Dans un arrêt important et largement diffusé[1] du 13 mai 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation précise la portée spatiale de l’obligation d’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en matière criminelle accomplis par le Juge d’instruction et rappelle au passage les conséquences du défaut d’enregistrement de ceux-ci sur le plan des nullités.
En l’espèce, les faits étaient les suivants. Dans le cadre d’une information judiciaire, un mis en examen, poursuivi des chefs de tentative de meurtre et délit connexe, a présenté une requête en annulation d’un procès-verbal de confrontation au motif que cet acte d’instruction, effectué dans une salle d’audience du palais de justice de Perpignan, n’avait pas fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier a rejeté la demande en énonçant que l’absence d’enregistrement d’un interrogatoire dans un lieu autre que le cabinet du magistrat instructeur ne saurait être une cause de nullité de cet acte. Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré la décision rendue par les juges du fonds et clairement affirmé que le défaut d’enregistrement audiovisuel, hors les cas où l’article 116-1 du Code de procédure pénale l’autorise (impossibilité matérielle ou technique), porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. Il y a eu ainsi méconnaissance par la Chambre de l’instruction du sens et de la portée du texte précité, ainsi que du principe ci-dessus rappelé. L’arrêt a donc été cassé et annulé.
Les règles applicables en matière d’enregistrement audiovisuel des interrogatoires
À l’ère des nouvelles technologies, le procès pénal ne peut se passer de l’utilisation de certains moyens techniques imposés par la loi dans des domaines précis sous peine d’être fragilisé sur le terrain procédural. On en trouve une illustration avec l’obligation qui incombe au Juge, dès lors qu’il instruit sur des faits revêtant une qualification criminelle, de procéder à l’enregistrement de ses interrogatoires. Au stade de l’ouverture d’une information judiciaire, l’interrogatoire désigne l’entretien du Juge d’instruction avec la personne poursuivie au cours duquel celui-ci fait sa déclaration et répond aux questions du magistrat[2]. La disposition prévoyant l’enregistrement des interrogatoires dans le cabinet du Juge d’instruction des personnes mises en examen en matière criminelle est prévu à l’article 116-1 du Code de procédure pénale qui dispose notamment, dans son premier alinéa, qu’« en matière criminelle, les interrogatoires des personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d’instruction, y compris l’interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel ». Cet article est, pour sa part, une disposition qui a été conçue comme le complément de l’enregistrement des interrogatoires en garde à vue[3], son pendant dans la phase d’enquête policière. Le législateur a notamment rendu l’enregistrement obligatoire à l’occasion des interrogatoires lors de la garde-à-vue d’un mineur (Ord. 2 févr. 1945, art. 4-VI) ou de personnes majeures en matière criminelle (C. pr. pén., art. 64-1). Procéder à l’enregistrement audiovisuel a ainsi pour objet, « tout autant de préserver les droits de la personne que de protéger les policiers et gendarmes qui disposent là du moyen de balayer aisément les allégations de mauvais traitements »[4]. Il s’agit ainsi d’une garantie procédurale pour la personne poursuivie et d’un instrument utile à la bonne administration de la preuve.
La précision de la portée spatiale de l’enregistrement des interrogatoires devant le Juge d’instruction
L’enregistrement audiovisuel des interrogatoires et confrontations en matière criminelle a été introduit dans le Code de procédure pénale par la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, à la suite des dysfonctionnements intervenus dans l’affaire restée tristement célèbre dite « Outreau ». Les dispositions de l’article 116-1 du Code de procédure pénale n’imposent l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des personnes mises en examen, en matière criminelle, que lorsqu’ils sont réalisés dans le cabinet du juge d’instruction. La portée spatiale de l’enregistrement des interrogatoires est précisée dans le présent arrêt du 27 mai 2015. Quel sens recouvre alors l’expression « dans le cabinet du juge d’instruction » ? Selon le vocabulaire Cornu, le cabinet est entendu comme le « bureau particulier dans lequel le juge entend les parties, les avocats »[5]. Ainsi, la notion de cabinet du juge d’instruction ne doit pas être appréciée de manière extensive et la chambre criminelle refuse expressément de voir dans la notion de cabinet du juge d’instruction comme tous lieux où le juge d’instruction se transporte avec son greffier pour les besoins de son enquête (par exemple dans un hôpital[6]). Ladite notion doit être interprétée littéralement et ne vise donc que les seuls bureaux du Tribunal de grande instance, à l’exclusion des locaux situés en dehors de celui-ci. Clarifiant la portée et le sens de la notion, la Cour de cassation énonce que le cabinet du juge d’instruction doit s’entendre comme « tout local d’une juridiction dans lequel ce magistrat, de manière permanente ou occasionnelle, accomplit des actes de sa fonction », c’est-à-dire au premier rang de l’intimité de son cabinet d’instruction où il passe la plupart de son temps, mais également d’une salle d’audience (chambre du conseil) de la juridiction du ressort auquel il appartient (C. pr. pén., art. 49, al. 3) et dans laquelle il exerce habituellement ses fonctions de magistrat instructeur.
La sanction du défaut d’enregistrement : nullité sans la démonstration d’un grief
Par principe, l’annulation d’un acte de procédure ne peut être effectivement prononcée que si l’irrégularité a causé un grief à la partie qu’elle concerne conformément aux articles 171[7] et 802[8] du Code de procédure pénale applicables en matière de nullités de l’enquête et de l’instruction. Mais, la jurisprudence exclut l’application de ces articles lorsqu’elle considère que les formalités méconnues sont d’ordre public ou lorsque leur méconnaissance constitue en elle-même une violation des droits de la défense. En l’espèce, la chambre criminelle estime que l’absence d’enregistrement, sauf dans les cas prévus par la loi, visés aux alinéas 5 et 6 de l’article 116-1 du Code de procédure pénale, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. Cette solution n’est pas nouvelle puisque la haute juridiction l’avait déjà admise s’agissant de l’interrogatoire d’une personne mise en examen dans un arrêt du 3 mars 2010[9] alors même que le mis en examen n’avait fait que de simples déclarations et que son avocat, présent, n’avait émis aucune protestation au moment de son interrogatoire. Empruntant le régime des nullités d’ordre public, l’impératif d’enregistrement des interrogatoires et de confrontations est ainsi regardé comme une formalité qui fait intrinsèquement grief aux intérêts de la personne concernée, dont l’inobservation ne peut être normalement réparée que par la nullité automatique de l’acte en cause.
David CHIAPPINI
([1]) Cass. Crim, 13 mai 2015, n° 14-87.534, FS-P+B+I, QPC incidente n°14-87534 du 18 février 2015.
([2]) P.Chambon, « Le juge d’instruction », définition n°290, p.318, 1972.
([3]) Rapport n°3505 du 6 décembre 2006 du député G.Geoffroy, fait au nom de la « Commission des lois tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale », Assemblée Nationale, 2006.
([4]) F.Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, n°2485, p.1619, 2013.
([5]) Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, mot « Cabinet », sens n°4.
([6]) Cass. Crim, 1 avril 2009 n°08-88549
([7]) J.Dumont,V.Georget, JCP Procédure pénale, Fascicule 20, « article 171 du CPP », 2015.
([8]) J.Dumont, JCP Procédure pénale, Fascicule unique, « article 802 du CPP », 2013.