Stéphanie Fougou fait partie de ces personnalités que l’on n’oublie pas. Voil) maintenant plusieurs mois que l’AFJE et le CNB sont en opposition concernant le devenir des professions juridiques. La présidente de l’AFJE s’est confiée à notre revue pour effectuer un premier bilan des réformes 2015. Entre impatience et déception, les juristes d’entreprises entendent bien continuer le combat pour l’acquisition de leur statut d’avocat en entreprise.
Quel est votre secret pour jongler entre votre poste de directrice juridique et votre rôle de présidente de l’AFJE ?
Il n’y a pas vraiment de secret mais disons qu’une très bonne organisation et une bonne dose d’énergie sont nécessaires (rires). Il est également primordial d’être bien entouré et d’avoir des personnes sur qui compter.
Madame Fougou, pour cette seconde édition du Grand Juriste nous souhaitons aborder l’épineuse question de l’avocat en entreprise, pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette réforme n’est pas passée ?
Tout d’abord je vous dirais qu’elle n’est pas passée pour l’instant. Nous n’avons pas perdu l’espoir d’une évolution au sujet de la confidentialité. A l’heure actuelle, les avocats ont souvent une mauvaise appréhension du métier de juriste d’entreprise. Ils craignent la concurrence alors que nos fonctions sont vraiment complémentaires. Il est regrettable de voir que les positions des organes de représentation des avocats ne soient toujours pas en faveur d’une quelconque évolution.
Peut-on parler d’une forme de lobbying dans le droit ?
Evidemment. Le lobbying a même toujours existé. On remarque néanmoins une expansion des juristes dans le domaine des affaires publiques car la pratique commence seulement à se démocratiser (s’assumer) en France. A l’inverse, dans les pays anglo-saxons le lobbying n’est pas du tout mal connoté. Nos homologues britanniques et américains le voient davantage comme une façon de faire connaitre leur opinion. Au sujet du blocage du statut d’avocat en entreprise, il est clair que le CNB a d’avantage de moyens que l’AFJE pour réaliser ce type d’action et de nombreuses représentations auprès des députés notamment. Ils peuvent ainsi intervenir plus efficacement sur les acteurs décisionnaires.
Comment voyez-vous l’avenir de la profession et notamment l’insertion des jeunes professionnels ?
Le droit ne va que grandissant et reste de plus en plus reconnu comme une véritable valeur ajoutée. Aujourd’hui près de 60 % des directions juridiques sont rattachées aux directions générales et présidences ce qui prouve que la matière est réellement considérée par les organes exécutifs comme une composante active de la stratégie et un élément de création de valeur.
La façon de travailler et les besoins de l’entreprise évoluent en permanence et demandent une plus grande flexibilité. Les débuts de carrière peuvent être parfois ponctués de CDD car les entreprises elles aussi connaissent des limitations en termes de recrutement. Il ne faut pas négliger les contrats en alternance, marche pied important vers des CDI.
Quel conseil donneriez-vous à nos jeunes pro ?
Engagez-vous dans votre profession avec confiance. Soyez curieux dans vos réflexions et rigoureux dans vos méthodes de travail. N’oubliez pas que votre personnalité sera l’un de vos principaux atouts.
Comment un jeune juriste peut-il se démarquer ?
Aujourd’hui 70 % des directions juridiques travaillent au moins en partie à l’international. On ne cessera de le répéter mais l’anglais n’est plus un simple atout mais un critère indispensable. Qu’on le dise une bonne fois pour toute, le CAPA n’est pas un prérequis pour intégrer une direction juridique, même celle d’un grand groupe. Les titulaires du CAPA représentent 35 % des effectifs des juristes d’entreprise en raison du fort taux de ceux-ci. Les profils d’étudiants en double formation droit/commerce ainsi que les parcours en alternance sont de plus en plus prisés. Ces profils ont en effet tendance à mieux s’adapter a leurs différents interlocuteurs en raison d’une vision plus « business » du droit.
L’influence de la justice américaine sur la France (affaire BNP)
L’influence de la justice américaine se dessine par deux aspects. Premièrement, on ne peut nier l’importance du système anglo-saxon dans les relations de commerce international. Deuxièmement, l’extra-territorialité des sanctions américaines (les américains sont beaucoup plus enclins à prononcer des sanctions pénales contre les dirigeants) a conduit à une meilleure prise en compte des programmes de sensibilisation/ compliance au sein des entreprises
A propos du secret des affaires, êtes-vous déçue qu’il ait finalement été écarté du projet Macron ?
Le manque de protection du secret des affaires dans le système français est en effet dommageable pour nos sociétés. A l’heure actuelle et en tant que société, il est indispensable de s’interroger sur les moyens de protéger ses informations de la concurrence. La protection de la propriété intellectuelle sur cette problématique est croissante mais cela ne sera pas suffisant. On se demande alors comment protéger le secret des affaires si les juristes d’entreprise eux-mêmes ne bénéficient pas du legal privilege. Ces deux problématiques sont à traiter de façon complémentaire.
Propos recueillis par Laura Lizé