Pourquoi vouloir créer une SEM Hydroélectrique ?

« Nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’Etat. » Ainsi s’ouvrait la fameuse loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique précisant que l’Etat est propriétaire de l’usage de la force motrice de l’eau et doit, par conséquent, consentir à ce qu’une tierce personne puisse exploiter un barrage.

 

Deux régimes, d’autorisation ou de concession, coexistent : ils se distinguent en fonction de la puissance des installations. Le régime de la concession sera envisagé pour les installations d’une puissance supérieure à 4,5 MW alors que le régime d’autorisation le sera pour celles dont la puissance n’excède pas 4,5 MW. La France compte près de 400 concessions hydroélectriques qui représentent plus de 95% du total de la puissance hydroélectrique installée. Attribuée majoritairement pour une durée de 75 ans à l’issue de laquelle les biens de la concession retournent à l’Etat, ces concessions doivent être renouvelées au sein d’un cadre juridique qui a évolué depuis leur conclusion.

Les exigences de concurrence se sont accrues, tant en droit interne qu’en droit de l’Union européenne. Le renouvellement des concessions doit respecter une procédure de mise en concurrence ce qui peut poser problème pour une France inquiète au sujet de ses barrages, tant par l’aspect environnemental et local que par le remplacement des exploitants actuels à forte notoriété sur le sol national.[1]

L’enjeu est de taille et consiste alors à trouver un instrument juridique permettant de concilier divers intérêts : mise en concurrence, enjeu local d’acceptabilité, enjeu environnemental et contrôle public. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte actuellement débattu au Parlement envisage de créer une société d’économie mixte hydroélectrique (SEMH).[2]

Le recours à une SEM est surprenant à un double titre. Il met fin, tout d’abord, à une longue tradition de l’utilisation de l’instrument du cahier des charges spécifique aux concessions hydroélectriques. La SEM hydroélectrique apparaît, ensuite, comme presque identique à une SEM récemment créée : la SEM à opération unique (SEMOP). Ainsi, il est nécessaire de s’interroger sur l’opportunité de la création d’une nouvelle SEM.

La SEMH apparaît cependant bien justifiée, tant par le choix de recourir à la structure d’une société d’économie mixte (I) que par le soin d’en créer une version spécifique (II).

 

 I. La SEM, une structure plus adaptée aux enjeux du renouvellement des concessions hydroélectriques

 

La SEMH est envisagée en réponse à la fin des concessions hydroélectriques et de leur renouvellement prochain dans un cadre juridique plus contraignant (A). Dans ce cadre, une société d’économie mixte permet de concilier des intérêts divergents en matière d’usage de la force motrice de l’eau (B).

 

A. La mise en concurrence lors du renouvellement des concessions hydroélectriques

Entre la date à laquelle elles ont été signées et celle à laquelle elles aboutissent, les concessions hydroélectriques ont vu leur cadre juridique évoluer considérablement. La loi du 29 janvier 1993 dite loi Sapin prévoit que les délégations de service public de l’Etat, parmi lesquelles les concessions hydroélectriques, sont soumises à « une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes. »[3] Des obstacles juridiques empêchant une concrétisation du principe furent levés progressivement.[4] Ce mouvement a été encouragé et amplifié à l’échelle européenne : le Conseil de l’Union européenne a, par exemple en 2012, considéré qu’il « [convenait] de prendre de nouvelles mesures pour améliorer l’accès d’autres opérateurs aux capacités de production en France (par exemple, production hydraulique). »[5]

Sous le régime de la concession, les ouvrages sont la propriété de l’Etat qui en délègue alors la construction et l’exploitation à un concessionnaire sur la base d’un cahier des charges. Cependant, ce cahier des charges apparaît insatisfaisant à plus d’un titre. Imposant une vision juridique de la gestion des enjeux locaux, il ne favorise pas la coopération. « Soit il est exhaustif et, dans ce cas, toute nouvelle contrainte imposée par l’autorité concédante entraîne obligation d’indemnisation du concessionnaire. Soit il est volontairement imprécis, pour permettre une évolution des missions remplies par le concessionnaire et laisser la place à des actions de collaboration volontaire. Mais alors la contrainte s’imposant à ce dernier est moins forte et le risque existe qu’une entreprise privée, a fortiori lorsqu’elle ne dispose pas d’importants effectifs sur place, ne souhaite pas aller au-delà des efforts minimums exigibles. »[6] Plusieurs palliatifs ont donc été proposés, parmi lesquels le fait d’imposer par l’autorité adjudicatrice des candidats ayant un ou plusieurs actionnaires obligés.[7] Cependant, la structure d’une SEM a été privilégiée.

