaires » (point 3.1 des cahiers des charges) avec les détenteurs des 40% restant du capital de chaque aéroport. Cette initiative de co-élaboration du cahier des charges avec les actionnaires locaux est le marqueur d’une prise en charge des préoccupations d’intérêt général dont sont soucieuses tant les collectivités locales que l’Agence des Participations de l’État.
Plusieurs avantages sont donc ainsi réservés aux actionnaires locaux : en plus de pouvoir s’associer à la procédure de transfert en cédant tout ou partie de leurs actions à l’acquéreur, ils ont la possibilité de se prononcer sur le contenu des offres (fermes et finales) faites par les candidats. Ils pourront également disposer d’une minorité de blocage lors de la future acquisition par une société privée.
Les actionnaires locaux auront donc un rôle important à jouer tant sur la procédure de passation du contrat que lors de l’exécution de celui-ci. Cette préoccupation de maintenir une place prépondérante des acteurs locaux a également conduit à l’insertion d’une clause maintenant le siège social et les structures de gouvernement dans les villes de Lyon et Nice.
Cette cession, au regard des montants (à l’origine, prévu aux 1,8 milliards d’euros pour Nice et 1,4 milliards d’euros pour Lyon ; sans doute plus de 2 milliards d’euros à la suite des tours d’enchères) serait une très belle opération financière pour l’État. La commission sénatoriale des finances a publié une estimation officielle, via la publication du sénateur M. Vincent, rapporteur spécial du rapport : « CAS Participations financières de l’Etat » : l’État détient 60 % du capital de chacune des deux sociétés et cèderait l’intégralité de sa participation. Le prix de cession n’est pas encore connu. Toutefois, plusieurs estimations situent la valorisation de la participation de l’État entre 900 millions d’euros et un milliard d’euros s’agissant de l’aéroport de Nice et aux environs de 540 millions d’euros s’agissant de l’aéroport de Lyon.
Gabrielle CHANOINE
Etudiante en Master 1 à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
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