Entre ceux qui fantasment la « vie de château » derrière les murs de nos établissements pénitentiaires et ceux qui veulent une Société sans prison, il est difficile de se faire un avis sur un service public où cohabitent caricatures, fantasmes et mensonges.
La prison n’est plus, en principe, un châtiment ayant pour unique but d’isoler l’individu de la Société.
Victor Hugo avec Claude Gueux, puni à cinq ans d’emprisonnement pour avoir dérobé du pain, a montré les conditions de détention et l’usage abusif de la prison dans la France du XIXe siècle.
Si la prison reste, pour une partie de la population, le moyen de punir physiquement une personne pour une infraction commise, force est de constater que son rôle et son statut ont évolué dans les textes.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réforme Amor de 1945 évoque ainsi la prison comme un moyen d’« amendement et de reclassement social ». À partir des années 1975, le mot est lâché : « réinsertion ». En 1999, la création des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) donne du contenu opérationnel à ces nouvelles intentions. L’article 2 de la loi pénitentiaire de 2009, quant à lui, entérine l’évolution : « [Le service public pénitentiaire] contribue à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire [et] à la prévention de la récidive […] ».
L’obligation faite aux détenus de participer à au moins une activité proposée par l’établissement, qu’elle soit professionnelle, socioculturelle, sportive, d’enseignement, de formation professionnelle, permet de préparer la sortie du détenu, en lui donnant la possibilité d’acquérir des savoirs et des savoir-faire utiles à sa réinsertion.
Progressivement, donc, la politique pénitentiaire de la France a changé de paradigme : la prison a d’autres buts que la simple mise à l’écart de l’individu. La peine doit être éducative et utile. Utile, d’abord, pour la Société : la réinsertion d’un individu permet de limiter la récidive qui lui cause du tort. Utile, ensuite, pour l’individu qui, après avoir commis une faute, doit pouvoir reprendre une place dans la Société.
Ce sont ces réflexions sur le sens de la peine qui ont permis de développer des mesures alternatives à l’emprisonnement. Ainsi, aujourd’hui, sur 250 000 personnes placées sous main de justice, les deux tiers le sont en milieu ouvert, c’est-à-dire qu’elles ont été condamnées à des peines non privatives de liberté (travaux d’intérêt général, contrôle judiciaire, sursis avec mise à l’épreuve, suivi socio-judiciaire, etc.).
Malgré ces évolutions qui auraient logiquement dû conduire à réduire la population pénale, celle-ci ne décroit pas. Au contraire : alors que la population française augmentait de 12% sur la dernière décennie, la population pénale, elle, augmentait de 20%. Et puisque l’évolution du nombre de places n’est pas proportionnelle, la France se fait régulièrement condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme pour atteinte à la dignité humaine en raison de la surpopulation dans ses geôles.
La prison conserve pour autant des intérêts pour la Société, ce qui rend illusoire sa suppression.
Quand on parle de « prison », le mot « condamné » vient presque immédiatement à l’esprit. C’est un raccourci. Le terme de « prison » est générique. Il désigne, certes, les établissements pour peines qui accueillent des détenus condamnés, mais ce générique désigne aussi les maisons d’arrêt ou les quartiers de maison d’arrêt qui accueillent des prévenus, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas encore été condamnées par un tribunal et qui, à ce titre, bénéficient de la présomption d’innocence.
La prison peut s’avérer utile pour isoler le prévenu dont il existe des raisons de penser qu’il pourrait fuir pour se soustraire à la Justice, pour prévenir la commission de nouvelles infractions (par exemple la collusion frauduleuse), ou encore pour l’empêcher d’approcher des témoins ou de supprimer des preuves. Le juge d’instruction peut même, si cela s’avère nécessaire, ordonner à l’encontre du prévenu une interdiction de communiquer.
Par ailleurs, plus intuitif, la prison peut être utilisée par le juge répressif comme un outil pour mettre provisoirement à l’écart un individu dangereux pour la Société et pour les victimes, en attendant que les conditions nécessaires à sa réinsertion et la prévention de la récidive soient réunies.
Au total, si la prison ne peut pas être l’alpha et l’oméga de la politique pénale, car cela serait contre productif du point de vue des objectifs de la peine, il serait tout à fait illusoire d’imaginer la fermeture généralisée des prisons qui permettent, dans certains cas, de protéger la Société.
Stéphane Murat