Déjà annoncée lors la campagne présidentielle de 2012, la question de la mise en place d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu n’a pas manqué de resurgir cette année.
Le 17 juin dernier, le ministre des Finances et le secrétaire d’Etat chargé du Budget ont présenté des propositions relatives à la mise en œuvre du prélèvement à la source. Cette réforme devrait être engagée dès 2016 et serait effective en 2018. Si elle présente l’avantage de simplifier la fiscalité française, elle suscite toutefois de nombreuses interrogations.
Qu’est-ce que le prélèvement à la source ?
Le prélèvement à la source est un mode de recouvrement de l’impôt. Il consiste à faire prélever son montant par un tiers payeur au moment du versement des revenus sur lesquels porte l’impôt.
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, le prélèvement à la source n’est pas une notion inconnue en France. Une grande partie des prélèvements obligatoires sont prélevés à la source. Tel est notamment le cas des cotisations sociales ou encore de la contribution sociale généralisée (CSG).
Cependant, le prélèvement à la source est loin d’être généralisé dans l’Hexagone. La France accuse même un retard certain par rapport à la majeure partie des pays européens.
Le retard français
A l’heure actuelle, les contribuables français sont tenus de remplir chaque année une feuille d’imposition. Celle-ci doit mentionner les revenus touchés l’année précédente. Un tel système permet d’identifier fidèlement les revenus. Cependant, il ne tient pas compte de la situation actuelle du contribuable (la situation est la même pour la prime pour l’emploi qui sera remplacée le 1er janvier 2016 par la prime d’activité).
Avec la Suisse, la France est à l’écart de la généralisation des prélèvements à la source. Pourtant, tous les grands pays d’Europe l’ont adopté. Cette tendance s’est enclenchée en Allemagne depuis 1920, avant de gagner notamment les Pays Bas en 1941, la Belgique en 1962 ou encore l’Espagne en 1979.
A ce jour, c’est l’Allemagne qui fait office de référence en matière de prélèvement à la source. Chaque salarié (qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public), fait parvenir à son employeur son numéro d’identification fiscal et sa date de naissance. C’est grâce à ces informations que l’employeur détermine le montant qui sera retenu sur le salaire du contribuable.
L’employeur se connecte par la suite à un serveur de l’administration fiscale qui tient à jour les informations socio-économiques du contribuable : catégorie fiscale, situation familiale, nombre d’enfant ou affiliation religieuse (en Allemagne, chaque personne est tenue de payer à sa religion un « kirchensteuer », que l’on peut traduire en français sous le terme de denier du culte).
Pour rattraper son retard, la France a prévu la mise en place d’une ambitieuse réforme en matière de prélèvement à la source.
Le calendrier de mise en place
Le 17 juin 2015, le Conseil des ministres a établi un calendrier de mise en œuvre articulé autour de trois grandes étapes.
- Rentrée 2015 : Cette date correspond au lancement d’une grande concertation comprenant les parties prenantes du projet : organisations syndicales et patronales, banques et Parlement. Le but de cette concertation est de produire un livre blanc décrivant les modalités d’application de la réforme tout en prenant en compte les inquiétudes des acteurs du projet. Prévue pour la rentrée 2015, la publication du livre blanc a été repoussée au premier semestre 2016.
- Le projet de budget 2016 : Il présentera un certain nombre de mesures (qui ne sont pas encore définies) qui chercheront à sensibiliser les ménages français à la télédéclaration et au paiement mensualisé. L’objectif est d’habituer les contribuables à une baisse du revenu mensuel net (ce qui sera le cas lorsque l’impôt à la source sera généralisé).
- Le projet de loi de finances pour 2017: Il définira plus précisément les modalités de la mesure. Celle-ci sera effective et généralisée à partir du 1er janvier 2018.
Un ajustement de l’impôt aux revenus actuels
Le système actuel pénalise les contribuables qui connaissent une variation de revenus (artisans, auto-entrepreneurs…). Le Conseil des prélèvements obligatoires avait déjà mis en avant cette situation. Dans un rapport de mars 2007, il avait souligné que « chaque année, environ cinq millions de foyers imposables subissent une variation importante de leur revenu et du montant de leur impôt, à la suite d’un changement de situation personnelle ou professionnelle ». Or, la possibilité de demander à l’administration des délais de paiement et de modulation des acomptes est très peu utilisée.
Les difficultés de mise en place : vers une année blanche ?
D’après le calendrier établi par le gouvernement, les contribuables seront tenus de régler l’impôt sur le revenu de 2017 en se basant sur les revenus de l’année précédente. Le système sera le même que celui utilisé traditionnellement par le système fiscal français. En revanche, à partir de 2018, le nouveau mode de prélèvement entrera en vigueur.