 

B. Une structure permettant de concilier des intérêts divergents

Conçus à l’origine comme des ouvrages industriels, dont le seul objet poursuivi était énergétique, les barrages font désormais partie intégrante du paysage des territoires de montagne. Lorsqu’il fait varier le niveau d’eau des rivières et des lacs de retenue, l’exploitant a un impact sur l’irrigation, la pêche et le tourisme. Il joue également un rôle important en matière de prévention des crues. Enfin, si aucun dispositif n’est mis en place pour favoriser la continuité écologique des cours d’eau, les barrages ont un impact environnemental significatif sur la qualité écologique des cours d’eau et des lacs, ou encore la présence de bois flottant. L’ensemble de ces enjeux doit être pris en compte par l’exploitant. A cet égard, les outils contractuels classiques n’apparaissent plus nécessairement adaptés.[8]

A l’inverse, les avantages du recours à une SEM sont bien identifiés.[9] Elle permettrait ainsi de concilier :

  • les impératifs de publicité et de mise en concurrence inscrits dans la loi Sapin ainsi que dans les principes du droit de la commande publique issues du traité européen et repris dans la récente directive concessions,
  • la participation des collectivités locales au capital de la concession,
  • la constitution d’un pôle d’actionnaires publics conservant des pouvoirs de contrôle sur la concession,
  • la désignation d’un actionnaire industriel issu du secteur de l’énergie et conservant le contrôle opérationnel de la concession : compte tenu de la taille et de la complexité des concessions en cause, les enjeux industriels et de sécurité imposent la présence d’un opérateur disposant des capacités techniques et financières nécessaires.

Là où le modèle du cahier des charges était insatisfaisant, celui de la SEM permettrait, au contraire, par la diversité de ses actionnaires, une meilleure acceptabilité locale et une conciliation des différends usages de l’eau tout en permettant de partager le poids des investissements entre partenaires publics et privés.

L’idée d’une telle SEM est apparue en étudiant le fonctionnement de la Compagnie Nationale du Rhône exploitant de nombreux barrages successifs sur le fleuve éponyme. Filiale de GDF-Suez, elle est également constituée de plusieurs actionnaires publics comme des collectivités locales ou la Caisse des dépôts et consignations.

Si les avantages de recourir à une SEM sont bien identifiés, les SEM existantes ne satisfont pas aux exigences en l’espèce. Cette inadaptabilité des SEM existantes aux besoins spécifiques du renouvellement des concessions hydroélectriques va légitimer la création d’une nouvelle SEM répondant à des besoins spécifiques.

 

 IILa SEMH, une structure nouvelle nécessaire pour répondre aux spécificités du renouvellement des concessions

 

Le fonctionnement de la SEMH est similaire en de nombreux points à la SEM à opération unique préexistante (A) au point de susciter une interrogation sur la nécessité initiale de sa création (B).

 

A. La SEMH, une structure similaire à la SEMOP

Créée par la loi n°2014-744 du 1er juillet 2014 insérant au code général des collectivités territoriales un titre IV intitulé « Sociétés d’économie mixte à opération unique », la SEMOP est composée au minimum de deux actionnaires, l’un privé, l’autre public. La collectivité territoriale ou son groupement doit détenir entre 34% et 85% du capital. Ces deux acteurs s’unissent afin de répondre à la demande de la collectivité. La spécificité première de cette SEM réside dans le fait qu’elle est constituée pour une durée limitée dans le seul but de conclure et d’exécuter  un contrat.