Si les contribuables seront exonérés de l’impôt sur les revenus d’activité de 2017 (en premier lieu les salaires), ils n’échapperont pas à une imposition sur les revenus du capital ainsi que sur les revenus exceptionnels. Ces mesures de transition seront limitées dans le temps. Les modalités seront arrêtées lors d’une phase de concertation regroupant les parties prenantes au projet (organisations syndicales, patronales, banques, Parlement…).
Si l’impôt sur les revenus d’activité de 2017 n’est pas prélevé, la logique supposerait qu’il en soit de même pour les niches fiscales telles que les crédits d’impôts qui y sont y liés. Cela n’est pourtant pas envisageable car le risque de fragilisation de certains secteurs tels que les aides à domicile serait trop grand. Si le législateur opte pour ce principe, il sera donc contraint de mettre en place un mécanisme de compensation pour ne pas pénaliser l’activité économique d’un secteur représentant des milliers d’emplois.
Sans ces dispositions particulières, il serait fiscalement intéressant pour les contribuables de concentrer sur une année leurs pertes ou leurs revenus. Ainsi, les travailleurs indépendants auraient tout à gagner à faire figurer un maximum de revenu sur l’année 2017 (puisqu’il n’y aurait pas d’impôt sur le revenu) puis à faire figurer leurs pertes sur 2018. Pour empêcher ces techniques d’optimisation, un régime particulier et transitoire d’imposition devrait être mis en place à l’attention des travailleurs indépendants.
Pour que la taxation des revenus du capital et des revenus exceptionnels de 2017 soit maintenue, le secrétaire d’Etat au budget a envisagé la possibilité d’étaler sur plusieurs années le règlement de ce type de revenus.
Le choix du tiers payeur
Le tiers payeur est le rouage essentiel d’un système de prélèvement à la source. C’est lui qui est en charge du prélèvement de l’impôt. C’est également lui qui, par la suite, transfère les sommes récoltées à l’administration fiscale.
Le choix du tiers payeur est stratégique. Celui-ci a en effet accès à des informations que les contribuables souhaiteraient garder confidentielles.
Il existe deux catégories de tiers payeur : les banques ou les employeurs.
Les banques
Dans un rapport de 2012, le conseil des prélèvements obligatoires a reconnu aux banques un avantage de taille : L’habitude de traiter les données confidentielles. De plus, l’administration fiscale pourrait gérer le recouvrement de l’impôt de manière bien plus optimale puisqu’elle n’aurait recours qu’à quelques dizaines d’interlocuteurs. Mais, sous une apparente facilité, de nombreux problèmes demeurent. En cas de mise en application du prélèvement à la source, le législateur devra ainsi répondre aux questions suivantes :
- Que faire lorsque un contribuable dispose de plusieurs comptes bancaires ?
- Quand bien même un contribuable possède un seul compte, comment distinguer les revenus qui sont imposables et ceux qui ne le sont pas ?
- Comment identifier et imposer les rémunérations qui ne font pas l’objet d’un virement bancaire (paiement en liquide ou par chèque) ?
Les employeurs
Les employeurs sont déjà familiarisés au système de prélèvement à la source puisqu’ils sont déjà habilités à prélever la contribution sociale généralisée (CSG). Ils doivent cependant être tenus de respecter la vie privée de leurs collaborateurs et la confidentialité des informations recueillies. La phase de concertation qui se déroule actuellement a pour but de répondre à ces questions techniques et déontologiques.
Des français enthousiastes, des acteurs plus réservés
Si le gouvernement est déterminé à mener à bien cette réforme dans les délais, la raison est simple : elle suscite l’adhésion des français. Un sondage réalisé par l’institut Odoxa en juin 2015 révèle ainsi que 64% des personnes interrogées sont favorables à la mesure.
La question est pourtant complexe. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, les acteurs chargés de la mise en œuvre du projet ne partagent pas l’enthousiasme du grand public.
Les syndicats ont déjà fait part de leur inquiétude. La CGT soutient que la réforme « crée les conditions de nouvelles inégalités et expose encore plus la vie privée des travailleurs vis à vis de leurs employeurs ». Les syndicats représentant les salariés craignent également que les données collectées orientent la politique salariale et managériale des entreprises (à compétences égales elles pourraient par exemple licencier la personne dont le conjoint a un revenu élevé plutôt qu’un soutien de famille).
Chose peu commune le MEDEF partage l’avis de la CGT. Le syndicat du patronat est effrayé par la complexité et le coût du dispositif. Il est également rétif à l’idée de voir les entreprises devenir des auxiliaires du fisc.
Julia Jung