Si la SEM à opération unique est une innovation par son objet, elle l’est aussi par la procédure applicable en matière de publicité et de mise en concurrence. En effet, la sélection du ou des actionnaires opérateurs économiques et l’attribution du contrat à la SEM à opération unique mise en place sont effectuées par un unique appel public à la concurrence respectant les procédures applicables aux délégations de service public, aux concessions de travaux, aux concessions d’aménagement ou aux marchés publics, selon la nature du contrat destiné à être conclu. Le législateur s’est appuyé sur un arrêt récent[10] de la CJCE en date du 15 octobre 2009 par lequel la Cour validait le dispositif.[11]

Cette procédure de mise en concurrence nouvelle en droit français est reprise à l’identique concernant la SEM hydroélectrique si bien que les similarités entre ces deux SEM a priori différentes sont tellement étroites qu’elles obligent à un effort de distinction.

 

B. La nécessaire création d’une SEMOP spécifique

Une étude plus approfondie de la SEMOP témoigne en réalité du caractère insatisfaisant d’une telle structure pour le cas spécifique de ces concessions. Trois arguments peuvent être défendus.

Tout d’abord, lorsque la SEM hydroélectrique a été envisagée, la SEM à opération unique n’était pas encore officiellement créée. Si elle était sérieusement envisagée au Parlement, la loi portant création de cette SEM n’avait été ni votée ni promulguée. Il était donc nécessaire de créer, lors du dépôt du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, une nouvelle structure.

A posteriori, la nécessité d’une SEM à opération unique spécifique aux concessions hydroélectriques est également évidente. La SEM à opération unique étant applicable seulement aux collectivités locales, elle ne correspond pas aux attentes : l’Etat est propriétaire de la force motrice de l’eau et, conformément à l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et cours d’eau sans une concession ou une autorisation » qui serait délivré par l’Etat. La SEM est donc constituée à l’initiative de l’Etat par au moins deux actionnaires.[12] Ce dernier est ainsi présenté comme l’actionnaire public de référence, même si, sous réserve de son accord, certaines collectivités territoriales pourront s’y associer. L’objet de la SEM hydroélectrique comprend uniquement la conclusion et l’exécution du contrat de concession. La part du capital est ventilée entre les acteurs publics qui doivent détenir au moins 34% du capital disposant ainsi d’une minorité de blocage, et l’opérateur privé détenant également au moins 34%.

Enfin, la solution d’un dispositif spécifique aux concessions hydroélectriques permet d’envisager une évolution jurisprudentielle propre à cette SEM, en dehors de celle qui pourrait avoir lieu pour la SEMOP.

 

Ainsi, la SEMH apparaît comme un outil permettant à la fois de concilier des intérêts divergents dans la gestion d’un barrage mais également de répondre aux exigences juridiques spécifiques des concessions hydroélectriques. La création d’une telle SEMH est donc nécessaire et, à ce titre, bienvenue.

 

 

Stéphane ANDRIEU

Magistère de droit des activités économiques (Ecole de Droit de la Sorbonne)

Master 2 Droit public des affaires (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Master Affaires publiques – Energie (Sciences Po Paris)

 

 

 

[1] EDF exploite la majeure partie des ouvrages hydroélectriques alors que le restant est principalement exploité par une filiale de GDF-Suez (Compagnie Nationale du Rhône).

[2] Il s’agit de proposer une modalité d’attribution spécifique pour des concessions hydroélectriques présentant des enjeux particuliers en matière de sécurité du système électrique.

[3] Article 38 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 reprise à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales

[4] Modification du statut d’EDF en 2000 et 2004 ; suppression du droit de préférence (au profit du concessionnaire sortant) en 2006 et 2008.

[5] Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2012, 30 avril 2013, COM(2012) 313 final.

[6] Rapport fait au nom de la commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte par Mme Bareigts, Battistel, Buis et MM. Baupin et Plisson, 27 septembre 2014.

[7] C’est le cas notamment du partenariat public-privé ayant pour objet de construire le nouveau ministère de la défense dans le quartier de Balard à Paris : le candidat devait avoir une partie de son capital détenu par la CDC.

[8] Rapport fait au nom de la commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte par Mme Bareigts, Battistel, Buis et MM. Baupin et Plisson, 27 septembre 2014.

[9] Etude d’impact relative au projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

[10] CJUE, 15 octobre 2009, Acorset, concernant l’affaire C-196/08

[11] La SEMOP se retrouve d’ailleurs, en droit de l’Union européenne, sous le vocable de « partenariat public-privé institutionnalisé ».

[12] Dans le cas de deux actionnaires, ceux-ci sont nécessairement l’Etat et un actionnaire opérateur.

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